Des sportifs gagnés par la fièvre de la Des sportifs gagnés par la fièvre de la betterave rouge
Les athlètes se sont emparés des découvertes montrant un effet nitrates sur l'endurance et le coût en oxygène. Les JO ont été le point d'orgue de cet engouement.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
La scène est étonnante et se déroule face à une foule en liesse devant le palais de Buckingham, en présence du Premier ministre David Cameron (elle est visionnable sur YouTube). Nous sommes le 10 septembre 2012, c'est la cérémonie officielle de remerciement aux sportifs britanniques qui ont participé aux Jeux olympiques et paralympiques avec le succès que l'on connaît. On y entend le maire de Londres, Boris Johnson, à un moment de son discours vanter le fait que les athlètes du Royaume-Uni n'ont utilisé rien d'autre comme stimulant que... du jus de betterave rouge ! Et de citer en particulier le quadruple médaillé d'or David Weir (800 m, 1 500 m, 5 000 m, marathon), un sportif paralympique devenu héro national. Boris Johnson est certes un habitué de sorties un peu iconoclastes mais s'il se permet d'en parler publiquement, c'est que le recours à cette « potion magique » rouge framboise – avant et pendant la compétition – a été courant au sein de l'équipe olympique britannique et qu'en même temps, c'est tout à fait légal... Surtout, comme le raconte le même jour le maire de Londres sur son blog (abrité par The Daily Telegraph), c'est David Weir lui-même qui lui a révélé en avoir pris. Lors du marathon, qui était sa dernière épreuve aux JO, et après les cinq premiers miles, le sportif paralympique lui a confié qu'il était comme « apathique ». Et puis, rapporte-t-il, « j'ai eu un coup de fouet (...), un coup de fouet dû au jus de betterave rouge (...) Et ça a fait toute la différence. »
AU MOINS NEUF EQUIPES OLYMPIQUES CONCERNÉES
Cette histoire pourrait bien sûr prêter à sourire et être rangée illico au rayon de simple anecdote. Sauf qu'elle s'appuie sur une série de travaux scientifiques entamés trois ans plus tôt par l'université d'Exeter, sous la direction du Pr Andrew Jones. Et que, depuis cette date, le milieu sportif s'est largement emparé de ces découvertes : des coureurs de fond (comme le double médaillé d'or Mo Farah, dixit The New York Times, ou la médaillée d'or du 800 m Marylin Okoro), mais aussi des cyclistes, rameurs, marathoniens (Helen Decker, Ryan Hall, Chris Carver), nageurs (Ian Hulme), rugbymen (Ben Foden), etc. « carburent » à la betterave rouge ! Oui, l'utilisation de ce jus – à cause de sa richesse en nitrates – a bien été un phénomène marquant des JO 2012 : la presse anglo-saxonne en a abondamment parlé quand la presse française est restée totalement muette sur le sujet (voir l'avalanche d'articles dans nos compléments web).
Et cette pratique nutritionnelle n'a pas été l'apanage des seuls Britanniques. Comme le mentionne l'université d'Exeter sur son site, cinq autres équipes olympiques y ont eu recours dans leur préparation : Etats-Unis, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande et Pays-Bas. Une assertion confirmée par le principal fournisseur de ces équipes, la société anglaise James White Drinks, qui en rajoute trois autres à la liste (Belgique, Irlande, Norvège), tout en précisant que toutes les disciplines n'étaient pas concernées. Cette entreprise a mis au point une formule concentrée de jus, baptisée « Beet it », contenant de façon standard 400 mg ou 300 mg de nitrates (voir l'encadré page 50). De là à dire que c'est grâce à cela que ces sportifs ont remporté leurs médailles, personne ne s'y hasarderait. Mais dans le sport de haut niveau où les victoires se gagnent parfois à un cheveu, les coups de pouce permettant d'être plus endurant et de grapiller quelques fractions de seconde sont toujours les bienvenus...
AUGMENTATION DE L'ENDURANCE
Qu'ont donc démontré les équipes d'Exeter pour provoquer un tel engouement dans le monde sportif ? Que l'ingestion de jus de betterave rouge peu de temps avant une compétition a des effets physiologiques rapides et intéressants sur le plan de l'endurance, de la résistance avant épuisement, de la consommation en oxygène, du coût en énergie... Une fois ingérés, les nitrates contenus dans le jus boostent en effet la production d'oxyde nitrique dans l'organisme, suivant le processus décrit pages 43 et 45. Les vaisseaux sanguins se dilatent, la pression artérielle se relâche, le flux sanguin augmente et les muscles parviennent à utiliser l'oxygène plus efficacement. Au total, la tolérance à l'effort est augmentée.
