Les élus ruraux résistent au retrait de Les élus ruraux résistent au retrait de l'Etat
Le vent de la révision générale des politiques publiques souffle depuis 2007. D'abord, l'Etat se désengage des secteurs concurrentiels au profit des entreprises privées. Puis il se réorganise et se recentre sur ses politiques prioritaires: développement durable, accessibilité des bâtiments, gestion des déchets... Les effets se sont vite fait sentir en région: moins de tribunaux, de gendarmeries, de sous-préfectures, d'hôpitaux...
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Les élus locaux s'inquiètent que la logique du nombre d'habitants servis pousse à la concentration des services. Avec cette règle supposée de l'efficacité maximale, que restera-t-il de l'aménagement du territoire? Combien comptera-t-on de postes, d'écoles? Les cabinets privés seront-ils soucieux du bien public? Qui les obligera à couvrir le territoire? Les élus ruraux agissent: création de maisons de santé, haut débit accessible à tous. Pourquoi les communes rurales paieraient-elles des services qui sont disponibles ailleurs gratuitement?
Hautes-Pyrénées: une maison pour attirer les professionnels soignants
Castelnau-Magnoac va inaugurer sa maison de santé pluridisciplinaire.
A l'heure de la réorganisation de la carte hospitalière, les élus ruraux agissent sur le levier qui leur reste: la création de maisons de santé pour retenir les soignants trop tentés par la ville. «Nous n'arriverons pas à garder nos habitants et à en attirer de nouveaux si notre territoire ne leur garantit pas un accès à la santé. Dans le canton de Castelnau-Magnoac, notre situation n'est pas encore irréversible: nos cinq médecins ont plus de 55 ans, mais ils ne sont pas encore sur le départ. Nous avions deux atouts. Notre Pays des Côteaux de Bigorre, dont fait partie la communauté de communes du Magnoac, travaille depuis longtemps avec tous les intervenants de la santé et du social. Il a obtenu la labellisation «pôle d'excellence rurale» centré sur la création d'une maison pluridisciplinaire de santé. Ensuite, nous avons été déclarés, en 2002, zone déficitaire en médecine rurale. Cela nous a facilité l'accès à de plus larges subventions», explique Bernard Verdier, maire de Castelnau-Magnoac, président de la communauté de communes du Magnoac et du Pays des Côteaux de Bigorre.
Amorcer le projet
Il fallait bien toutes ces casquettes à cet ancien agriculteur pour transformer ces handicaps en atout. La maison de santé sera inaugurée en décembre. Elle aura coûté 2,5 millions d'euros, subventionnés à 70% entre l'Etat, la région et le département. «Comme pour nos ateliers-relais d'artisans, nous amorçons avec des fonds publics. Ensuite, les privés prennent le relais: dans cinq ans, chaque intervenant pourra racheter ses locaux en reprenant les 30% financés par la communauté de communes.» Voilà comment, en contrebas de la ville, près d'un rond point accessible depuis tous les villages des alentours, les locaux de la maison de santé sont sortis de terre. Ils ont été conçus avec les futurs occupants: trois médecins, deux dentistes, un cabinet d'infirmières, le service de soins infirmiers à domicile, l'aide à domicile, le centre local d'information et de coordination, et une clinique vétérinaire.
«Première condition pour attirer les jeunes soignants: se mettre à leur place, explique Bernard Verdier. Ils veulent exercer avec les techniques actuelles, ne pas être seuls, ne pas terminer trop tard.» Et une vielle bâtisse n'aurait pas permis le câblage actuel: «Nous avons, à Toulouse, des professeurs pionniers de la télémédecine.»
Le docteur Paul Gharfi, 57 ans, préside l'association des professionnels créée pour gérer la maison: «Sur les cinq médecins du canton, nous sommes deux à avoir choisi ce lieu. Mon jeune remplaçant va bientôt se joindre à nous.» Un bon signe pour le territoire.
Les vétérinaires font partie du pôle de santé
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La présence de vétérinaires dans la maison pluridisciplinaire de santé en étonne plus d'un, mais pas Didier Abrard, membre de la Société civile professionnelle vétérinaire de Trie-sur-Baïse. «Nous avons tout de suite accepté la proposition du maire. Nous avions déjà un cabinet secondaire à Castelnau-Magnoac qui avait besoin de rénovation. Ici, tout est accessible, spacieux, avec un plateau très technique. Nous allons assurer une présence à plein temps et recruter une assistante. Cette dynamique bénéficiera à notre clientèle agricole, même si peu de gros animaux seront soignés sur place. Mais les plus petits pourront être pris en charge par la clinique vétérinaire qui dispose d'un abri extérieur. Enfin, cela nous plaît de discuter avec d'autres professionnels. La santé, c'est un tout.»
Doubs: vingt-neuf bureaux de poste menacés de fermeture
La réorganisation du réseau provoque des tensions entre La Poste et les élus.
