Transmission-reprise De reprise en rupture (22-02-2013)
Le développement d'exploitations « atypiques » rompt le schéma préexistant de transmission en agriculture. Plus petites et attachées au développement local, elles n'en sont pas moins viables économiquement.
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A l'heure actuelle, il n'existe pas d'étude nationale sur le type de productions et les profils de ces agriculteurs « en rupture » avec les installations « classiques ».
Une étude du Cnasea, réalisée en 2007 sur trois départements de l'Ouest (Finistère, Loire-Atlantique et Maine-et-Loire), permet, par extrapolation, de les mesurer et les identifier.
Ces exploitations « atypiques » représentent 3 % des exploitations professionnelles, soit environ 15.000 au niveau national, dont 65 % hors cadre familial.
« Les projets en rupture avec le mode d'exploitation précédent existent aussi dans le cadre familial, mais ne voient souvent le jour que plusieurs années après la reprise », souligne Cécile Belin, animatrice pour le Gabor (Groupement des agriculteurs bio du Loiret).
Production à forte valeur ajoutée
Le moment de l'installation est souvent délicat. Les propriétaires fonciers se méfient de ces exploitants dont ils doutent du succès. Les locations de terres n'étant pas évidentes, l'acquisition de foncier peut devenir l'unique solution (voir Des outils et des partenaires pour alléger le coût du foncier).
Conséquences : la surface moyenne à l'installation de ces exploitations est 20 à 25 % inférieure à celle des « classiques », ce qui conditionne aussi le choix des productions.
Les « atypiques » privilégient également la recherche d'une plus grande valeur ajoutée plutôt que la quantité et, presque systématiquement, leurs productions sont commercialisées en circuits courts. Ils se révèlent aussi très attentifs aux performances agronomiques et environnementales du processus de production qu'ils mettent en oeuvre.
Qualité de l'eau et des sols, biodiversité sont au centre de leurs préoccupations qui portent souvent une idée de « développement durable ». Ces nouveaux profils d'agriculteurs s'orientent en grande partie vers la bio ou vers des systèmes combinant cultures végétales et élevages.
Avec ces « nouveaux agriculteurs », « le schéma préexistant en deux phases (cohabitation puis succession) des transmissions en agriculture est bouleversé. Dorénavant, le patrimoine est saucissonné. Certaines choses se vendent, d'autres se louent, d'autres se prêtent, d'autres se donnent », explique Marie Guillet, sociologue (1).
Changer de vie
Sylvie Karquet n'est pas issue du monde agricole. Après des années à travailler dans l'agroalimentaire, elle veut changer de vie. Avec son ami, elle rêve de monter un projet à la campagne dans le commerce équitable ou en bio. « Je voulais me mettre à mon compte », explique-t-elle. L'idée de s'installer en maraîchage bio « vient naturellement » et ce malgré son manque d'expérience.
« Je cultivais mon jardin et j'aimais ça » mais de là à en faire un métier, il y a un fossé. Sylvie ne se démotive pas. De fermes en fermes, de rencontres en rencontres, elle réalise que « c'est possible sur une petite structure ». Elle commence à y réfléchir très sérieusement en 2006 et démarre son parcours à l'installation en Ile-de-France (stage de 40 heures et plan de développement d'exploitation ou PDE).
« C'était le début des Amap (2). Il y avait beaucoup de demandes », se souvient-elle. La rencontre avec son cédant, Jean-Jack Couturier, s'est faite par hasard, par l'entremise un ami commun.
L'exploitation, située à Léouville, dans le Loiret, est alors une ferme d'un peu moins de 100 hectares en céréales. Dans ce département, 77 % des exploitations sont en grandes cultures et seulement 1 % de la SAU est en bio.