L'étude qui a tout déclenché a été conduite en 2009 par l'université d'Exeter sur des cyclistes. A vrai dire, elle n'était pas totalement précurseur car le prestigieux Karolinska Institute (Suède) s'était déjà penché en 2007 sur l'effet des nitrates chez les sportifs mais en recourant à des comprimés de nitrate de sodium pour montrer – pour la première fois – un moindre coût en oxygène. Le fait qu'Exeter utilise une source naturelle et à la portée de tous a sûrement aidé à la diffusion dans la communauté sportive. En 2009 donc, l'équipe du Pr Jones a suivi huit cyclistes qui ont absorbé quotidiennement et pendant six jours 500 ml de jus de betterave rouge (soit près de 700 mg de nitrates à chaque prise). Ces cyclistes ont subi une batterie d'exercices d'intensité modérée à élevée, avec notamment des mesures au cyclo ergomètre. Il a été relevé dans l'épreuve d'intensité sévère que le temps avant épuisement était augmenté de 16 % par rapport au placebo. Une réduction de l'ordre de 2 % du temps nécessaire pour couvrir une même distance a aussi été observée. Une amélioration qui peut paraître modeste mais qui compte pour un sportif, a fortiori s'il est de haut niveau. Surtout, la consommation d'oxygène a été réduite. « Notre étude a été la première à montrer qu'une nourriture riche en nitrates pouvait augmenter l'endurance à l'exercice, commentait à l'époque le Pr Jones. Nous avons été surpris des effets du jus de betterave sur la consommation d'oxygène car ces effets ne peuvent être obtenus par aucun autre moyen connu, entraînement compris. » L'expérience a aussi révélé que la prise de jus de betterave avait permis à ces sujets jeunes (entre 19 et 38 ans) et qui ne souffraient pas d'hypertension, de réduire leur tension systolique (le premier chiffre que l'on vous donne chez le médecin).
MIEUX CERNER CE QUI SE PASSE
Depuis cette étude fondatrice, de nombreuses expériences liées à la physiologie sportive ont été menées pour mieux comprendre le phénomène, non seulement à l'université d'Exeter, qui reste à la pointe, mais aussi au Karolinska Institute – l'autre centre de référence sur la question des nitrates – ainsi qu'ailleurs dans le monde (université de Maastricht, université de Reading, université de St-Louis, etc.). Et les résultats fusent, comme le montrent les publications scientifiques recensées sur le site « PubMed » en tapant « dietary nitrate » ou « beetroot juice » (attention, tout est en anglais). Les francophones retrouveront vulgarisées et méticuleusement décrites les plus importantes d'entre elles sur le blog des nitrates (http://blog-nitrates.fr/). Les connaissances s'affinent donc : début 2011, en publiant dans la prestigieuse revue Cell Metabolism, le Karolinska Institute a prouvé que les nitrates amélioraient l'efficacité des mitochondries, ces centrales énergétiques en forme de haricot au coeur de la cellule humaine. On a là une part d'explication à la moindre consommation en oxygène durant l'effort, là où on n'avait que des présomptions. Une étude publiée en mai 2012 par l'université Mid-Sweden (en collaboration avec Exeter), avec des plongeurs en apnée bien entraînés, a montré que l'ingestion de jus de betterave concentré permettait de retenir sa respiration 11 % plus longtemps qu'avec un jus placebo. Un résultat susceptible d'intéresser les nageurs, les joueurs d'instruments à vent comme les trompettistes, les chanteurs d'opéra, bref tout ceux qui ont besoin de tenir longtemps en apnée... Sans oublier les insuffisants respiratoires, les alpinistes, etc.
RECHERCHES SUR LA DOSE RÉPONSE
Les chercheurs essaient aussi de savoir à partir de quelle dose de jus de betterave un effet est perçu et combien de temps avant une compétition il doit être absorbé. Car consommer un demi-litre par jour, ce n'est pas vraiment jouable sur un plan pratique ! Sur un 10 km, l'université de Maastricht en collaboration avec celle d'Hamilton (Ontario) a montré chez douze cyclistes entraînés (10 heures par semaine depuis dix ans) que les effets étaient observés avec 140 ml de jus concentré (soit 496 mg de nitrates) absorbé quotidiennement pendant six jours. En revanche, toujours selon Maastricht, mais dans le cadre d'une autre expérience, une prise unique de 540 mg de nitrates sous forme de jus concentré deux heures et demi avant l'effort n'a pas eu d'effet. Un résultat qui est en contradiction avec d'autres études précédentes, effectuées à Exeter et suivant le même protocole. Tout n'est donc pas encore élucidé quant aux conditions d'utilisation du jus de betterave rouge ! Des questions restent en suspens (voir aussi notre entretien avec Marc Francaux) : l'effet de la supplémentation dépend-il du niveau d'entraînement, de l'importance et de la durée de l'effort demandé, voire de l'âge ? Après une supplémentation orale longtemps répétée, l'effet favorable observé persiste-t-il ou, au contraire, finit-il par s'épuiser ? Des effets indésirables ou néfastes sont-ils ou non susceptibles d'apparaître à la longue ? Une chose est sûre : on n'a pas fini d'entendre parler de la betterave rouge dans les prochaines années... Qui l'eut cru ?
[summary id = "10022"]
Pour accéder à l'ensembles nos offres :