Grains Les financiers brouillent les repères
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On pourrait croire les financiers endormis, après le chahut provoqué sur le marché des grains en 2007 et 2008. Il n'en est rien et leur poids est devenu tel qu'ils continuent à dicter les tendances.
Qui veut comprendre le marché des grains ne peut plus se passer d'analyser les comportements des fonds d'investissement. S'ils mettent en danger le secteur agricole, ils contribuent aussi au bon fonctionnement des marchés à terme. Dès lors, vouloir les réguler pourrait être une initiative à double tranchant.
« Les financiers sont plus que jamais présents sur les marchés agricoles et leur poids ne va pas baisser. Si demain les Bourses perdent 40 %, le prix du blé sur les marchés à terme peut baisser de 40 à 50 % , explique Jean-Loïc Bé- gué-Turon, responsable marchés à terme et dérivés chez InVivo. Aujourd'hui, pour comprendre l'évolution des cours, il est indispensable de bien connaître le fonctionnement de ces opérateurs. »
Parachutés en 2007 sur les marchés agricoles avec la crise des subprimes (voir infographie), les financiers y ont fait leurs armes.
Aujourd'hui, avec la politique de prêt à taux zéro (cash and carry) des banques centrales des grandes puissances mondiales, l'argent coule à flots pour ces fonds d'investissement, qui reviennent en masse sur les marchés agricoles, raffermissant les prix.
L'effet le plus marquant de ce retour des fonds est sans doute le prix du blé à Rouen, qui reste toujours entre 25 et 35 euros au-dessus du prix plancher de rachat par la Commission européenne, qui est de 101 €/t.
Pourtant, les silos sont pleins à craquer en France et les stocks mondiaux ne devraient pas se tarir avant au moins 2011-2012.
« Je ne comprends pas pourquoi le prix du blé est toujours aussi élevé, alerte un agro-industriel. Le problème, c'est que les agriculteurs ne vont pas freiner suffisamment leurs emblavements. Ainsi, la production risque d'être beaucoup trop forte compte tenu de la demande. »
Déconnectés du réel, les prix deviendraient beaucoup moins efficaces pour remplir leur rôle de régulateur, en incitant à la production en période de pénurie et en la freinant en période d'abondance.
L'assurance crée du risque
Lorsqu'on examine le marché des options, c'est le serpent qui se mord la queue ! Ces produits destinés initialement à se prémunir d'une hausse ou d'une baisse des cours provoqueraient de l'instabilité sur les marchés à terme. L'assurance crée du risque !
Didier Marteau, spécialiste des options et professeur à l'université de Paris-Dauphine, explique : « En vendant des options, les banques se voient transférer un risque. Pour le couvrir, elles vendent et achètent en permanence sur les marchés à terme, selon des modèles mathématiques. Ces mouvements peuvent être très brutaux et entraîner les marchés. »
Les coopératives consomment beaucoup d'options, qui leur servent d'appui pour proposer à leurs adhérents une formule performante de mise en marché de type « prix d'acompte plus complément » (encore appelé « prix moyen »).
Les financiers aussi en sont très friands et ont contribué à créer une myriade d'options de plus en plus « exotiques », selon le vocabulaire des traders.
« Une grande partie de ces options s'échangent sur les marchés de gré à gré, pour lesquels il n'y a aucune transparence. Comme elles sont de plus en plus compliquées, il devient presque impossible d'y voir clair », confesse un analyste.
Dans cet imbroglio, les risques que des bulles émergent sur les marchés sont amplifiés, s'inquiète le Mouvement pour une organisation mondiale de l'agriculture (Momagri). Les bulles financières gonflent par l'affluence de capitaux.
Plus l'argent arrive, plus la valeur des actifs (actions, lots, parts...) est orientée à la hausse, attirant ainsi d'autant plus de capitaux, qui amplifient encore le mouvement. Mais aux premiers signes d'essoufflement, les investisseurs se retirent, la bulle éclate...
Ces mouvements financiers peuvent être catastrophiques sur l'économie réelle, à l'instar du fret maritime, dont les taux ont explosé sur les marchés financiers en 2008, à plus de trois fois au-dessus des niveaux actuels et à plus de vingt fois leur niveau le plus bas de 2009 !
Les commandes de nouveaux navires ont flambé entre 2007 et 2008. En 2009, les chantiers ne pouvaient pas tous être annulés, et la flotte mondiale devrait prochainement se trouver en très nette surcapacité.
Apport de liquidité
Le danger est donc bien présent. De nombreuses voix s'élèvent dans le monde agricole français et communautaire pour mieux réguler les marchés à terme européens et éviter que la finance ne perturbe l'économie réelle. L'idée semble faire consensus, mais la tâche est ardue.
Les financiers bousculent les marchés à terme, mais ils apportent la liquidité nécessaire à leur fonctionnement, c'est-à-dire la garantie de trouver une contrepartie pour vendre ou acheter à chaque instant.
En Europe, le marché à terme du maïs a du mal à fonctionner, notamment car il n'est pas suffisamment liquide. A l'heure du démantèlement des filets de sécurité de la Pac, il paraîtrait suicidaire de fragiliser cet outil qui permet aux acteurs du monde des grains de s'arbitrer.
« Il y a un danger à trop réguler les marchés à terme, celui de voir fuir une partie des intervenants vers les places financières qui laissent plus de liberté, telles que Chicago (le CBOT). Il faudrait imaginer une réglementation conjointe entre les Etats-Unis et l'Europe », avait expliqué un intervenant lors du congrès de Coop de France métiers du grain, fin 2009.
« Les réflexions autour de la régulation des marchés ne doivent pas oublier les options, qui ont des effets indirects et brutaux sur les marchés des grains », insiste Didier Marteau.
Cela paraît d'autant plus judicieux que le marché des options est en plein boom, surtout en Europe où leurs prix sont compétitifs, attirant des capitaux étrangers, notamment en provenance des Etats-Unis.
Paradoxalement, à l'heure des réflexions sur la création de marchés à terme pour l'orge de brasserie et de certains produits laitiers, la question n'est pas de savoir comment éviter la spéculation, mais plutôt de tout mettre en oeuvre pour l'attirer, afin que ces outils soient le plus liquides possible et qu'ils puissent fonctionner.
Ce que recherchent les fonds d'investissement dans le secteur agricoleDifférents types de financiers opèrent sur les marchés à terme agricoles. Les spéculateurs interviennent dans le but de réaliser des bénéfices à très court terme, et ils ne restent parfois pas plus que quelques jours. Ils recherchent donc des marchés instables et risqués, pour jouer les tendances. D'autres financiers interviennent à moyen et long termes (de plusieurs mois à quelques années). Ce sont surtout les fonds indiciels, qui proposent d'investir dans un index, c'est-à-dire un « panier » contenant plusieurs produits, dont les proportions sont définies à l'avance. Ils utilisent les marchés agricoles pour protéger des capitaux du risque d'inflation (hausse du coût de la vie) et du risque de taux de change (dévaluation du dollar par exemple). |
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