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AGRICULTEURS EN DIFFICULTÉ QUAND LA TRÉSORERIE VIENT À MANQUER

La crise malmène des entreprises en phase d'investissement. Eleveurs bovins et porcins sont particulièrement touchés. Pour l'instant, le nombre de dossiers en souffrance n'est pas connu.

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« Rien ne distingue aujourd'hui une exploitation en difficulté de sa voisine lorsqu'on arrive dans la cour de la ferme. Il y a quelques années, ce n'était pas le cas », explique Yvan Lagrost, conseiller élevage dans le Cher. Les spécialistes qui suivent les dossiers « agridif » dans la Marne, les Deux-Sèvres ou en Bretagne partagent le même avis : il y a dix ans, ils accompagnaient de petites entreprises éjectées par la modernisation. Aujourd'hui, les entreprises ébranlées sont le plus souvent en plein développement, avec des encours de prêts élevés.

Dominique de Becdelièvre, responsable de la cellule « relance et perspectives » de la chambre d'agriculture du Cher, témoigne : « Sur 24 dossiers déposés en 2010, le passif moyen est de 290 000 euros. Cinq dossiers dépassent 500 000 euros. Cinq sont en procédure judiciaire. La surface moyenne de ces 24 exploitations approche 140 ha. L'âge moyen des exploitants est de 46 ans. »

Dans le Cher, les élevages allaitants sont les plus touchés. Ils souffrent de trois maux : la baisse du prix de la viande, la hausse de 35 % du coût alimentaire, les conséquences des crises sanitaires (FCO, BVD) sur la fertilité des troupeaux et sur la hausse des frais vétérinaires (4 000 euros dans certaines exploitations). Yvan Lagrost remarque : « Ici, les exploitations se sont agrandies. L'augmentation de la taille du troupeau a tendu les trésoreries mais également la charge de travail. Et cela peut vite déraper sur l'aspect technique : 1 kg de grain en trop pour 100 vaches pendant 150 jours en hiver, cela monte vite à 3 000 euros. » Parfois, les économies d'échelle fonctionnent à l'envers.

PAS DE FONDS DE ROULEMENT

Gilbert Godet, directeur de l'Adasea de la Marne, a reçu 250 dossiers lors de la mise en place de procédures exceptionnelles de Dacs-agri (dispositif d'accompagnement spécifique des agriculteurs en difficulté) : « C'est hélas le record en Champagne-Ardennes. S'y retrouvent des agriculteurs entreprenants qui se sont lancés sans fonds de roulement et qui ont connu une mauvaise année. D'autres se sont trop focalisés sur l'optimisation sociale ou fiscale au détriment du raisonnement sur le revenu. Sur ces 250 dossiers, 60 ont été dirigés vers notre cellule agridif, baptisée « Réagir ». Les autres seront à surveiller dans les années à venir. »

Pour Anne-Yvonne Hénot, directrice du conseil du CER du Finistère, la crise actuelle est celle des coûts de production. « En production porcine, au troisième trimestre 2010, les coûts de l'aliment représentaient 57 % du prix du kilo de carcasse. En juin 2011, on sera à 64 %. La sanction est immédiate : 18 % des exploitations ont un endettement qui dépasse 100 %, contre 9 % en 2007. Et 5 à 7 % des exploitations porcines pourraient changer de mains dans les années qui viennent. En lait, les prix se sont un peu relevés, même s'ils ne rémunèrent pas la main-d'oeuvre. Les ateliers sont passés de 288 000 litres de quotas à 331 000 en trois ans. Les situations difficiles semblent plus redressables qu'en porc. »

LE PLAN 2010 A DONNÉ DE L'AIR

L'Etat est intervenu massivement depuis deux ans par des plans successifs d'aides. Le fameux PSEA (plan de sauvegarde des exploitations agricoles) a touché, l'an passé, près d'une exploitation sur deux (lire l'encadré page 48). De l'avis général, il a apporté de l'air aux exploitations. André Burbaud, du CER 79, a suivi ce dossier dans les Deux-Sèvres : « Tous les secteurs de l'élevage étaient présents : chèvre, ovin, viande et lait. Les dispositifs PSEA et Dacs-agri ont permis à beaucoup de limiter la casse. Les exploitations qui se partagent entre animaux et céréales s'en sortent aujourd'hui. Celles qui achètent davantage d'aliments à l'extérieur sont plus touchées. En lait, l'équilibre revient mais le travail est toujours aussi peu rémunéré. Cette crise sera un frein à l'intensification qui caractérisait ces dernières années l'élevage en Poitou-Charente. Sur les 300 dossiers analysés en Dacs-agri, 90 % ont trouvé une solution. Pour quelques dossiers, le dépôt de bilan que je nomme à dessein “procédure de sauvegarde de l'entreprise” sera la solution. » Il faut évidement analyser à fond le dossier, être certain de l'engagement de l'exploitant. Le dépôt de bilan donne deux ans de répit pour se reprendre. « Dans trois cas sur quatre, les exploitants tiennent leur plan de redressement. Même si certains changent d'activité », signale André Burbaud.

