Non, la sélection génétique n'a pas unif Non, la sélection génétique n'a pas uniformisé l'assiette
La variabilité génétique permet de répondre à la demande de nouveaux marchés et d'accompagner l'adaptation des systèmes de production agricole, pour plus de diversité alimentaire.
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Des carottes violet tes , blanches ou jaunes, des tomates de toutes les couleurs, de la volaille de Bresse à la Géline de Touraine en passant par les labels ou les nuggets... L'agriculture offre une véritable palette de produits et de goûts à qui se donne la peine de chercher. Cette variété est le reflet de la diversité génétique des espèces et de la façon dont les entreprises de sélection l'utilisent. Encore faut-il qu'elles aient un débouché. Autrement dit, que l'aval des filières fasse part à l'amont de ses besoins, et s'engage. Car entretenir la diversité génétique, améliorer les variétés en place ou en créer de nouvelles coûte cher. « Vous devez être dans une chaîne cohérente de valeur, résume Christian Huyghe, directeur scientifique adjoint à l'agriculture de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra). Il ne peut y avoir de diversification à la production que s'il y a un aval capable de l'absorber. »
UNE OFFRE VARIÉTALE SUFFISANTE
Après la seconde guerre mondiale, la sélection s'est concentrée sur les critères de production. Aujourd'hui, des voies différentes s'ouvrent. Le marché peut même générer des variétés nouvelles comme le tournesol oléique. « Les premières ne sont pas forcément très bonnes car, au départ, la diversité est faible, observe Christian Huyghe. Puis l'offre progresse. L'amélioration variétale a créé ou plutôt a mis à disposition une diversité nouvelle. » Mais il y a tout de même une condition pour transformer l'essai : que l'offre variétale sur ces espèces de diversification soit suffisante, et avec à peu près la même espérance de progrès que sur les autres.
Le secteur laitier aussi est à l'aube d'une révolution : celle de la composition fine du lait (voir page 52). « Sélectionner pour avoir de plus en plus d'acides gras mono ou polyinsaturés devient possible, poursuit Christian Huyghe. Il ne faut pas oublier que tous les processus de sélection sont liés à une seule composante : l'obligation de se nourrir. Se préoccuper des acides gras du lait demande d'avoir levé les autres freins auparavant. Cela peut devenir un point prioritaire si l'industrie considère qu'il y a un marché. »
Malgré cela, le consommateur a le sentiment que l'agriculture a uniformisé le contenu de son assiette. Pourtant, il n'y a pas eu d'effondrement de la diversité des végétaux cultivés. « C'est plutôt l'uniformisation de la transformation que l'on impose derrière, souligne Christian Huyghe. Ce qui constitue la base de l'alimentation a dû s'homogénéiser beaucoup, notamment du fait de l'augmentation de la part de la restauration hors foyer et des process industriels. En revanche, nous gardons une très grande diversité des espèces, notamment au niveau de toute la partie potagère et fruitière. Une des raisons tient au nombre d'observateurs. La diversité arrive car une mutation se produit. Le point clef, c'est de capturer la mutation et la fixer. Le nombre d'individus observant contribue in fine à garder, à générer ou à identifier une très grande diversité. Cela se poursuit encore. »
Certes, les céréales mineures sont devenues encore plus mineures qu'avant. Mais elles n'ont pas disparu. C'est plutôt la courbe de distribution qui a changé. La diversité des variétés est une autre composante de la variabilité génétique. En blé tendre par exemple, cette diversité variétale est en accord avec une forme de modernisation de l'agriculture. Avant la première guerre mondiale, on est globalement sur des variétés de populations. Et après la deuxième, on est sur des variétés de lignées partout en France (lire page 54). Parfois, la diversité génétique a été générée sous l'effet d'une contrainte. C'est l'exemple du colza. Au début, est soupçonné un problème de risque cardio-vasculaire lié à l'acide érucique. Des variétés zéro, sans acide érucique, sont créées. Plus tard, on découvre les glucosinolates et on sélectionne des variétés double zéro. « Deux fois, coup sur coup, sous l'effet d'une contrainte, on a généré des marchés nouveaux, constate Christian Huyghe. Aujourd'hui, ce qui est intéressant, c'est que ces différents marchés coexistent. »
En élevage, des races ont disparu à cause de la simplification de certains modèles. En production laitière, la prim'holstein a gagné du terrain. Le progrès génétique se maintient au même niveau globalement depuis trente ans. La taille efficace de la population reste à peu près la même. Mais les races mineures le deviennent encore plus. La tendance est identique chez les races allaitantes mais beaucoup moins rapide. On voit aujourd'hui un effort très important vis-à-vis des races locales, qui ont des effectifs qui remontent pour conserver leur patrimoine génétique. Une race est aussi un véhicule de diversité culturelle. Cet aspect est beaucoup plus important avec les races animales qu'avec les espèces végétales.
