RÉFORME TERRITORIALE POURQUOI LES ÉLUS RURAUX SE REBIFFENT
Les élus soulignent les nuisances des réformes en cours sur la dynamique du monde rural. Après l'électrochoc sénatorial, ils espèrent être entendus.
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« Ils sont venus. Ils sont tous là ! » C'est le couplet que pourraient entonner les élus ruraux après les congrès qui viennent de s'enchaîner. Jean-Pierre Bel, tout nouveau président du Sénat, s'est déplacé à Monts-sur-Guesnes (Vienne) à l'occasion des 40 ans de l'Association des maires ruraux de France (AMRF). A Bonneville, en Haute-Savoie, quatre ministres se sont succédé à la tribune du congrès de l'Association nationale des élus de montagne (Anem). Si l'on ajoute le déplacement du président de la République et celui de la candidate socialiste (malheureuse) en Creuse, le monde politique est aux petits oignons, au moins sur les estrades, pour le monde rural.
Tous le disent : ils aiment et défendent la ruralité. Les élections sénatoriales sont passées par là, installant pour la première fois un élu de gauche à la tête de la vénérable institution. Ce coup de semonce à l'approche des présidentielles en a surpris plus d'un. Mais pas les maires ruraux qui s'époumonent depuis 2008.
Tout a commencé avec le débat sur le « mille-feuille territorial », suivi par l'adoption de la loi sur la réforme territoriale en 2010. Les ruraux n'en peuvent plus de subir la dictature du modèle de la ville, référence unique pour l'organisation du territoire. « Nous ne sommes pas dans la plainte, dans la défense des intérêts particuliers de nos élus, précise Vanick Berberian, président de l'AMRF et maire de Gargilesse-Dampierre, dans l'Indre. Nos territoires ruraux sont vivants, riches de projets. Mais nous nous battons contre les mesures basées uniquement sur le nombre d'habitants. La méthode appliquée par les préfets dans l'application de la réforme territoriale a parfois été violente, les délais intenables. Les nouveaux périmètres des intercommunalités ont été décidés avant même de savoir ce que l'on allait y faire, sans estimation financière, sans véritable concertation. Les élus ruraux soutiennent depuis longtemps l'intercommunalité mais quand elle permet de faire volontairement ensemble ce que l'on ne peut faire seul. »
La loi sur la réforme territoriale adoptée fin 2010 comporte un volet sur l'intercommunalité dont voici quelques grands principes : fini les communautés de communes de moins de 5 000 habitants, sauf en montagne ; fini les communes dites « isolées » qui devront adhérer à un EPCI (établissement public de coopération intercommunal), c'est-à-dire dans le rural à une communauté de communes ; fini aussi la discontinuité territoriale qui concerne 158 EPCI ; enfin, il faudra faire le ménage dans les 15 000 syndicats de communes et les syndicats mixtes. Ils ont été créés au fil du temps pour faciliter l'organisation des écoles, des transports, de la distribution de l'eau. Les communes appréciaient ces outils souples et adaptés à des réalités locales à géométrie variable. Mais aujourd'hui, certains ne sont plus actifs ou font doublon avec les structures intercommunales.
Le calendrier imposé pour cette réforme a été tenu de main de fer par les préfets : désignation des élus qui siègent à la nouvelle Commission départementale de la coopération intercommunale ; présentation au printemps des nouveaux périmètres des intercommunalités qui devront être débattus avant une adoption définitive en décembre. Dans un premier temps, les préfets y sont allés à la serpe, proposant la disparition de la moitié des EPCI. Pour finalement revenir en juin avec des propositions un peu plus acceptables, avec une baisse de 35 % du nombre d'intercommunalités, qui passeraient de 2 599 à 1 800. Les élus ruraux, « les petits maires » comme le dira négligemment un préfet autoritaire, ont eu l'impression d'être broyés sous la loi du nombre.
