Pac 2014 Trouver la bonne nuance de vert
L'avance prise en matière environnementale sur ses voisins place la France dans une position favorable pour la négociation. Mais la vigilance est de mise jusqu'à l'accord final. Les derniers réglages peuvent rapporter ou pénaliser.
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Après 2013, 30 % des aides seront versées en contrepartie de la mise en place de pratiques vertes. « Pour faire du vert, il faut du bleu, du jaune et un peu d'expérience pour que la couleur soit belle à l'arrivée.
L'objectif n'est pas de peindre l'agriculture en vert », déclarait le commissaire européen à l'Agriculture le 2 octobre 2012 au congrès du Copa-Cogeca, le syndicat agricole européen dont sont membres la FNSEA et Coop de France.
Pour trouver la bonne nuance de vert, Dacian Ciolos exige de tous les agriculteurs européens une diversité des cultures, la création de « surfaces d'intérêt écologique » et le maintien des prairies permanentes.
Au-delà des bénéfices écologiques attendus sur le climat et l'environnement car on espère que la mesure n'est pas seulement un prétexte pour légitimer la Pac aux yeux de la société civile, quels peuvent être effets sur les assolements des exploitations françaises ?
Trois mesures sinon rien
Plusieurs Etats membres et députés européens réclament un menu qui comprendrait une dizaine de mesures laissées aux choix de l'exploitant. Une ligne rouge que Ciolos refuse de franchir : « Les agriculteurs seraient les premières victimes de cette approche à la carte. Elle peut séduire au début, parce qu'on donne l'impression de faire plaisir à tout le monde. En fait, avec un menu, on sème la zizanie, on crée des distorsions entre agriculteurs européens et, in fine, on fâche tout le monde. »
Ce seront donc trois mesures, les mêmes partout en Europe... sauf surprise de dernière minute, dans les négociations.
Ce choix est approuvé par Paris, à condition d'aménager de la flexibilité.
1. Diversité des cultures
• Pour les exploitations ayant plus de trois hectares de cultures arables, la Commission européenne propose la présence d'au moins trois cultures. La plus importante représentant au plus 70 % des terres arables et la troisième au moins 5 %.
Pour le ministère de l'Ecologie, « ce dispositif est à un niveau d'exigence intermédiaire entre la BCAE (1) et le dispositif de diversité des assolements de l'article68 mis en place en France ».
• Une étude de son Commissariat général au développement durable (CGDD) de juillet 2012 montre en effet qu'entre 2006 et 2009, sur 372.000 déclarations de surfaces, plus de 75 % des exploitations françaises sont déjà dans les clous, dont un quart du fait des seuils de surface (21 % des exploitations ont une sole cultivée inférieure à 3 ha) et des cas particuliers introduits (4 % des exploitations ont une sole 100 % herbagère et sont à ce titre exemptées de la mesure).
• Dacian Ciolos a déjà lâché du lest. Les prairies temporaires compteront dans les trois cultures différentes. Il relève aussi de 3 à 10 ha le seuil en dessous duquel les exploitations n'ont pas à diversifier leur assolement et exempte les exploitations qui comptent entre 70 et 80 % de prairies permanentes (le pourcentage n'est pas encore arrêté).
Ces deux avancées permettent de diviser par deux le nombre d'exploitations françaises non conformes, soit environ 12 %. Celles de monoculture de maïs, dans les zones d'élevage où la sole cultivée est limitée par rapport aux prairies permanentes, n'auraient donc pas à adapter leurs pratiques.
L'effort va concerner les céréaliers en monoculture de maïs en Alsace et en Aquitaine, et ceux en monoculture de blé dur dans la Provence-Alpes-Côte d'Azur et dans le Languedoc-Roussillon. Aucune clémence n'est à espérer.
2. Surfaces écologiques
• Les agriculteurs devront veiller à ce qu'au moins 7 % des surfaces arables et cultures permanentes soient affectés à des surfaces d'intérêt écologique (SIE). « Ce n'est pas de la jachère », martèle Dacian Ciolos à chacune de ses interventions.
Cette mesure se rapproche de ce qui existe déjà en France dans le cadre des SET (surfaces équivalentes topographiques) : bandes tampons, haies, arbres isolés, lisière de bois, vergers de haute tige, landes...
