Des Etats en quête de sécurité alimentai Des Etats en quête de sécurité alimentaire
Un certain nombre de pays, préoccupés par les tensions sur les marchés, cherchent à externaliser leur production alimentaire.
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• Chine : prévenir l'amenuisement des ressources
Depuis la grande famine de la fin des années 1950, la Chine a érigé l'autosuffisance alimentaire en véritable pilier du régime. Echaudée en 2008 par la crise alimentaire planétaire, elle a réussi à assurer un bol de riz à son 1,3 milliard d'habitants, malgré l'inflation.
Des cadres du régime remettent pourtant en cause la capacité du pays à assurer son autosuffisance alimentaire. « Nous avons moins de marge de manoeuvre pour augmenter la surface des terres cultivables et il est de plus en plus difficile d'augmenter les rendements », soulignait l'an dernier Nie Zhenbang, directeur de l'administration d'Etat des céréales.
Tardive prise de conscience
Mathématiquement sous tension avec 40 % de la paysannerie mondiale pour seulement 9 % des terres agricoles, la Chine redoute de voir ses terres arables passer par pertes et profits sous la pression de l'urbanisation et de l'industrialisation.
Entre 1996 et 2006, 755 000 ha/an ont ainsi disparu. Ce à quoi s'ajoute le spectre de la pénurie d'eau, illustré récemment par une sécheresse historique. Face à cela, un expert de l'Académie des sciences agricoles conclut naturellement que « la Chine n'a d'autre choix que d'investir à l'étranger pour assurer sa sécurité alimentaire ».
Pourtant, la prise de conscience au plus haut niveau ne date réellement que de 2007, même si l'externalisation d'une partie de la production agricole a commencé avant cette date. Selon l'ONG Grain (1), « près de trente accords de coopération agricole ont été conclus au cours de ces dernières années pour offrir aux entreprises chinoises un accès aux terres agricoles des "pays amis" ».
Parmi les critères de choix des pays cibles, la disponibilité des terres non cultivées n'est qu'un facteur parmi d'autres, comme l'explique Louis Bockel, ingénieur agroéconomiste et expert à la FAO (2). « Les autres sont la stabilité politique, la proximité culturelle, le respect des lois et la gouvernance. »
Une carte mondiale de la « shopping list » chinoise est parue en novembre dans le quotidien The Guardian. La Chine posséderait dans son escarcelle 2 090 796 ha (lire encadré). L'appétit des investisseurs chinois se porte surtout sur les cultures de soja et de riz (hybride, produit à partir de semences chinoises importées).
Avançant à visage découvert, la Chine défend une stratégie qu'elle a elle-même baptisée de « gagnant-gagnant ». Concrètement, il s'agit de sécuriser l'accès aux terres agricoles, concédées ou vendues, contre la promesse de nouvelles infrastructures, technologies, ou formations.
Elle peut aller jusqu'à envoyer ses propres paysans, comme au Cameroun ou au Kazakhstan, ce qui ne va pas sans générer des tensions avec la population locale. En effet, les produits cultivés sont la plupart du temps renvoyés en Chine au nom de la sécurité alimentaire.
L'annexe du rapport de Grain dresse une liste des investisseurs impliqués. On y trouve tout aussi bien l'Etat chinois que des entreprises semi-publiques et privées. Parmi ces dernières, le secteur pétrolier et minier est bien représenté.
Il arrive aussi que la motivation soit purement spéculative, comme c'est le cas avec le fonds d'investissement Blackstone, dont la Chine a racheté des parts, et qui a investi en Grande-Bretagne et au sud du Sahara.
Mais la tendance est d'abord à la « sécurisation des droits d'accès aux terres, analyse Louis Bockel. Les contrats sont donc passés à l'échelle des gouvernements et moins des producteurs ».
Côté chinois, cette agriculture off-shore ne va pas sans soulever des débats. Certains experts, tel Xie Guoli, du ministère de l'Agriculture, considèrent que ce modèle n'est ni durable ni réaliste.
