Eleveurs laitiers dans un labyrinthe Eleveurs laitiers dans un labyrinthe
Coincés par la crise laitière, ils souhaiteraient installer un de leurs fils en vaches allaitantes. Impossible sans primes.
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Le Gaec des Prairies, à Sillars, dans la Vienne, a dédié la quasi-totalité de ses 220 hectares au lait : 90 ha de prairies et luzerne, 80 ha de maïs ensilage et 50 ha de céréales et colza. Les trois frères Coutret livrent aujourd'hui près de 1 million de litres de lait par an à Terra Lacta. Une coopérative en difficulté qui devrait conclure un accord en juin avec Bongrain. Philippe Coutret, installé depuis 1985, s'interroge : « Nous ne savons pas grand-chose des tractations. Ce qui nous rassure, c'est que Terra Lacta n'est plus seule. Ce qui nous inquiète, c'est d'ignorer la quantité de lait que reprendra Bongrain.
AUCUN RESPECT
Seule certitude : le prix de base a chuté dans notre laiterie à 300 euros les 1 000 litres. Nous avons perdu 40 euros la tonne par mois dans notre trésorerie. » Cyril, installé en 1993, poursuit : « Nous avions réalisé une économie de 750 euros par mois sur l'alimentation en concentré de nos bêtes. Nos efforts d'adaptation sont absorbés par la baisse du lait et l'augmentation incroyable du coût de l'aliment. Il nous faudrait 360 €/1 000 litres pour vivre correctement, renouveler les investissements, réparer le matériel. » Philippe regrette : « Nous sommes isolés ici en lait, au risque de tomber dans l'oubli. Nous devons aller jusqu'à Poitiers pour certaines réunions techniques. Pour le contrôle laitier, c'est à Angoulême qu'il faut se déplacer. »
Malgré ces difficultés, les trois frères aiment leur métier. Damien, installé en 1991 après dix ans de travail salarié, ne jure que par le troupeau. « Mais nous avons l'impression que les primes Pac qu'on nous accorde autorisent la filière à dire “faites ce que l'on vous dit de faire”. Nous ne sommes plus respectés. »
L'ATELIER LAIT PERTURBÉ
Célestin, 19 ans, fils de Philippe, actuellement en apprentissage sur le Gaec, prépare son installation pour remplacer le quatrième frère Coutret, qui a quitté le métier l'an passé. Tous s'interrogent : faut-il augmenter leur quota laitier ou créer un troupeau complémentaire de vaches allaitantes ? Cyril commente : « D'après nos informations, Célestin aurait intérêt à s'installer maintenant pour récupérer une éventuelle référence pour de futurs quotas A. Il peut obtenir sans problème un quota de 200 000 litres. Mais cela signifierait une autre stabulation au-delà de 110 vaches et agrandir la salle de traite. » D'où l'idée de demander non pas un quota supplémentaire mais une vingtaine de primes pour vaches allaitantes : « Tous nos oeufs ne seraient plus dans le même panier. Et nous avons un hangar aménageable à moindre frais. Mais il n'est pas question de se lancer sans droit à prime », exclut Philipe.
Ce projet rencontre un obstacle majeur : impossible d'obtenir des PMTVA auprès de la direction départementale des territoires (DDT) de la Vienne : « Un jeune qui s'installe sur une structure viande en récupère. Mais Célestin, qui rejoint une structure laitière, où les cours sont au plus bas depuis trente ans, n'y a pas accès », se désole Cyril, qui vient d'adresser un courrier à la DDT.
Pour les aider à y voir clair, le Gaec des Prairies a fait appel à ses conseillers du CERFrance de Poitou-Charentes. Michel Debernard, consultant, connaît bien le milieu du lait : « Les éleveurs sont démoralisés quand ils comparent le travail fourni tous les jours et le revenu qu'ils en retirent. Alors que leurs voisins, céréaliers ou éleveurs de bovins allaitants, ont vu leur métier se revaloriser. » Ce sentiment de lassitude pèse lourd quand il faut rechercher un salarié, trouver un nouvel associé ou installer un enfant, comme chez les Coutret. Au moment de faire entrer un nouveau membre, les éleveurs se posent la question de « réduire la voilure » de l'exploitation ou de se lancer dans les céréales. Tout dépend du montant des annuités à couvrir, des capitaux à reprendre, de la surface de l'exploitation, de l'envie de voir arriver la relève et de l'âge des exploitants. « Nous étudions toutes les formules : associé, salarié. Nous sommes pressés mais pas trop », avance le père de Celestin, résumant le climat de totale incertitude qui pèse sur ces chefs d'exploitation.
PAS DE « TOUT-CÉRÉALE »
Sans présager des conclusions que tireront les associés du Gaec après cet appui, le recours au « tout-céréale » semble exclu. Damien précise : « Nos terres n'ont pas un gros potentiel, entre 40 et 50 q/ha. Et je ne sais pas si nous aimons la culture. Nous sommes éleveurs. » Conclusion unanime : en « tout-céréale », seul un des trois frères pourrait rester : aurait-il les moyens de racheter la totalité à ses frères ? Aux alentours, les terres qui se libèrent s'arrachent à prix élevé. « Et on ne peut pas lutter avec les investisseurs », note Cyril. Il veut continuer comme ses frères et son neveu, « même si nos partenaires profitent de notre passion pour notre métier. »
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