«La Poste cherche à réduire son activité en milieu rural. Le non-remplacement du personnel en congé, en maladie ou à la retraite précède la réduction des horaires d'ouverture des guichets, prélude et justifie d'une disparition programmée des bureaux.» Daniel Cassard, maire de Belmont, dans le Doubs, résume la lente altération de l'activité postale dans les campagnes. «Bientôt, même les communes de moins de deux mille habitants ne pourront plus maintenir leur bureau», pronostique-t-il.
La pression du groupe La Poste pour mener la restructuration de son réseau à marche forcée fait réagir les élus. Dans le Doubs, vingt-neuf bureaux sont directement menacés de fermeture. En tant que président des maires ruraux de son département, Daniel Cassard a organisé la résistance. «Souvent, les élus sont placés devant le fait accompli, ils subissent de véritables ultimatums. Nous voulons prendre le temps de la réflexion pour choisir la meilleure solution sur l'évolution des bureaux de poste», argumente-t-il. Après une menace de manifestation et deux réunions tenues en présence du préfet, il a réussi à normaliser les relations avec la Poste grâce à la mise en place d'une «charte de dialogue territorial». Désormais, concertation, information et négociation devraient prendre tout leur sens.
L'agence à contrecoeur
Marchaux, commune de mille âmes, chef-lieu de canton à une vingtaine de kilomètres de Besançon, est concernée par la fermeture de son bureau de poste. Brigitte Vionnet, son maire, doit prendre une décision sur la transformation du bureau en agence postale communale ou en point-relais. «J'ai sondé la population. Pour des raisons de discrétion, les gens ne souhaitent pas qu'un commerçant exerce cette activité», explique-t-elle. C'est donc la solution de l'agence communale qui devrait être retenue.
Une personne employée par la commune effectuera une partie des opérations que le bureau réalisait jusqu'à présent. «Pour la Poste, l'essentiel est qu'une présence postale subsiste. Mais les prestations ne sont plus les mêmes. Elles se limitent à la vente de timbres, l'enregistrement des colis, la distribution des lettres recommandées et au retrait de petites sommes d'argent. Comment vont faire les personnes âgées qui réalisaient leurs opérations financières dans le bureau de leur commune?», s'interroge-t-elle. Elles devront faire comme la douzaine d'entreprises qui vont perdre leur boîte postale, aller à vingt kilomètres de là.
La distribution du courrier n'est pas concernéeLe service postal (distribution du courrier) n'est pas concerné par la réorganisation du réseau postal. Cette distribution du courrier, six jours sur sept, dans tous les points du territoire pour un même tarif fait partie des missions de service public que la Poste se doit de remplir. La loi de 2005 sur la présence postale impose que 90% de la population soient à moins de 5 km et à moins de vingt minutes d'un point de contact postal (bureau de poste, agence postale communale ou point-relais). Le groupe La Poste s'est engagé à maintenir, sous une forme ou sous une autre, les 17.000 points de contact existant en France. Les autres missions de service public concernent le rôle de banque sociale des bureaux de poste dans un but de cohésion sociale, le rôle d'aménagement du territoire pour assurer une cohésion territoriale, et le transport et la distribution de la presse pour assurer le pluralisme de l'information. |
Orne: le haut débit pour 100% des habitants
Les lacunes de la ligne téléphonique ont été comblées par la voie des airs.
«A Rouellé, dans l'Orne, personne ne pouvait accéder à internet en haut débit. Lorsque le conseil général a proposé de prendre en charge l'équipement satellite, les trois quarts des foyers se sont déclarés intéressés.» Colette Roulleaux-Dugage, maire de la commune de 214 habitants, montre avec fierté la parabole accrochée au mur de la mairie. «Maintenant, il devient très facile de télécharger les documents transmis par la préfecture», ajoute-t-elle.
Après une enquête réalisée en début d'année auprès de ses concitoyens, Colette Roulleaux-Dugage a reçu quatre-vingts demandes. Et depuis au début d'octobre, les «packs satellite» arrivent dans les foyers.Cet équipement s'inscrit dans le cadre de l'opération «haut débit pour tous», lancée par le conseil général. Celui-ci souhaite jouer la complémentarité des technologies d'accès à internet.
Installation de la technologie hertzienne
Souvent éloignés des centraux téléphoniques, les habitants des zones rurales ne bénéficient pas de la connexion par la ligne téléphonique (ADSL). En 2004, le conseil général a comblé ce vide en installant sur l'ensemble du département un réseau de pylônes qui permettent d'utiliser la technologie hertzienne du Wimax. Cet investissement de 7,9 millions d'euros a permis de faire passer la couverture haut débit de 40% à 98% de la population, et de faire de l'Orne l'un des territoires ruraux les mieux équipés.
Cependant, en raison des accidents du relief ou de la présence de zones forestières, trois mille foyers restent hors de portée de ces technologies. L'accès à internet par satellite s'adresse donc à eux, mais également aux travailleurs indépendants et aux mairies. Le conseil général ne voulait pas laisser 2% des habitants expérimenter seuls les technologies alternatives ou devenir les victimes de cette fracture numérique. Il a lancé, en juillet dernier, la prise en charge du «pack satellite»: actuellement mille deux cents demandes ont été déposées. Avec 100% de la population couverte, Alain Lambert, président du conseil général de l'Orne, prévoit «un essor des espaces publics numériques et, en milieu rural, le déploiement des environnements numériques de travail dans les locaux d'enseignement». Quant à Madame le maire de Rouellé, elle a adopté le satellite à son domicile «pour ses enfants et petits-enfants qui viennent avec un ordinateur».
