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7. Valoriser l'unité économique de l'ent 7. Valoriser l'unité économique de l'entreprise agricole

Le fonds agricole et son corollaire, le bail cessible, permettent de valoriser et de transmettre une exploitation sans la démanteler. Pourtant, ils peinent à s'imposer.

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Plus de 70 % des terres exploitées en France le sont en fermage. La surface moyenne mise à bail est de 7 ha, alors que la taille moyenne d'une exploitation est de 70 ha. Un fermier dépend donc, en moyenne, de dix propriétaires.

Le morcellement du foncier est un fléau pour la transmission de l'entreprise agricole. « Lors de la cession, le fermier voit généralement son exploitation démantelée. Outre la difficulté à valoriser financièrement ses moyens de production, c'est le travail de toute une vie qui s'évapore », déplore Sylvie Le Brun, présidente de la section nationale des fermiers et métayers (SNFM) de la FNSEA. Pour répondre à ce besoin de valorisation et de transmission de l'exploitation, la loi d'orientation agricole de 2006 a créé le fonds agricole et son corollaire, le bail cessible. Le fonds agricole permet la reconnaissance juridique des éléments qui composent l'entité économique. Sur le modèle du fonds de commerce, il peut comprendre l'ensemble des biens corporels (matériels, stocks, cheptel) et incorporels cessibles (DPU, clientèle, enseigne, brevets, certains droits à produire, parts sociales, contrats ou baux) nécessaires à la mise en valeur de l'exploitation. Le foncier n'en fait pas partie. C'est le « droit au bail » qui y figure, à condition qu'il soit cessible.

DES CONSEILLERS FRILEUX

Le Centre de formalité des entreprises (CFE), en six ans, n'a recensé que 735 fonds agricoles. Sa sous-utilisation n'est pas à chercher du côté d'un éventuel désintérêt pour ces outils, les spécialistes du droit rural sont unanimes. « Elle est d'abord imputable à une méconnaissance du bail cessible », affirme Christophe Gourgues, notaire à Mauléon (Pyrénées-Atlantiques). Pour y remédier, les correspondants en région de l'Inere (1) organisent, avec les experts-comptables, des formations pour faire découvrir le bail cessible. « L'objectif est qu'ils aient le réflexe d'y penser et voir s'il peut convenir à certains clients », explique maître Gourgues. Jean-Baptiste Millard, avocat ruraliste, relève aussi « l'absence d'enthousiasme des banques, qui ne font pas encore la promotion du fonds et de son nantissement pour l'obtention de financements ». La profession et les conseillers agricoles eux-mêmes sont frileux, plus enclins à pointer du doigt les lacunes juridiques de ces outils qu'à en louer les mérites.

DES BLOCAGES JURIDIQUES

Incontestablement, l'indemnité due au preneur en cas de non-renouvellement du bail est le principal frein à la conclusion des baux cessibles. « La rédaction de l'article L. 418-3 alinéa 3 du code rural laisse place à l'imagination, d'autant que la liste des postes indemnisables n'est pas exhaustive », souligne maître Millard. Avec la SAF (2), dont il est secrétaire général, il a formulé des améliorations du droit qui pourraient être intégrées dans la loi d'avenir agricole qui doit être votée à la fin de l'année. Pour que l'indemnité d'éviction n'annihile pas tout espoir de gain pour le bailleur sur la durée du bail, il propose notamment d'interdire le cumul de l'éviction avec celle due au preneur sortant au titre des améliorations apportées au fonds. Autre solution : renvoyer son calcul à un barème déterminé qui permet au propriétaire de connaître exactement ce qui lui en coûtera pour récupérer son bien. La SNFM a aussi des propositions d'amélioration à formuler dans le cadre de cette loi, comme la fixation du bail au niveau départemental. Mais ce ne sera probablement pas suffisant. La sous-utilisation de ces outils a aussi une explication historique.

UNE HISTOIRE DE PATRIMOINE

En France, ceux qui détiennent le foncier sont en majorité des agriculteurs, très attachés à la terre et à la liberté de choisir la personne à qui ils la confient. Pour Carole Robert, de l'APCA (chambres d'agriculture), la cessibilité du bail va à contre-courant de ce souhait : « Beaucoup de propriétaires se plaignent déjà des cas très limités de reprise. » Un raisonnement que Jean-Baptiste Millard relativise : « Pour certains bailleurs qui n'ont pas d'enfant souhaitant reprendre et pour d'autres, qui agissent en tant qu'investisseurs recherchant un certain niveau de rentabilité, le bail cessible peut être une solution. » La vision économique de l'entreprise peine à s'imposer face à une vision patrimoniale bien ancrée, tant chez les propriétaires exploitants que les fermiers. « L'agriculture est le seul milieu professionnel où on investit sans réfléchir au préalable si c'est rentable ou pas ! Nous ne sommes pas encore totalement entrepreneurs dans nos têtes », reconnaît Sylvie Le Brun.

Les activités équestres, reconnues par la loi sur le développement des territoires ruraux de 2005 comme activités agricoles, représentent 23 % des fonds existants. Le passage du fonds de commerce au fonds agricole a été une évidence. Pour les autres secteurs, l'assimilation du fonds agricole et du bail cessible comme outils de transmission nécessitera encore quelques années. D'autres outils ont eu du mal à s'imposer en leur temps, comme l'EARL, qui a eu besoin de dix ans.

OPTIMISATION FISCALE

Dans les départements au nord de la Loire, où la pratique (prohibée) du pas-de-porte est courante, le fonds agricole et le bail cessible pourraient se répandre plus vite qu'ailleurs. En effet, depuis 2010, l'interdiction du pas-de-porte, posée par l'article L. 411-74 du code rural, est levée pour les baux cessibles. Assouplissement juridique qui, du même coup, a permis de limiter les actions « en répétition de l'indu » auxquelles les avocats de ces régions ont été de plus en plus confrontés. « C'est devenu un véritable outil de transmission, confirme Laurent Verdez, avocat ruraliste à Boves, dans la Somme. Dans la pratique, quand le propriétaire exploitant cède, on crée le fonds agricole pour valoriser son activité et ses terres sont données par bail cessible hors cadre. » Ailleurs, certains ont trouvé une autre utilité au fonds agricole : l'optimisation fiscale. En Indre-et-Loire, par exemple, 200 fonds ont été déclarés entre 2006 et 2012. « C'est un département au carrefour de grandes infrastructures (autoroutes, LGV Tours-Bordeaux...), explique Joël Guignard, conseiller juridique et fiscal du Cecofiac, jusqu'à sa retraite fin 2012. En cas d'expropriation, l'existence d'un fonds agricole permet de négocier une indemnisation prenant en compte la dépréciation de leur entreprise. En outre, dans le cadre de la fiscalisation des indemnités, la création d'un fonds peut atténuer le poids des impôts. »

Le fonds agricole n'est pas le premier outil à être « détourné » de son utilisation première. L'EARL, créée pour séparer patrimoines privé et professionnel, a servi à installer des couples. Le Gaec, créé pour regrouper des exploitations, a permis des installations père-fils. Le fonds a donc sûrement de beaux jours devant lui.

(1) Institut notarial de l'espace rural et agricole. (2) La Société des agriculteurs de France, dans son rapport « Pour une nouvelle politique du foncier ».

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