En Ille-et-Vilaine, département d'élevage, ce plan exceptionnel s'est élevé à 13 millions d'euros. Le dispositif Dacs-agri, qui a concerné 360 dossiers en lait, est venu concurrencer les dispositifs agriculteurs en difficulté habituels. Les effets induits de ce plan se font sentir aujourd'hui. « Les annuités des prêts de trésorerie prévus sur des délais très courts grèvent déjà la capacité de remboursement des éleveurs. Un producteur qui a obtenu 30 000 euros sur quatre ans à 2,5 % rembourse une échéance supplémentaire de 8 000 euros. Pour un élevage de 130 truies naisseur-engraisseur, cela représente 2,70 euros par porc vendu », précise Fabrice Guérin, conseiller à l'Atese (1). « Pour les exploitants en difficulté plus structurelle que conjoncturelle, les 5 000 à 8 000 euros versés n'ont pas suffi. Ceux-là nous rappellent aujourd'hui. »

Dans leurs exploitations, les agriculteurs peuvent aussi agir. Gilbert Godet, remarque : « Le signe à guetter, c'est la première facture que l'on peine à payer. Un suivi de trésorerie « bête et méchant » au jour le jour suffit souvent à donner l'alerte. Mais il est négligé ou délégué à son comptable. Quand un agriculteur ne réagit pas assez vite, il subit son environnement économique : s'il devient un client à risque, la banque lui appliquera par exemple un taux plus élevé de 1 à 2 % sur un prêt à court terme. Ensuite, les exploitants doivent surveiller leur taux d'endettement et leur EBE. » Anne-Yvonne Henot, de son côté, note « que les élevages qui s'en sortent bien (35 % des dossiers en porc) ont une grande cohérence entre le nombre de truies, le nombre de places en postsevrage et leur autonomie foncière (plan d'épandage, productions de céréales) ».

LES CRÉANCIERS SE CRISPENT

Au-delà de la reprise en main technique des exploitations si nécessaire, tous les conseillers observent que, depuis quelques années, les banques se crispent sur des critères financiers précis : elles ne prêtent plus lorsque le taux de 60 % d'annuités sur l'EBE est dépassé dans un département. Ailleurs, elles refusent d'aller au-delà de 65 euros d'annuités pour 1 000 litres de lait ou 45 euros d'ouverture de crédit. Les agriculteurs sous pression se retournent alors vers leurs fournisseurs. Un temps, les coopératives ont fait l'avance de trésorerie. Maintenant, elles ont leurs experts qui surveillent les ardoises car, ces dernières années, un pourcentage non négligeable d'agriculteurs (10 à 15 % dans un département) terminaient la campagne sans avoir tout réglé. Elles prennent classiquement des warrants sur récolte mais vont parfois plus loin avec des prises d'hypothèques.

AUDITS EN COURS

Face à la crise de la production porcine qui perdure, le préfet de Bretagne a mandaté les chambres d'agriculture pour proposer des audits aux exploitations porcines en difficulté. « L'objectif est de mettre autour d'une table tous les partenaires pour trouver des solutions. L'homme est au coeur du dispositif », explique Fabrice Guérin, mandaté par la chambre d'agriculture pour réaliser des audits. Il est prévu 100 dossiers par département. Pour l'instant, on est loin du compte, avec 120 dossiers déposés sur l'ensemble de la région. « Sans pouvoir définir véritablement des profils, on peut distinguer deux catégories : des producteurs en très grande difficulté financière et d'autres qui s'interrogent sur l'avenir », détaille-t-il. En Ille-et-Vilaine, 25 élevages seulement ont demandé un audit. « Compte tenu du nombre de producteurs dans le département, on devrait au moins avoir 50 à 60 dossiers minimum », confirme Fabrice Guérin.

Alors la production porcine va-t-elle si mal ? C'est indéniable. « L'objectif de 100 dossiers par département était certainement ambitieux. Par expérience, la production porcine n'est pas adepte de ce type de procédure. » C'est une filière très organisée. Beaucoup estiment que les audits sont déjà faits dans les exploitations et qu'il vaudrait mieux destiner l'enveloppe au soutien des producteurs. « Et pourtant, l'audit permettrait de centraliser et de remonter les besoins du terrain pour mettre en place des dispositifs d'accompagnement à la cessation d'activité où à la restructuration, rappelle Fabrice Guérin. Rien n'est arrêté. Cela nécessite que tous les acteurs se mobilisent et convergent dans le même sens. »

AU CAS PAR CAS

Aujourd'hui, l'Etat estime avoir fait son travail depuis le PSEA de 2010. En mars, les ministres de l'Agriculture et de l'Economie ont déclaré que désormais ce sont les banques qui traiteront au cas par cas les dossiers d'éleveurs en difficulté. Les banques approuvent. Témoin, Caroline Halfen, de Crédit agricole SA : « Toutes les caisses régionales, et en particulier celles du grand bassin allaitant du Centre, procèdent à un repérage, à la mise au point d'un dispositif d'alerte. Mais tout se fera au cas par cas. Le dispositif PSEA a permis de résoudre bien des difficultés. Le reste fera l'objet de mesures individuelles. »

Bruno Le Maire a opposé une fin de non recevoir aux éleveurs de viande bovine (de la FNB en particulier) qui demandaient une année blanche avec report de l'annuité en cours en fin de tableau des remboursements : pas d'année blanche pour le ministre mais pas de nouveau plan d'aide non plus. Les agriculteurs dont les dossiers seraient retoqués par les banques pourront faire appel au médiateur du crédit. Une solution qui ne peut pas satisfaire les syndicats qui estiment que le ministre se défausse sur les banques. Sans compter qu'aujourd'hui aucun chiffre sur le nombre de dossiers en souffrance n'est connu, ou en tout cas publié.

(1) Association d'appui technique économique et social aux exploitants en Ille-et-vilaine.

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