Haut débit: il reste 20%Selon Louis Pautrel, del'Association des maires ruraux, c'est le nombre de ruraux sans accès au haut débit. |
400 euros d'aide du conseil généralLe kit de connexion par satellite comprend un modem, un boîtier électronique et une parabole. Jusqu'au 31 décembre 2008, ce kit est financé par le département dans la limite de 400 euros, soit quasiment sa valeur d'achat. L'installation de la parabole par un professionnel coûte environ 150 euros. Il faut ensuite ajouter l'abonnement mensuel, à partir de 29,90 euros. <br/>Trois fournisseurs sont partenaires de l'opération : Vivéole (viveole.fr), NordNet (internetbis.com) et Numéo (numeo.fr). Ce dernier présente sur son site une carte des départements qui accordent une aide au satellite. |
Maîtrise d'oeuvre: la part belle aux cabinets privés
Les communes devront se passer des conseils d'ingénierie de la DDEA.
La révision générale des politiques publiques (RGPP) lancée en 2007 par le président de la République est en marche : réduction du nombre de tribunaux, d'écoles, de gendarmeries, de sous-préfectures. On parle moins des DDE et des DDAF. Leur fusion, qui a donné naissance aux DDEA, avait été amorcée avant même la RGPP. Elle s'est accélérée depuis et s'achèvera en 2010. En plus de cette refonte, les DDEA devront appliquer les directives tombées cet été à l'issue des comités de modernisation des politiques publiques.
Auparavant, DDE et DDAF apportaient aux élus locaux leurs conseils techniques, leur «ingénierie». La DDE intervenait sur les voiries et bâtiments publics, la DDA sur l'eau et l'assainissement. Leurs services étaient payants. Ils intervenaient à la demande, le plus souvent comme maître d'oeuvre, parfois comme assistants à la maîtrise d'ouvrage en amont des projets. A la fin de 2011, les DDEA se seront totalement retirées de leur première compétence, cédée au secteur concurrentiel, après s'être assurées de la présence de cabinets privés sur leur territoire. Elles interviendront uniquement en assistance à la maîtrise d'oeuvre en se limitant aux politiques prioritaires de l'Etat: développement durable, accessibilité des bâtiments, prévention des risques, gestion des déchets... Ainsi, elles ne s'occupent plus de la voirie, sauf s'il s'agit de rendre un trottoir accessible aux handicapés. Les petites communes bénéficieront encore de l'ATESAT, l'assistance technique pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire.
Les petites communes mal loties
Selon Michel Fournier, président des maires ruraux des Vosges, de nombreux chantiers n'entrent déjà plus dans le champs de l'ATESAT. «Et la tolérance manifestée par les anciens agents disparaît quand ils s'en vont.» Bernard Verdier, maire de Castelnau-Magnoac, s'indigne: «Nous avions confiance dans les fonctionnaires. Ils nous conseillaient dans l'intérêt de nos communes.» Hubert Lefèvre, président des maires ruraux de la Manche, est moins sceptique: «La réforme de l'État est nécessaire. Les cabinets privés répondent plus vite que l'ancienne DDE pour la création de cités. Je suis plus inquiet sur les travaux d'urbanisme, l'instruction future des permis de construire.» Louis Pautrel, président des maires ruraux d'Ille-et-Vilaine, ne décolère pas: «Nous devrons recruter un technicien avec d'autres communautés de communes. Il faut un bassin de 20.000 habitants pour supporter ce nouveau coût. Nous assurons toujours plus avec une dotation par habitant plus faible qu'en ville.»
Témoignage: Yves Ménager, président des maires ruraux du Loir-et-Cher «L'Etat exige toujours plus et soutient de moins en moins»
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«La concurrence est illusoire. J'ai peur que cela se passe comme pour l'eau: trois sociétés se partagent le pactole. Pour l'instant, les travaux de voirie engagés m'ont coûté presque moins cher qu'avec la DDE. Que se passera-t-il quand l'entreprise aura éliminé ses concurrents? Les agents de la DDE connaissaient chaque nid de poule de nos routes. Le préfet avait promis de laisser sur le terrain une «poussière de personnels» et un peu d'ingénierie. C'est fini. A Chateauvieux, j'utilise à plein l'ATESAT, l'aide aux petites communes. Survivra-t-elle à la "réformite" aiguë? Les ruraux sont mis de côté. L'Etat exige toujours plus et soutient de moins en moins. On nous promet dès janvier la réforme des administrations locales au nom de l'efficacité. Les conseils généraux pourraient disparaître alors que c'est le seul interlocuteur qui nous entend. On parle de supprimer des communes. A combien chiffre-t-on la valeur des liens sociaux que nous entretenons?»
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