« Au début, mon ami et moi pensions que l'exploitation ne serait pas à même d'accueillir notre projet, se rappelle Sylvie. Nous avons rencontré Jean-Jack Couturier par politesse. »
La bâtisse en pierres et les terres irrigables autour ont eu raison de leurs réticences. L'exploitant, qui prenait sa retraite, avait mis une vie à acquérir les murs et les terres, « il était en faire-valoir direct sur l'ensemble de son exploitation », précise Sylvie.
Il y avait beaucoup de repreneurs potentiels pour les terres, mais très peu pour les bâtiments en vieilles pierres, peu propices au développement des grandes cultures. Cette particularité a permis à Sylvie, trois ans après le lancement de leur projet, de disposer d'un endroit pour s'installer.
« J'étais d'accord pour acheter le corps de ferme à la condition de pouvoir disposer de cinq hectares à proximité pour le développement de mon activité », raconte-t-elle. Le cédant a accepté. C'était le seul moyen de vendre ces vieilles pierres et de partir couler une retraite paisible dans la Charente-Maritime.
Projet décalé
Cette rupture avec son propre mode d'exploitation n'a pas choqué Jean-Jack. Lui-même s'était installé hors du cadre familial. Sylvie sait pourtant qu'après tant d'années de travail, « voir partir son outil de façon aussi morcelée » n'a pas été facile.
« Lorsque nous sommes arrivés dans les lieux à la fin de 2008, l'ancien exploitant avait déjà vendu tout son matériel à des voisins, commerciaux ou ferrailleurs. » Les terres ont été louées : environ 95 hectares sont partis agrandir des fermes voisines et Sylvie a pris à bail le reste.
« Avant de me faire signer, Jean-Jack m'a posé de nombreuses questions techniques, pour s'assurer que je n'étais pas une farfelue et que mon projet tenait bien la route », rappelle-t-elle. Sylvie exploite aujourd'hui cinq hectares de légumes et luzernes dont 1.400 m² sont sous abris froids.
Elle vend la totalité de sa production en circuits courts : 60 % en Amap (80 % au début de son activité) et le reste sous forme de « paniers fraîcheurs » en gare SNCF ou directement à la ferme. Un parcours qui n'entame pas ses relations avec ses voisins.
« Je ne me suis jamais sentie une étrangère, raconte-t-elle. Mais je n'ai pas apporté le bio comme un étendard. » Elle découvre même un monde particulièrement solidaire, « beaucoup de voisins sont venus m'aider matériellement à mes débuts et continuent à le faire sur des aspects plus techniques.
Je pense qu'ils attendaient de voir la tournure que prenaient les choses pour me juger, badine-t-elle. Et cinq ans après je suis toujours là ! » En pleine Beauce, Sylvie fait aussi figure de pionnière, car elle emploie d'un à quatre salariés selon les saisons (temps plein à l'année ou en saison, temps partiel, apprenti).
« Je ne conçois pas une entreprise sans employés. Même si cela représente de loin ma plus grosse charge financière, je suis fière de contribuer à faire vivre plusieurs foyers », rétorque-t-elle.
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(1) Citée dans Le Monde agricole en tendances (2012).
(2) Association pour le maintien d'une agriculture paysanne.
Des exploitations moins rentables mais viables
Le moteur essentiel des installations « atypiques » est l'aboutissement d'un projet de vie permettant l'épanouissement à la fois professionnel et personnel. Toutefois, d'un point de vue financier, la situation est plus fragile.
L'excédent brut d'exploitation (EBE) est pratiquement divisé par deux. Dans l'étude du Cnasea, l'EBE trois ans après installation est de 25.000 € pour les « atypiques » contre 47.000 € pour les « classiques ».
Malgré une valeur ajoutée plus importante et un endettement plus faible, une part non négligeable « d'atypiques » vit avec moins d'un Smic.
Sur le long terme, la viabilité et l'efficience de ces exploitations ne sont pas discutables. Elles sont d'ailleurs toute aussi présentes que les installations « classiques » après dix ans d'exercice.
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