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POLITIQUE DERRIÈRE LA FAÇADE DE L'AGRICULTURE URBAINE

Alliance antinomique entre le béton et la terre, l'agriculture urbaine véhicule l'idée d'une consommation locale ayant un faible impact environnemental. Innovation technologique ou support pédagogique, elle réinvente le lien avec la production.

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Aujourd'hui, 60 % de la population mondiale vit dans une aire urbaine. Un chiffre en constante augmentation, qui atteindra 80 % en 2050. L'année prochaine, 26 villes à travers le monde dépasseront 10 millions d'habitants. En France, seule l'agglomération de Paris est au-delà de ce seuil, avec près de 12,3 millions d'habitants. Pour approvisionner des villes de cette taille, il faut importer 6 000 tonnes de nourriture chaque jour. Seule une partie est produite en ville.

Selon la FAO, 800 millions de personnes sont impliquées dans l'agriculture urbaine et contribuent directement à l'alimentation des résidents. L'agriculture urbaine est souvent un remède de crise. Elle procure des denrées alimentaires moins coûteuses et indépendantes des infrastructures de transport.

Pendant la seconde guerre mondiale, les Londoniens s'approvisionnaient grâce à des jardins publics cultivés, baptisés « jardins de la Victoire ». Aujourd'hui, dans les pays du Sud, l'agriculture urbaine permet de nourrir sa famille et de tirer un revenu des surplus. A Détroit, aux Etats-Unis, ville touchée par une grave crise industrielle, les habitants s'organisent pour cultiver les friches et disposer de produits frais. Partout dans le monde, on exerce une agriculture dite urbaine.

RÉUTILISATION DES DÉCHETS URBAINS

Dans les pays du Nord, l'agriculture urbaine s'insère dans la révision des politiques énergétiques des villes. « La ville écologique a pour objectif la réintégration de la fonction agricole dans son giron. Le rôle de l'agriculture urbaine réside dans l'utilisation et la réutilisation de ressources naturelles et de déchets biodégradables, afin de fermer la boucle des flux écologiques », explique Vincent Callebaut, architecte à l'origine du projet DragonFly (photo 6). Toit végétalisé, potager d'entreprise, voire ferme urbaine verticale, l'imagination des architectes et des urbanistes est sans borne, malgré les coûts exorbitants de conception et de réalisation.

Depuis deux ans, en Amérique du Nord (lire l'encadré) ou en Asie, le maraîchage urbain prend des allures de haute technologie. A Singapour (Cité-Etat au bout de la péninsule malaisienne), il n'y a pas d'espace pour produire. Seulement 7 % des légumes consommés sont cultivés localement. Pour les 93 % restants, il faut compter trois jours de transport depuis les pays voisins. « Sky Green » (ciel vert, en français), une ferme verticale qui produit 500 kg de légumes par jour, a été inaugurée en octobre 2012. Elle est composée de 120 panneaux d'aluminium de 9 mètres de haut, comprenant chacun 38 niveaux (photo 5). En tout, c'est l'équivalent de 3,65 hectares qui est cultivé dans un même bâtiment. L'extension de la ferme pourrait porter à 300 le nombre de panneaux. Reste à trouver les investisseurs puisque l'opération s'élèverait à 17 millions d'euros.

« Dans les pays du Golfe, ces bâtiments du futur sont un marché à prendre », constate Roland Vidal, ingénieur de recherche à l'Ecole nationale supérieure du paysage, à Versailles. La sécurité alimentaire repose sur des nappes phréatiques bientôt taries et sur les importations. Quel que soit le coût de ces réalisations technologiques, il reste inférieur à celui de la dépendance aux énergies fossiles et au transport par avion. Cependant, ces projets pharaoniques ne devraient pas voir le jour en France. « Le climat et la disponibilité en surface agricole ne le nécessitent pas », juge l'ingénieur.

Les villes nouvelles d'Amérique ou d'Asie se prêtent plus facilement à l'agriculture urbaine. Leurs toits plats et leur organisation n'ont rien à voir avec les rues enchevêtrées et les toits pentus du Vieux Continent.

Pourtant, l'agriculture urbaine est à la mode en France. Elle englobe toutes les initiatives pour reconquérir les espaces inutiles ou abandonnés, répondre à une demande alimentaire et/ou sociale ou encore participer à un développement plus durable des agglomérations. On lui prête par ailleurs des vertus environnementales : réduction des coûts énergétiques et des îlots de chaleur (microclimat artificiel des villes qui s'illustre par les différences de températures entre le centre-ville et les zones rurales proches), verdissement des espaces bétonnés, recyclage, etc. Dans la foulée de cet engouement médiatique, les élus, toutes sensibilités confondues, ont emboîté le pas aux thématiques jusqu'ici davantage supportées par les écologistes. D'Alain Juppé à Bordeaux à Martine Aubry à Lille, la plupart des métropoles françaises se sont prononcées en faveur de projets agricoles urbains. La capitale n'y a pas échappé. La mairie de Paris a recensé 460 hectares de toits plats non végétalisés, dont 80 ha à « fort potentiel », c'est-à-dire disposant de la structure adéquate et d'un accès à l'eau. En 2013, elle a lancé un appel à projets intitulé « végétalisation innovante » et retenu 15 projets d'agriculture urbaine. Ils peuvent être complètement hors-sol et utiliser des techniques innovantes comme la « production maraîchère de fraises hydrobiologiques adaptée aux murs et toits », ou à vocation plus sociale et pédagogique.

