Login

Accord sur le prix du lait Le rafistolage passe mal

L'interprofession a tranché: entre 262 et 280 € les 1.000 litres en moyenne en 2009. Mais les éleveurs restent mobilisés et Entremont a annoncé qu'il ne pourrait sans doute pas tenir l'accord.

Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.

Un accord sur le prix du lait a finalement été conclu le 3 juin 2009 par les trois familles de l'interprofession laitière. L'encre à peine sèche, il est déjà critiqué de toutes parts. Signé à la va-vite sous la pression politique, il ne satisfait pas grand monde. En tout cas, pas les éleveurs. Sur les trois points de l'accord (voir l'encadré ci-dessous), c'est le prix de base moyen sur l'année, compris entre 262 et 280 €/1.000 l, qui cristallise les mécontentements. Pour mai et juin, ce sera donc moins.

L'interprofession de la Bretagne et des Pays de la Loire a calculé 249,57 €/1.000 l en mai et 251,09 €/1.000 l en juin. La Normandie annonce des chiffres du même ordre. Soit un recul d'environ 57 €/1.000 l par rapport à mai 2008. Dans le Sud-Est, les prix devraient être supérieurs d'une vingtaine d'euros.

Les entreprises se conformeront-elles à l'accord? Dans l'ensemble, probablement. Lactalis et Sodiaal ont affirmé vouloir suivre la recommandation. En revanche, Entremont a déjà averti: ce sera 206 €/1.000 l en mai et 208 € en juin, après les 204 € d'avril.

«Sur l'ensemble de l'année, nous essaierons d'être aussi proches que possible des 262 €/1.000 l, explique Alain Troalen, directeur des relations extérieures d'Entremont. Mais actuellement, nous ne pouvons pas faire mieux: nous avons enregistré 20 millions d'euros de pertes au premier trimestre de 2009. N'oublions pas que le lait se paie 220 €, voire moins, dans les pays européens qui sont nos concurrents directs.»

La Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) le reconnaît: «Cet accord met un certain nombre de producteurs sous la ligne de flottaison.» Pour autant, aurait-elle dû refuser de le signer? «C'est la solution la moins mauvaise, défend Henri Brichart, président de la FNPL. Même si c'est difficile à expliquer aux producteurs. Ne pas signer aurait signifié un grand vide, la porte ouverte à ce que les laiteries paient un prix extrêmement bas et s'alignent sur le moins-disant. Nous ne voulons pas entrer dans une spirale à la baisse et un alignement sur le marché mondial.»

Refus des producteurs

Sur le terrain, pourtant, le calme n'est pas encore revenu. Les manifestations se poursuivaient en milieu de semaine dans le Massif central (voir ci-dessous), la Loire-Atlantique, la Manche, le Tarn... à l'appel des syndicats minoritaires mais aussi de plusieurs FDSEA en désaccord avec la maison mère. La FNSEA tente de canaliser la colère des éleveurs vers un «ennemi» plus consensuel que les laiteries: la grande distribution.

«Pourtant, la crise actuelle n'est pas surprenante. 2009 est la première année où la réforme de la Pac de 2003 – votée par la France – produit son plein effet, constate Alain Troalen. Les prix des produits industriels ont baissé jusqu'aux niveaux décidés en 2003.»

De la casse

La filière laitière en est donc là où les Etats membres de l'Union européenne (UE) et la Commission voulaient l'amener: dans un marché libéral en cours de dérégulation, avec des prix volatils. Et aucune inflexion de cette politique n'est à attendre de leur part. Cependant, «l'horizon devrait s'éclaircir en 2010, estime Alain Troalen. La demande reviendra, il existe une réelle dynamique laitière ».

En attendant que les prix remontent, il faut donc faire le dos rond. Mais il y aura de la casse. Même si l'Etat se décide à soutenir les trésoreries des éleveurs, «je ne vois pas comment on pourra éviter une restructuration de la filière, redoute Nicolas-Jean Brehon, fonctionnaire parlementaire. Nous sommes dans une crise d'ajustement aux nouvelles conditions de marché, passagère, socialement difficile mais économiquement "salutaire". La crise est européenne mais la France présente des handicaps spécifiques: elle a choisi un modèle "socialement utile", avec des exploitations familiales et des laiteries réparties sur tout le territoire.»