Si la diversité génétique est source de diversité culturelle, c'est aussi une assurance pour le futur. « L'utilisation qu'on aura forcément dans les prochaines décennies concerne le changement climatique, signale Christian Huyghe. Ou encore la résistance génétique à des maladies qui n'existent pas aujourd'hui. » La question à se poser porte sur les usages de demain et donc le type d'espèces dont on aura besoin. On ne peut pas faire l'hypothèse que demain sera la continuation d'aujourd'hui. Les plantes à biomasse méritent réflexion. Tout le monde s'est jeté sur le miscanthus parce qu'il était disponible. Or c'est une espèce compliquée, pérenne, difficile à améliorer. Cela vaut la peine de creuser un peu plus.
Se développe aussi un intérêt pour les plantes d'interculture, car elles peuvent conduire à repenser totalement les systèmes de culture. On a commencé par utiliser les espèces déjà disponibles, donc la moutarde. On est allé chercher une espèce nouvelle, l'avoine rude. Demain, si on veut faire des cultures compagnes, c'est-à-dire qui rendent des services à la culture de vente, qui soient gélives, nous allons devoir cribler des espèces qui ne sont pas cultivées aujourd'hui. On a besoin de cette diversité et cela suppose deux choses. Les conservatoires, c'est-à-dire des endroits où on a conservé cette diversité (lire page 40) et des gens qui ont les compétences pour le faire.
Si certaines plantes ou races animales sont devenues mineures ou ont disparu, c'est aussi à cause de l'évolution des systèmes de production. Du côté végétal, les légumineuses à graines font les frais de la concurrence avec les céréales qui valorisent bien mieux le progrès génétique dans notre contexte pédo-climatique. « L'exemple, c'est le pois pour lequel vous avez en plus un parasite tellurique, rappelle Christian Huyghe. Ce parasite, avec ce déficit de compétitivité par rapport au blé, conduit à sortir cette plante de la zone fertile, où elle était cultivée. Elle reste présente dans des zones moins fertiles, où son rendement tombe encore plus vite. C'est donc les compétitivités respectives et les systèmes de culture qui en découlent, qui génèrent une évolution de la répartition des espèces. Ce n'est pas la diversité variétale. »
La simplification est un des moteurs de l'évolution des systèmes de culture : des exploitations sont de plus en plus grandes et on cherche à y conduire les différentes parcelles de la manière la plus uniforme possible. Une rotation avec deux espèces s'avère bien plus simple qu'avec cinq. « C'est ce système qui conduit à des formes d'impasse aujourd'hui, prévient Christian Huyghe. Vous avez, en moyenne, davantage de problèmes parasitaires qui se développent, davantage de bioagresseurs qui deviennent tolérants à peu près à tout. En monoculture de blé, vous allez finir par avoir des adventices, du piétin verse dans tous les sens. »
En élevage, remplacer une espèce par une autre pour rompre ces cycles n'est pas possible. Comment remplacer un antibiotique ou un antiparasitaire ? « Par une molécule d'origine naturelle, répond Christian Huyghe. Mais avec une préoccupation : les médicaments vétérinaires ou les produits phytosanitaires ont, en général, un effet extrêmement fort, presque instantané. Et vous allez devoir les remplacer par un produit dont l'action ne sera pas aussi drastique, et donc le combiner avec une évolution des systèmes de production. Il faut redessiner l'ensemble du système pour que cette nouvelle molécule fonctionne. »
Comment concevoir ces nouveaux systèmes de production agricole ? La génomique sera un outil. Elle n'en est qu'à ses débuts. Elle trouve toute son efficacité en production laitière où elle permet à la fois d'accélérer le progrès génétique et d'éviter les pertes de diversité génétique. Encore faudra-t-il rendre cet outil accessible à tous. Se détacher des systèmes actuels pour imaginer l'avenir est une autre clé de la réussite. Dans le secteur avicole par exemple, s'inspirer de l'Allemagne ne suffira pas à redresser la barre. « Il faut imaginer le modèle d'après, insiste Christian Huyghe. Il faudra exploiter l'ensemble de la diversité génétique dont nous disposons. Avec une question, celle de la propriété : à qui ces ressources génétiques appartiennent ? »
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