En cas de crise, qui garantit que les pays ne céderont pas à la tentation de la nationalisation des terres ou que les productions ne seront pas prises en otage, si conflit social il y a ? Pour eux, la solution passe davantage par une réforme rurale nationale et une politique plus ferme de lutte contre la disparition des terres arables.
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(1) Grain est une organisation non gouvernementale internationale dont le but est de promouvoir la gestion et l'utilisation durables de la biodiversité agricole.
(2) Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture.
• Pays du Golfe : s'assurer paix sociale et alliés politiques
Une population en pleine expansion, des importations qui grimpent et des prix qui atteignent des sommets... Les Etats du Golfe (Bahreïn, Koweït, Oman, Qatar, Arabie Saoudite et Emirats Arabes Unis) ont subi de plein fouet la crise alimentaire mondiale de 2008.
Construits sur le désert, ces pays ne disposent que de peu de terres et de ressources en eau et dépendent largement de l'étranger pour leur nourriture. La facture de leurs importations alimentaires est montée en flèche au cours des cinq dernières années, passant de 8 à 20 milliards de dollars.
La dépendance est telle que la FAO estime qu'elle atteindra 60 % en 2010. En revanche, ces nations possèdent des quantités de pétrole et d'argent pour assurer autrement leur sécurité alimentaire à long terme et acquérir du foncier à l'étranger.
Liens politiques et culturels
« Ils ne se tournent pas vers les pays traditionnellement exportateurs de denrées agricoles, mais plutôt vers les pays d'Afrique et d'Asie, qui sont proches géographiquement et avec lesquels ils ont des liens politiques et culturels, comme le Soudan, le Pakistan ou le Kazakhstan », explique Eckart Woertz, responsable du programme économique du Centre de recherche du Golfe.
Les gouvernements organisent les accords et élaborent des modalités spécifiques de politique bilatérale : troc nourriture contre énergie (pétrole ou gaz), engagement qu'une partie des denrées alimentaires restera sur le marché local, mise en place de banques appliquant la charia (règles de conduite applicables aux musulmans) pour distribuer des fonds localement, transfert de technologie, emplois et formation... Une fois la pompe amorcée, des entreprises privées prennent le relais.
L'enjeu est d'autant plus grand pour les pays du Golfe que, comme le souligne Eckart Woertz dans son rapport de septembre 2008, « le prix de l'alimentation peut être source de troubles sociaux ». La population des ces pays est largement constituée de travailleurs immigrés peu payés.
Propriété foncière : des restrictions contournéesDe l'Algérie à l'Ukraine, en passant par la Thaïlande ou encore le Paraguay. Nombre de pays ont mis en place des régimes de propriété foncière restrictifs. La terre est, dans les textes, considérée comme un bien national inaliénable. Mais partout, ces lois sont habilement détournées. C'est le cas en Thaïlande, premier exportateur de riz au monde, où le cadastre est pourtant réputé protectionniste. En théorie, il est impossible pour un étranger de posséder un bien foncier. Mais les « combines » utilisées par les investisseurs, notamment chinois et saoudiens, pour posséder quelques hectares, sont multiples. Certaines fermes acceptent de leur confier la gestion exclusive de leurs terres en échange de contrats juteux ou d'achat de matériel dernier cri. Autres possibilités : acheter un terrain par l'intermédiaire d'un citoyen thaïlandais, payé annuellement comme prête-nom, ou investir massivement dans les capitaux d'une compagnie locale propriétaire de terres arables. |
En chiffres : 2 090 796 ha achetés● Philippines : 1 240 000 ha● Laos : 700 000 ha● Russie : 80 400 ha● Australie : 43 000 ha● Cameroun : 10 000 ha● Kazakhstan : 7000 ha● Cuba : 5 000 ha● Ouganda : 4 046 ha● Mexique : 1 050 ha● Tanzanie : 300 ha |
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