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Grève du lait Les politiques ébranlés

La contestation a obligé le ministre de l'Agriculture à infléchir ses positions. Elle a également accéléré la remise en question de la politique libérale de l'Europe.

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Au loin, le Mont-Saint-Michel. En premier plan, une immense file de tracteurs -peut-être 200 ou 300- qui épandent 3 millions de litres de lait sur un champ sous l'oeil des caméras. L'image est forte. Elle s'est répétée aux quatre coins de la France laitière, le 18 septembre, jour de la «colère blanche» des producteurs de lait.

En parallèle, les distributions gratuites de lait ont suscité la sympathie de l'opinion. Les grévistes ont remporté la bataille médiatique haut la main.

Ce n'est que la première manche. Il leur faut maintenant gagner la seconde, celle des décisions politiques puisqu'aucune réponse concrète n'est apportée sur l'organisation de la filière pour l'après-quota.

La grève a obligé le ministre à mouiller sa chemise. Après avoir été chahuté au Space, il a reçu l'interprofession laitière puis l'ensemble des «syndicats représentatifs» les 18 et 19 septembre.

La FNSEA et JA bien sûr, mais aussi la Confédération paysanne et la Coordination rurale. Tous sont ressortis satisfaits de leur entrevue. L'Apli, le nouveau venu et l'instigateur de la grève, n'a pas été oublié. «Nous avons été reçus au Space par le ministre, puis le 18 septembre par son directeur de cabinet. Il y a trois ou quatre semaines, rien n'était possible. Aujourd'hui, on parle complètement différemment», souligne Pascal Massol, son président.

Vers un accord encadré par les pouvoirs publics ?

A la satisfaction des grévistes, Bruno Le Maire parle désormais «d'accords» entre producteurs et industriels sous le contrôle des pouvoirs publics, afin de garantir un rapport de force équilibré et de «définir les modalités générales de cet accord». Faut-il pour autant en conclure que la contractualisation passe à la trappe ?

«On ne laissera pas les éleveurs dans un face-à-face avec les industriels», a-t-il promis. Et si cette «entente» n'est pas autorisée par la réglementation européenne, «je souhaite qu'on change la réglementation». Un revirement complet quand on se souvient que c'est la Répression des fraudes, un service de l'Etat, qui a cassé l'accord interprofessionnel sur le prix du lait en mai 2008.

Le ministre a également accéléré le tempo européen, poussé par le mouvement de grève qui dépasse les frontières (lire l'encadré). Il a entrepris de convaincre les autres Etats membres de soutenir la proposition franco-allemande pour une meilleure régulation du marché du lait. La Pologne s'est ralliée lundi à l'initiative.

Reste à convaincre l'Italie pour obtenir la majorité qualifiée au Conseil des ministres européens. Ce à quoi s'employait le ministre mercredi (23 septembre). La présidence suédoise a également accédé à sa demande de réunir un Conseil des ministres extraordinaire, le 5 octobre prochain.

La proposition franco-allemande ne séduit pas tout le monde. Elle équivaut à «une gestion des excédents avec les outils de gestion du marché, mais pas à une vraie régulation à l'amont des volumes produit pour ajuster l'offre à la demande», critique Yves Leperlier, responsable lait de la Confédération paysanne.

Autre déception pour ce syndicat, le maintien des quotas qu'il réclame semble illusoire. Le ministre a confirmé qu'il ne se battra pas pour les conserver. Il n'envisage pas non plus d'appuyer la baisse de 5 % des quotas nationaux réclamée par les grévistes afin de résorber les excédents.

Au niveau européen, «les conditions ne sont pas réunies aujourd'hui pour obtenir des décisions allant dans ce sens», a-t-il expliqué.

Face à une remise en cause sans précédent de sa politique libérale, Bruxelles a fait des concessions. Le 17 septembre, la Commission autorisait les Etats membres à aider leurs producteurs jusqu'à un plafond de 15.000 euros. Elle propose des «primes à la casse» via des rachats de quotas.

A moyen terme, elle souhaite la mise en place d'un groupe d'experts qui travaillerait sur plusieurs sujets, notamment les relations contractuelles entre producteurs et transformateurs, la mise en place d'un marché à terme européen pour les produits laitiers et les coûts de production. Ce sera donc à la commission suivante de gérer la suite du dossier.

Sortie de crise par le haut

Ces avancées suffisent-elles pour appeler à la fin du mouvement ? En début de semaine, l'Apli et la Confédération paysanne comptaient maintenir la pression. La Coordination rurale évoquait une possible sortie de crise, mais pas avant jeudi.

«Nous envisagerons d'arrêter le mouvement si le ministre confirme ses promesses», déclarait, mardi, François Lucas, son président. Quant à l'EMB, il estimait, mercredi, qu'il est trop tôt et que les avancées sont insuffisantes pour appeler à cesser la grève.

Cette grève du lait est un mouvement de contestation dur, à l'image des récents conflits chez Continental ou Molex. Et comme ce fut le cas pour ces deux entreprises, elle signe l'échec du syndicalisme «classique», débordé par sa base.

La FNSEA ne sortira pas indemne de la crise. Beaucoup lui reprochent de ne pas avoir réagi. Alors que dans plusieurs départements, les FDSEA et les JA ont déjà lancé leurs propres actions, elle répond par l'annonce d'une manifestation... le 16 octobre.

Ensuite, il faudra panser les plaies ouvertes par le conflit et combler le fossé qui s'est creusé entre pro et antigrève. Cependant, le tableau n'est pas toujours si sombre: sur le terrain, des réunions ont rassemblé des voisins au-delà des appartenances syndicales.

 

La grève s'est propagée en Europe

Les épandages de lait se sont multipliés en Europe. Après l'opération spectaculaire réalisée par les Belges, le 16 septembre, des actions similaires ont eu lieu en Suisse, aux Pays-Bas et de nouveau en Belgique. Au nord de l'Italie, les éleveurs auraient entamé une grève des livraisons. Enfin, Bruxelles a été le lieu de différentes actions.

 

 

Les banques font un geste

Après la réunion, lundi 21 septembre, avec le ministre, les banques font un geste. Elles accorderont d'ici à fin 2009 des prêts de fonds de roulement pour une enveloppe globale de 250 millions d'euros aux producteurs de lait. Sont plus particulièrement concernés «les jeunes agriculteurs et ceux qui ont investi récemment, c'est-à-dire tout ceux qui ont aujourd'hui les charges les plus lourdes», a précisé le Bruno Le Maire. Ces prêts, d'une durée de trois à cinq ans à remboursement différé d'un an, bénéficieront d'un taux d'intérêt maximal de 3 %.

L'État utilisera les 30 millions d'euros récemment débloqués pour prendre en charge une partie des annuités d'emprunt de 2009 des producteurs les plus en difficulté.

La MSA reportera «au cas par cas» le paiement des cotisations à juin 2010, au lieu d'octobre 2009. «Pour l'ensemble des éleveurs les plus en difficulté, une prise en charge est envisagée jusqu'à 5 millions d'euros», a précisé le ministre.

Les assureurs étudieront également «au cas par cas» le report d'un an des échéances qui devaient tomber en janvier 2010.

Les syndicats agricoles prennent acte du geste, mais le considèrent insuffisant. La FNSEA estime que c'est « un premier pas qui mérite d'autres réponses rapides». Elle continue de réclamer «une véritable année blanche». Pour la FNPL, «les banques font une avancée concrète (...) Néanmoins, la gravité de la situation implique que l'effort ne se relâche pas», tandis que la Confédération paysanne déplore qu'«on demande aux éleveurs de s'endetter encore».

 

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