NON À LA MARCHE FORCÉE
L'inépuisable sénateur et vice-président des maires ruraux, Pierre-Yves Collombat, tonne : « D'un département à l'autre, l'attitude des préfets a été déterminante. Dans mon intercommunalité, nous étions seize communes. Le préfet voulait que l'on passe à trente-huit, avec un conseil où les deux tiers des communes auraient un seul représentant. Et s'il n'y avait que les préfets ! Certains présidents d'intercommunalité se voient en archevêque, à la tête de grandes structures XXL. La réforme met la charrue avant les boeufs : elle délimite les périmètres de futures intercommunalités sans réfléchir aux compétences. » Les intercommunalités ont en moyenne huit compétences déléguées mais elles diffèrent d'une communauté à l'autre. Les petites en ont souvent intégré davantage pour être plus efficaces, l'école et la petite enfance en particulier. « Les maires ruraux ont été les premiers à mettre l'accent sur l'intercommunalité, avec des transferts de compétences au cas par cas, poursuit Pierre-Yves Collombat. Nous sommes d'accord pour remettre le métier sur l'ouvrage mais intelligemment, pas en pleine crise économique. Sans oublier que nous subissons une réforme fiscale encore inachevée. L'objectif de cette loi est de faire disparaître les communes dans l'intercommunalité. Historiquement, la commune est la brique fondamentale : c'est elle qui délègue ses compétences. »
Selon Pierre Bretel, délégué général de l'Anem, « les préfets raisonnent trop sur des cartes à plat, sans tenir compte que, parfois entre deux vallées, les communes distantes de 10 km à vol d'oiseau sont à presque une heure de route. » Jean Milesi, vice-président du conseil général de l'Aveyron et maire de Mélagues (100 habitants) poursuit : « Sur le terrain, ça bouge, contrairement à ce que soupçonne l'Etat : les communes isolées se rapprochent des intercommunalités. En outre, les fusions envisagées ne se font pas forcément entre intercommunalités complètes : certaines communes en profitent pour aller vers leur véritable bassin de vie. » Sans oublier les communes riches qui sont courtisées par d'autres EPCI. Que deviennent les communautés de communes lorsqu'une des leurs, à fort potentiel, s'en va, qui plus est avec une halte-garderie ou la déchetterie de la communauté ?
RÉFORME À L'ANCIENNE
Yves Jean, ancien élu d'une commune rurale et enseignant en géographie à la faculté de Poitiers, s'agace : « L'Etat raisonne comme en 1970, dans le souci du contrôle. Il n'arrive pas à coélaborer les politiques publiques. A l'heure des réseaux, des échanges multiples, il veut figer chaque partie du territoire dans la même maille. Ne raisonnons pas structure mais efficacité. En 2011, on peut articuler proximité et qualité. Tout le monde a besoin de l'éducation, du transport, de la santé des sociétés de services ! Mais le même territoire n'est pas pertinent pour tout : l'école a son rythme, le développement économique un autre espace, les transports encore d'autres logiques de territoire. Certaines choses se font à trois, d'autres à vingt ! » Pierre-Yves Collombat insiste : « Ils cherchent la circonscription à tout faire, des accouchements au déneigement. Cela n'existe pas. »
L'élection de Jean-Pierre Bel, nouveau président du Sénat, élu de montagne, a donc sonné comme une bonne nouvelle aux oreilles de bien des élus ruraux de gauche mais aussi de droite : « J'ai demandé de ne mener cette procédure à son terme que lorsqu'un consensus se dégagera », a-t-il déclaré devant le congrès de l'AMRF. La date du 31 décembre, bien qu'inscrite dans la loi, ne serait plus impérative pour les schémas départementaux qui posent problème », selon le ministre des collectivités territoriales, Philippe Richert. Il estime qu'au moins cinq départements ne seront pas prêts et pourraient travailler sur les périmètres jusqu'en juin 2012.
UNE LOI QUI SE DÉTRICOTE
Alors, face à tant de contestations, la loi passera-t-elle à la trappe ? Pas entièrement, semble-t-il. Certes, le volet de la loi qui concerne la création de conseillers territoriaux sensés remplacer les conseillers généraux et régionaux a du plomb dans l'aile. Certes, lors de son voyage en Creuse, le président de la République a chargé Pierre Morel-à-l'Huissier, député et fondateur au sein de l'UMP du collectif « Droite rurale » d'un rapport sur les normes exigées du milieu rural. Ce député avait attribué l'échec de la majorité aux élections sénatoriales à « la cécité et l'autisme » du gouvernement vis-à-vis des territoires ruraux. Mais la réforme des collectivités ne semble pas figurer sur sa feuille de route.
Enfin, tout le monde ne veut pas la mort de cette loi. Daniel Delaveau, président de l'Association des communautés de France, qui fédère 1 200 communautés de communes, a précisé, à la fin de son congrès, le 13 octobre : « A nous, les élus locaux, d'écrire la nouvelle page. Nous demandons un assouplissement, pas un moratoire. » En réponse, Philippe Richert a admis que « la révision de la carte intercommunale ne doit pas être une course au gigantisme ». Il a évoqué les assouplissements possibles de la loi devant les élus un peu sceptiques : une clause de revoyure en 2015, un accord sur des schémas départementaux même s'ils ne sont pas entièrement fixés, le maintien voire la création de syndicats pour régler l'attribution de certaines compétences non partagées entre les communautés qui vont fusionner. Pour simplifier, il faudra commencer par complexifier. Quant aux élus ruraux, ils continueront à s'exprimer avec l'énergie du territoire pour que « ce mille-feuille devenu pudding » ne les étouffe pas.
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