PRODUCTEURS-DISTRIBUTEURS DES EXPERIENCES HEUREUSES
Derrière les sempiternelles querelles, l'engouement des consommateurs pour les produits locaux constitue un nouveau terrain d'entente à cultiver entre producteurs et distributeurs. Pour peu que chacun sache s'adapter aux exigences de l'autre.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
On voit davantage d'agriculteurs démonter les roues des chariots de grandes surfaces, que faire la bise aux directeurs de magasin. Et pour cause : dans la guerre des prix qu'elles se livrent, les enseignes cristallisent les rancoeurs des producteurs en proie aux fluctuations des marchés. Les actions « coup de poing » et les fréquentes joutes oratoires ne doivent pourtant pas occulter l'évolution de leurs relations. Depuis une dizaine d'années, la grande distribution tente d'en finir avec la réputation de machine à presser ses petits fournisseurs qui lui colle à la peau. Obéissant à la demande des consommateurs, elle cherche à cultiver une image de terroir en développant l'approvisionnement local. « Le commerce n'est que le reflet de la société, explique Serge Papin, patron de Système U. On assiste aujourd'hui à un changement d'époque : nos clients veulent consommer mieux et cherchent la diversité. » Bref, le local est devenu un argument commercial. Et l'intérêt grandissant des distributeurs pour leurs voisins agriculteurs représente un terreau fertile pour de meilleures relations entre eux.
PARTAGE DE LA VALEUR AJOUTÉE
Outre le bénéfice d'image pour le distributeur, « les produits locaux ont une valeur que n'ont pas les autres produits et qui peut justifier un coût additionnel, note Olivier Dauvers, éditeur de la Tribune Grande Conso (1) et spécialiste du secteur. On peut gratter de la valeur ajoutée et se la partager ensuite. »
Un autre avantage concerne l'organisation logistique de l'approvisionnement. La proximité du fournisseur permet une réactivité que n'offre pas le système des centrales. En cas de rupture de stock, par exemple, il suffit d'appeler directement le producteur pour qu'il vienne vite compléter la gamme.
PART MARGINALE EN RAYON
Bien qu'ils soient considérés comme incontournables, les produits locaux restent marginaux dans les rayons. « Il n'existe pas de chiffres précis mais on estime à 5 % leur part dans le commerce alimentaire en grande distribution », indique Olivier Dauvers.
Pourquoi ce chiffre ne décolle-t-il pas, malgré l'engouement des consommateurs ? Il faut tout d'abord relativiser l'intérêt spontané des clients, qui ne correspond pas forcément à la réalité de leurs achats, rappelle l'observateur. Par ailleurs, « dès qu'une grande surface multiplie les flux avec des petites quantités, la performance économique devient difficile à tenir ».
DONNER DE LA VISIBILITÉ AUX PRODUCTEURS
La grande distribution fonctionne dans une logique de masse : pour être rentable, elle doit écouler des volumes minimum. Or, il apparaît impossible de négocier des denrées locales, fournies en quantité limitée, de la même manière que des produits nationaux de gros industriels, qui transitent par les centrales d'achat. Pour garantir les approvisionnements, les enseignes doivent organiser un traitement différencié de leurs fournisseurs. « Dans l'ensemble, elles cherchent à donner une visibilité pluriannuelle aux producteurs et groupements de producteurs avec qui elles travaillent en direct, constate Olivier Dauvers. Au point que certains ont voulu faire inscrire cette différenciation dans la loi Consommation, actuellement débattue devant le Parlement. »
Sur le terrain, cela passe par des démarches de contractualisation ciblées, comme l'« Engagement qualité » de Carrefour, qui réunit près de 20 000 producteurs, les « Alliances locales » de Leclerc, qui rendent visibles les partenariats existant localement, ou encore les « contrats tripartites – distributeur, transformateurs et producteurs – de Système U, qui favorisent les engagements sur le long terme.
INVESTIR DANS LES MARQUES
Reste que le monde de la production se caractérise par son extrême atomicité. Les agriculteurs doivent eux aussi s'organiser s'ils veulent satisfaire aux exigences de la grande distribution. Olivier Mevel, maître de conférence à l'université de Bretagne, les invite à « se rassembler et investir davantage dans l'intellectuel », c'est-à-dire les marques. « Le produit est silencieux en rayon. Il n'y a que la marque qui le fait parler », assure-t-il.
Des expériences heureuses en la matière se multiplient, surfant sur l'identité forte et la réputation gastronomique des territoires. En Dordogne, par exemple, Saveur du Périgord est devenue une marque de référence prisée des grandes surfaces, pour une large gamme de produits (lire l'encadré ci-dessus). Dans le Rhône, les soixante-dix producteurs de fruits et légumes de l'association Saveurs du coin bénéficient d'un espace dédié dans le magasin Auchan de Dardilly, près de Lyon, et y animent les ventes. En Auvergne, les éleveurs de la marque Volcagno travaillent avec les Simply Market (groupe Auchan) de leur région pour sécuriser la filière agneaux (lire page 46). Dans le Nord-Pas-de-Calais, la marque collective régionale Saveurs en or fête cette année ses dix ans !
Qu'elles soient lancées dans des magasins indépendants, où les directeurs sont maîtres chez eux, ou chez des intégrés, où tout doit se décider à l'échelon supérieur, ces initiatives reposent avant tout sur des « histoires d'hommes ». Des partenariats nés d'une volonté commune de faire bouger les lignes idéologiques dans la distribution alimentaire. Leur expansion reste donc autant soumise aux modes de consommation qu'aux bonnes volontés des acteurs de la filière. Ainsi qu'à la capacité des producteurs à conserver l'équilibre entre organisation structurelle et préservation de l'identité locale.
(1) Plus d'infos sur son site : www.olivierdauvers.fr
[summary id = "10022"]
Pour accéder à l'ensembles nos offres :