Une fois les esprits apaisés viendra le temps de la réflexion sur l'avenir de la filière. «Le marché dérégulé ne fonctionne pas en agriculture, rappelle Henri Brichart. Si l'UE se désengage, ce sera à nous de trouver de nouvelles pistes. Par exemple, mieux valoriser le lait pour qu'il ne soit plus pieds et poings liés au marché mondial, gérer collectivement les volumes...»

Avant cela, il faudra rétablir une confiance, aujourd'hui perdue, entre les producteurs et leurs laiteries.

 

L'accord encadre le prix du lait et la contractualisation

L'accord interprofessionnel du 3 juin se décline en trois points.

Prix du lait pour 2009. Le prix de base en moyenne sur l'année sera de 262 €/1.000 l pour les entreprises produisant 40% de produits industriels (PI), de 272 €/1.000 l pour celles à 30% de PI et 280 €/1.000 l pour celles à 20% de PI. Ces valeurs pourront être réexaminées en septembre prochain, selon l'évolution du marché.

Indices de tendance des marchés. Le Cniel (interprofession laitière) diffusera trimestriellement à partir de 2010 des «indicateurs de tendance des marchés laitiers». Il proposera trois formules pour trois niveaux de mix-produit, qui s'appuient sur l'évolution des cotations des produits industriels (beurre et poudre) et celle des fromages d'exportation (gouda-edam-emmental). Les produits de grande consommation ne sont pas pris en compte dans ce calcul, mais ils pourraient intervenir pour tamponner des variations trop brutales du prix du lait.

Cadre interprofessionnel pour la contractualisation. L'accord envisage «l'élaboration d'un cadre interprofessionnel permettant la mise en place de la contractualisation à partir de 2010, explique la FNPL. Ce cadre devra faire l'objet d'un accord interprofessionnel au plus tard le 31 décembre 2009. Il comportera notamment un mécanisme de définition du prix et des engagements sur les volumes.»

Par ailleurs, le ministère de l'Agriculture a annoncé un «plan d'accompagnement pour les exploitations laitières fragilisées, consistant en un allègement des charges financières et sociales et un renforcement du dispositif de modernisation des bâtiments d'élevage. Trente millions d'euros seraient mobilisés en 2009.

 

 

Les producteurs auvergnats ne décolèrent pas

Le montant de 210 €/1.000 l de lait apparu sur la paie du mois d'avril a attisé la colère des producteurs de lait de la région Auvergne, réputée pour sa spécialisation fromagère. L'usine Lactalis de Riom-ès-Montagnes (Cantal) a été bloquée le 1er juin par des agriculteurs déterminés à obtenir «une stratégie territoriale, même de la part d'un grand groupe européen».

«Ce blocage est aussi un cri de détresse de producteurs, dont le seul niveau de charges, sans parler de rémunération, n'est en aucun cas couvert par des prix aussi bas, s'insurge Patrick Escure, président de la FDSEA du Cantal. L'accord national à 280 €/1.000 l est totalement inadapté pour les petits producteurs de lait situés en zone fromagère de montagne. Nos revendications portent sur un prix différencié de 305 €/1.000 l. Nous ne fléchirons pas quant à cette exigence vitale pour l'économie laitière de la région.»

Le blocage de la laiterie de Riom a généré de vives polémiques et deux recours en justice, l'un de la part des producteurs dont la collecte était stoppée, l'autre de la part de Lactalis pour arrêt d'activité avec mise en chômage technique des salariés. Quelques milliers de litres de lait ont été déversés devant la préfecture du Puy-de-Dôme, à Clermont-Ferrand.

Dans la semaine, l'usine LFO du groupe 3A à Saint-Mamet (Cantal) a également été bloquée. Malgré l'échec des négociations qui se sont tenues le 9 juin à la préfecture, les producteurs ont levé leurs blocages.

«La déclaration d'intention de Lactalis de proposer dans le cadre de l'interprofession régionale une prime spécifique au lait auvergnat transformé en fromages, sans en énoncer de montant, ne nous satisfait pas, souligne Patrick Bénézit, de la FDSEA. Aucun protocole d'accord n'a pu être signé. Nous continuerons nos actions sous d'autres formes jusqu'à obtenir gain de cause.»

La collecte a repris le 10 juin. Plus d'un million de litres de lait ont été détruits durant la semaine de blocage: un lourd préjudice aussi bien financier que moral pour les 250 producteurs concernés. (Monique Roque)

 

[summary id = "10022"]

A découvrir également

Voir la version complète
Gérer mon consentement