Pour le moment, aucun projet n'est sorti de terre. Les conventions patinent ou sont retardées, les études de faisabilité traînent… Cédric Pechard, directeur de « Upcycle », doit patienter pour mettre en oeuvre ses cultures de pleurotes sur marc de café en cave. Un bel exemple d'économie circulaire expérimentée dans des containers en région parisienne depuis 2012. « La découverte d'un site classé sur le lieu visé repousse la mise en place du projet pour une durée indéterminée », explique cet ingénieur agronome, qui tablait sur l'équilibre économique de son entreprise en 2015, avec 300 000 euros de chiffre d'affaires.

RECONNECTION À LA TERRE

L'agriculture urbaine attire les entrepreneurs car elle répond à une demande. « On offre un demi-potiron de son jardin à la place du traditionnel bouquet de fleurs lorsqu'on est invité à dîner », remarque Claude Bureaux, ancien chef jardinier du Jardin des Plantes, à Paris, et animateur de la chronique « Jardin » à France Info. Ce besoin de reconnection avec le vivant s'exprime de différentes manières. En témoignent les activistes du « Guérilla gardening », mouvement environnementaliste venu des Etats-Unis, qui réensemencent les espaces abandonnés. Dans la même mouvance, les « incroyables comestibles » (« incredible edible »), nés à Todmorden, en Angleterre, en 2008, posent çà et là des bacs en pleine rue, plantés de légumes à destination de tous. Quelque 350 villes en France sont déjà partenaires du mouvement.

L'intérêt des citadins pour l'autoproduction est grandissant. Un sondage BVA-Gamm vert (filiale d'Invivo), diffusé le 5 mars 2014, montre que 43 % des Français disposent d'un potager, contre 31 % en 2010, et qu'ils cultivent de plus en plus sur leurs balcons et terrasses (28 %, contre 17 % il y a 4 ans). Enfin, 56 % des Français qui ne jardinent pas encore aimeraient le faire. Les jardins partagés ou collectifs ont la cote et les listes d'attente s'allongent. En 2013, à Paris, la mairie a recensé 80 jardins collectifs, tous labellisés « Main verte ». On en comptait seulement 3 en 2001. Pour Christine Aubry, ingénieur de recherche sur le sujet à AgroParis- Tech, la fonction alimentaire des jardins en ville a deux rôles : le qualitatif, avec la production de variétés anciennes ou difficiles à transporter, et l'affectif, avec la culture de « variétés ethniques comme le chou portugais ou les fèves ». Elle se refuse à opposer l'agriculture dite professionnelle à l'activité des jardins familiaux dont certains, lorsqu'ils sont bien gérés, produisent jusqu'à 4 à 6 kg/m2 de légumes, soit l'équivalent de 60 tonnes par hectare.

Au-delà du simple carré privé, c'est surtout le partage qui motive les citadins à adhérer à un jardin. D'une part, cela permet d'être moins assidu pour le suivi et d'en profiter quand même. D'autre part, les jardins remettent au coeur de la ville une activité communautaire. Parents et enfants se retrouvent ainsi ponctuellement pour mettre les mains dans la terre ou biner sur les conseils d'un « connaisseur ». Nombre de jardins disposent d'ailleurs d'un animateur. « L'agriculture urbaine participe à un mouvement de transition post-pétrole, assure Sébastien Golzer, membre de l'association parisienne « Toits vivants ». L'objectif est l'autonomie alimentaire des familles à Paris. »

Pétris de bonnes intentions, les « agriculteurs urbains » estiment leurs pratiques respectueuses de l'environnement car « sans pesticides et favorables à la biodiversité ». Cette bonne conscience environnementale s'associe au besoin « de savoir ce que l'on mange » et laisse penser que l'agriculture traditionnelle remplit mal ce rôle. « Il y a confusion entre produire quelques légumes et se nourrir, insiste Roland Vidal. Le blé reste la base de notre alimentation. »

IMPLIQUER LES AGRICULTEURS

« Le débat actuel sur l'agriculture urbaine manque cruellement de parole paysanne », déplore Carole Zakine, responsable du pôle réflexion et développement durable à Saf'Agri- Dées. Les deux mondes s'ignorent. « Le monde agricole est étranger à l'agriculture urbaine car elle se développe dans une logique de services plus que de production », analyse Xavier Laureau, directeur du groupe Gally, qui exploite plusieurs fermes en région parisienne. Pour que les agriculteurs s'y intéressent, il faudrait mettre en avant les innovations technologiques. Cela permettrait de voir naître une filière à part entière, pourvoyeuse d'emplois », poursuit-il. Reste à savoir si les urbains seront toujours intéressés par ces productions issues de la haute technologie, dont l'impact positif sur l'environnement reste à démontrer.

« Politiquement, l'agriculture urbaine va conduire à revoir les façons de penser l'agriculture des champs », souligne Antoine Poupart, directeur technique et développement chez InVivo. La réussite ou l'échec des projets actuels affecteront la vision des consommateurs sur l'agriculture. « Les citadins auront des références à leurs portes qui seront plus impactantes que la publicité ou les communiqués des organisations professionnelles agricoles (OPA) », juget- il. De nombreuses OPA souhaitent voir l'agriculture urbaine comme une opportunité de diversification pour les agriculteurs périurbains, avec peut-être des aides directes à la clé.

Ces derniers se sont d'ailleurs déjà ouverts aux attentes des urbains. L'aire d'influence de la ville s'étend bien au-delà du centre urbain et fait subir des modifications profondes aux communes rurales périphériques. Rien qu'en 2002, 44 % des exploitations agricoles françaises étaient déjà situées dans un espace à dominante urbaine (Agreste). Un phénomène qui ne fera que s'accentuer avec la métropolisation des territoires. A travers ce prisme, l'agriculture urbaine ne se limite alors plus aux toits et aux espaces intra-urbains mais à l'ensemble des activités agricoles qui entretiennent des relations avec la ville.

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