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Echange bénéfique pour les pays « hôtes Echange bénéfique pour les pays « hôtes »

L'arrivée d'étrangers s'accompagne d'argent frais à investir. Les accords reflètent parfois de vrais échanges commerciaux.

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• Ukraine : diversifier ses approvisionnements en hydrocarbures

Si, officiellement, rien n'est encore signé, l'Ukraine est bien en passe de concéder 100 000 hectares de terres à la Libye. En location seulement, car un moratoire interdit toujours la vente de terres agricoles ukrainiennes.

Le deal est assez simple : Tripoli cherche par tous les moyens à préserver sa sécurité alimentaire, alors que l'Ukraine tente de diversifier ses approvisionnements en hydrocarbures, au vu des conflits récurrents qui l'opposent à la Russie.

Kiev joue sur l'une de ses principales richesses, sa terre, dont la qualité est louée dans le monde entier.

 

Un accord à trois têtes

Côté libyen, c'est le Fonds d'investissement étatique Libye-Afrique qui mène les négociations. Les terres appartiennent à l'Union industrielle du Donbass (UID), qui regroupe les patrons des empires industriels, notamment métallurgiques, de l'est de l'Ukraine.

Sous l'URSS, d'immenses kolkhozes agricoles étaient intégrés aux kombinats soviétiques. Ces terres font aujourd'hui de l'UID l'un des plus grands propriétaires fonciers du pays.

Dernier membre du trio, la compagnie Nibulon, basée dans un port de la Mer noire et propriétaire de nombreux silos.Cette société serait chargée de l'approvisionnement en matériel technique, du stockage et de l'export des céréales.

La culture envisagée est le blé et la majorité des terres louées par la Libye se situeraient au sud-est du pays. Tout le personnel agricole serait ukrainien, avec un management libyen.

Le prix est tenu secret, mais l'on sait que le prix moyen de location en Ukraine s'élève aujourd'hui à près de 140 grivnas par hectare (environ 14 euros).

Malgré la crainte d'une certaine mainmise sur les terres agricoles nationales, la plupart des experts et hommes politiques ukrainiens se réjouissent de cet investissement massif venu d'Afrique du Nord. Actuellement, plusieurs centaines de milliers d'hectares de terres agricoles ne sont pas exploités en Ukraine, faute de financement.

« Si les choses traînent, c'est parce que les Libyens sont très gourmands, explique une source proche du ministère de l'Agriculture. 100 000 hectares, c'est beaucoup. Mais cela va marcher, parce que la Libye est un partenaire de poids pour l'Ukraine dans le domaine agricole. L'an dernier, elle nous a acheté un demi-million de tonnes de blé. »

Si l'accord aboutit, le signal sera fort, notamment pour d'autres pays qui lorgnent sur les terres ukrainiennes, comme l'Egypte ou la Chine.

 

« La sécurité alimentaire bradée »Que la motivation soit alimentaire ou financière, les conséquences sont les mêmes pour les populations des pays de production. Elles vont perdre l'accès aux terres pour une production alimentaire locale. « C'est le fondement même sur lequel doit reposer la souveraineté alimentaire, qui est tout simplement bradée », s'indigne l'ONG Grain.

Les gouvernements, les investisseurs et les agences de développement qui sont impliqués dans ces projets font valoir qu'il restera localement une partie des denrées. Mais, pour Grain, « cela ne remplace pas les terres et la possibilité pour les populations de travailler pour subvenir à leurs besoins ».

Mais surtout, l'ONG redoute que ce phénomène d' « accaparement » des terres entraîne la restructuration : « Ces terres, actuellement des petites exploitations ou des forêts, se transformeront en grandes propriétés agricoles reliées à de grands marchés lointains. Les agriculteurs ne redeviendront plus jamais de vrais fermiers. Ce sera probablement la conséquence la plus importante. »

 

• Roumanie : exploiter les terres non cultivées

Dans le petit village de Mihail Kogalniceanu, dans le sud-est de la Roumanie, le principal agriculteur du village est… français. Arrivé en Roumanie en 1992 comme coopérant, séduit par le potentiel du pays, Arnaud Perrein s'est lancé dans la culture céréalière.

Son exploitation compte 1 100 hectares, dont quelques centaines lui appartiennent. Quarante personnes y cultivent blé, maïs, orge et tournesol.

S'il fait figure de « pionnier », il est aujourd'hui loin d'être un cas isolé. Italiens, Portugais, Espagnols, Français ou Allemands, les étrangers ont investi en masse dans les terres agricoles.

« Dans le département (de Ialomita, NDLR), il y a de plus en plus d'étrangers car les terrains sont trois à quatre fois moins chers que dans le reste de l'Europe. On sent une vraie pression sur le foncier », souligne Arnaud Perrein.

« Ce phénomène s'est développé depuis 2000, note Tudor Dorobantu, secrétaire général de la fédération des syndicats agricoles Agrostar, et ce pour plusieurs raisons : le prix des terres, leur potentiel, l'attractivité de l'économie roumaine et surtout, la législation très permissive. Il suffit de constituer une société commerciale de loi roumaine pour se porter acquéreur. »

Avec l'entrée du pays dans l'Union européenne en 2007 et la perspective des fonds européens, le phénomène n'a fait que s'accentuer. Dans l'ouest du pays, où il a débuté, les étrangers, en grande majorité des Italiens, posséderaient près de 80 % des terres !

Des terres, mais pas de fonds

L'arrivée de ces étrangers est plutôt bien perçue par les agriculteurs locaux, qui considèrent qu'elle stimule la concurrence, crée des emplois, importe des modes de production plus efficaces.

« Il n'y a pas de manque de terres, mais un manque de fonds. Pour un jeune Roumain, il est compliqué d'obtenir un crédit pour acheter du foncier. Alors la venue d'étrangers permet de cultiver des terres qui ne le seraient peut-être pas », note Tudor Dorobantu.

Une arrivée certes bien perçue, mais à condition qu'elle soit synonyme d'agriculture, et non de spéculation. Car parmi cette vague d'acheteurs venus de l'Ouest, certains achètent ces terrains dans le seul but de les revendre avec une importante plus-value. Voire même de les détourner de leur vocation agricole pour les transformer en terrain constructible, une procédure simple à en croire Tudor Dorobantu, et faire au passage une belle affaire immobilière.

« On n'a rien contre ceux qui viennent travailler la terre, lance Nicolae Sitaru, président de l'association des producteurs de céréales de Ialomita. Le problème : ce sont les multinationales qui spéculent. Les prix sont entre 1 000 et 3 000 euros l'hectare, c'est bien trop ! Nous ne pouvons pas nous aligner. Il faudrait une loi pour qu'on ne puisse pas acheter sans contrôle. »

L'adoption d'une telle législation n'est pas à l'ordre du jour. Mais pour limiter les conséquences de ce raz-de-marée, le syndicat Agrostar vient de proposer au ministre de l'Agriculture, Ilie Sarbu, de « sanctionner les propriétaires qui ne cultivent pas les terres agricoles », explique Tudor Dorobantu.

Un premier pas qui pourrait peut-être décourager les spéculateurs et résorber (un peu) ce phénomène.

 

Repère : 15 millions d'hectares accaparés

15 % de la surface totale de la Roumanie, soit plus de 15 millions d'hectares, seraient aujourd'hui aux mains de propriétaires européens.

 

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