En 2011, les exploitations françaises consacraient 3 % de leur sole cultivée aux SET. Le gouvernement en demande 4 % pour 2013. La marche sera haute pour atteindre 7% dès 2014.
• Pourtant, une étude du CGDD d'octobre 2012 montre que « la plupart des exploitations » présentent déjà plus de 10 % de SIE (sans présager des modalités de calcul et de pondération qui seront déterminées par la Commission).
En ce qui concerne la SAU (surface agricole utile) des communes, 99 % d'entre elles ont un taux de SET supérieur à 10 %. Seules 60 communes n'atteignent pas ce taux : 34 affichent entre 7 et 10 % de SET et donc répondent aux exigences européennes.
Au bout du compte, seules 26 ont moins de 2 % de SET. Le déficit de SET se concentrerait dans le Nord-Pas-de-Calais, la Haute-Normandie, la Picardie, la Champagne-Ardenne et, dans une moindre mesure, dans le Centre et l'lle-de-France (voir la carte ci-dessus).
• De vives discussions animent les Etats membres sur la possibilité de mettre en culture ces surfaces. Une ouverture serait possible pour les cultures « vertueuses pour l'environnement ». Les légumineuses fourragères seraient ainsi reconnues mais, en contrepartie, exclues de la mesure « diversification ».
La Commission semble réticente à tenir compte d'autres cultures protéagineuses, comme le lin ou le chanvre, trop gourmandes en intrants.
En revanche, se rangeant ainsi du côté des propositions de Paris, Bruxelles accepte une gestion partiellement collective de ces SIE. A titre individuel, chaque exploitation n'aurait plus qu'à respecter un taux de 3 à 4 % de SIE, ce qui pourrait faire l'affaire de la quasi-totalité des exploitations de l'Hexagone.
3. Prairies permanentes
• Les agriculteurs devront maintenir enherbées en permanence les surfaces de leurs exploitations déclarées en tant que prairies permanentes (PP). En théorie, un éleveur qui se convertirait en céréales et retournerait ses prairies perdrait le bénéfice du paiement vert. Une tolérance de retournement de 5 % au maximum est introduite.
L'année de référence retenue est 2014, avec un contrôle rigoureux la première année, pour éviter les retournements abusifs par rapport à 2013, prévient Bruxelles.
• Le ratio de PP sur SAU sera contrôlé au niveau de chaque exploitation, alors qu'aujourd'hui Bruxelles n'impose qu'un ratio national. En « bonne élève », la France avait déjà passé ce cap.
Résultat mitigé. Les déclarations fictives se sont multipliées. Paris devra convaincre de l'inefficacité de l'exigence pour obtenir sa suppression.
• Dacian Ciolos prévoit d'élargir la définition des PP aux superficies de pâturage traditionnel « majoritairement herbacées » et d'allonger leur durée de cinq à huit ans, ce qui devrait donner quelques marges de manoeuvre aux éleveurs dans leur assolement.
Des marges de négociation
Le commissaire européen à l'Agriculture avait imaginé trois mesures « plus ambitieuses » que celles présentées ci-avant.
Par exemple, il imposait initialement la rotation des cultures plutôt que leur diversité, mais les Etats membres ont trouvé l'obligation trop coûteuse et trop compliquée à contrôler sur place.
Dacian Ciolos a montré des flexibilités très tôt dans la négociation. Une souplesse nécessaire à la France pour ensuite adapter la réforme sur son territoire, sans bouleverser l'équilibre économique de ses exploitations.
Un mot clef régit la négociation : « équivalence ». La Commission est prête à considérer certaines pratiques comme « vertes » et, à ce titre, éligibles aux 30 % d'aide forfaitaire. A condition qu'elles aient le même effet sur les sols, l'eau et la biodiversité que les trois mesures qu'elle propose. Les exploitations 100 % bio ont été les premières à bénéficier de cette équivalence.
La France demande que les exploitations certifiées bénéficient du même traitement. A charge pour elles d'apporter la preuve des bénéfices écologiques de la certification pour obtenir gain de cause.
La partie devra prendre fin au plus tard en mars 2013, pour avoir une chance que la réforme de la Pac puisse s'appliquer le 1er janvier 2014 comme prévu.
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(1) Bonnes conditions agroenvironnementales.
Paiement vert
C'est une aide forfaitaire d'environ 90 €/ha calculée sur la base d'un DPU moyen en France de 300 €/ha et d'hectares éligibles constants.
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