Reportage «On ne retourne pas forcément les parcelles qui vieillissent»
Chez Xavier Marteau et Colette Debieu, la baisse de production d'une prairie est prise en compte: son exploitation est ajustée à son potentiel fourrager.
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Voilà quatorze ans que Colette Debieu et Xavier Marteau produisent du lait bio. Ils ont développé un système alimentaire autonome. La partie fourragère est assurée par un peu plus de soixante hectares de prairies. La partie «concentrés» est remplie par la récolte de mélanges céréaliers. Ces derniers s'insèrent dans une rotation avec les prairies temporaires variant entre sept et treize ans. «La prairie est une bonne tête d'assolement. Les céréales bénéficient de la libération des éléments minéraux après son retournement, explique Xavier. De plus, elle rompt le cycle des maladies provoquées par trois ou quatre années de culture.» Cela oblige les éleveurs à «casser» une prairie tous les quatre ou cinq ans. Ils choisissent la moins intéressante à valoriser. «Nous ne retournons pas systématiquement chaque prairie dans ce délai. Nous évaluons d'abord sa capacité à satisfaire encore les besoins fourragers de l'élevage si bien que la durée de vie des prairies varie entre quatre et onze ans.» Avant d'en arriver là, ils veillent à éviter l'apparition d'espèces à faible valeur nutritive, signe de vieillissement de la prairie avec à la clé une perte de productivité.
Des pratiques adaptées
L'exploitation compte 35 hectares de prairies temporaires autour des bâtiments réservés aux laitières. Dix-huit hectares de prairies naturelles plus éloignées accueillent les vaches taries et les génisses. Enfin, huit hectares sont destinés exclusivement à la fauche avec soit une association ray-grass hybride + trèfle violet, soit une association dactyle + luzerne.
Sur les prairies pâturées, la première mesure consiste à alterner la fauche et la pâture d'une année sur l'autre. «Tout d'abord, nous effectuons un déprimage sur l'ensemble des parcelles pour leur assurer une bonne base de démarrage. Ensuite, lorsque l'herbe explose, certaines sont écartées du cycle de pâturage. L'année suivante, elles sont gardées pour le pâturage tandis que celles précédemment pâturées sont à leur tour retirées.» L'alternance des deux pratiques empêche certaines espèces de prendre le pas sur d'autres. «Elle contribue à maintenir une bonne productivité de la prairie, analyse Patrice Pierre, de la chambre d'agriculture de la Mayenne. En effet, le pâturage sélectionne les graminées à port gazonnant qui colonisent le fond de la prairie, tandis que la fauche, plus tardive, favorise la grenaison des précoces et permet son regarnissage.»
Autre mesure contribuant à ralentir le vieillissement des prairies: la limitation du temps de repos entre deux pâturages à trente jours au printemps. «Nous l'appliquons depuis l'an passé. Auparavant, nous pratiquions entre 35 et 42 jours afin de favoriser le trèfle blanc. Nous étions encore calés sur un mode d'exploitation ray-grass anglais (RGA) + trèfle blanc lancé il y a quinze ans. Seulement, depuis, nos prairies ont évolué vers des multiespèces. Dans les parcelles où du dactyle ou de la fétuque élevée ont été accidentellement implantés, un retour des laitières après six semaines encourage leur expansion car ces deux espèces sont agressives. De plus, à un stade plus développé, elles sont moins appétentes, ce qui provoque des refus. Il a fallu s'adapter», observe Colette. Avec trente jours de repos, ils espèrent également lutter contre la prolifération du rumex. «Avec un retour à six semaines, il a le temps de monter en fleurs et donc d'enrichir les stocks de graines de rumex dans le sol.» Les éleveurs s'inquiètent du développement de la mauvaise herbe dans les prairies. «Ce n'est pourtant pas faute de les éliminer régulièrement manuellement et mécaniquement», se désolent-ils. Cette expansion ne concerne pas que leur exploitation. Les Suisses ont montré que le trèfle violet lève la dormance des graines de rumex. On soupçonne le trèfle blanc du même phénomène. Cette stratégie n'a pas empêché des espèces à valeur fourragère moyenne de prendre le dessus dans plusieurs parcelles. Ainsi, l'agrostis stolonifère occupe désormais le fond d'une association de 2001 en RGA + trèfle blanc.
Le souci de l'agrostis stolonifère
«Un surpâturage a sans doute créé des trous dans le couvert végétal que la plante s'est empressée de combler, estime Xavier. La parcelle a perdu en productivité depuis un an et demi. Nous ne comptons plus sur elle pour assurer la production laitière. Néanmoins, plutôt que la retourner, nous préférons nous adapter en modifiant sa place dans l'organisation du pâturage. Même si elle est moins intéressante, les vaches consomment correctement la végétation.» Elle accueillera donc les laitières durant douze heures, en alternance avec une autre prairie. Ces animaux seront remplacés par les génisses ou des vaches taries quand l'herbe sera moins tendre. «Cette dégradation par l'agrostis stolonifère n'est pas un cas isolé, constate Patrice Pierre. L'espèce est un agent de vieillissement des prairies. Le tapis dense qu'elle forme avec ses stolons fait échouer le sursemis. Afin de contenir la stolonisation, il est conseillé d'exercer un pâturage sévère en automne.» Un diagnostic prairial montre la présence du pâturin commun dans la plupart des prairies temporaires. Dans certaines parcelles, il a pris le relais des espèces fourragères disparues sous la pression du dactyle ou de la fétuque élevée. Dans d'autres, un pâturage ou une fauche après son épiaison à la mi-mai a permis sa grenaison et donc son extension (voir le tableau des huit espèces responsables du vieillissement ). Pour autant, le pâturin commun n'est pas gênant s'il est consommé ou récolté avant l'épiaison. En effet, au stade jeune, sa valeur fourragère est identique à un RGA. Ensuite, il fait chuter la production de la prairie. Une solution pour enrichir les parcelles concernées en espèces fourragères serait d'effectuer un sursemis. N'étant pas adeptes de cette technique, les éleveurs préfèrent s'en accommoder jusqu'à leur rénovation lorsque les besoins de la rotation culturale l'exigeront. Leur surface importante en prairies leur apporte cette souplesse.
L'avis de l'expert: PATRICE PIERRE, de la chambre d'agriculture de la Mayenne |
«Il faut réaliser le diagnostic en mai et juin»
«Qualifier le vieillissement d'une prairie permet de définir l'intervention adéquate. Pour cela, il faut rechercher les espèces indicatrices et leur nombre. Elles révèlent non seulement les conditions de milieu – pH, fertilité du sol –, mais aussi le mode d'exploitation – fauche fréquente, surpâturage, tassement. Le diagnostic prairial réalisé en mai et juin sur les plantes au stade jeune donne un bon aperçu de la situation et facilite la décision. Selon la proportion d'espèces indésirables et de vides dans la prairie, il faudra envisager une modification des pratiques – par exemple une meilleure fertilisation ou la réduction du chargement animal –, un sursemis ou une rénovation. Ce travail sera incomplet si, au préalable, la parcelle n'est pas resituée dans le système fourrager. On peut se satisfaire d'une qualité moyenne en l'orientant vers une autre valorisation que celle effectuée par les vaches laitières. Ce peut être un pâturage par les génisses ou les taries, ou encore une fauche, avec les génisses ensuite.»
Diagnostic avec un CD-rom Les chambres d'agriculture de la Mayenne et du Maine-et-Loire viennent d'éditer le CD-rom «Guide pour un diagnostic prairial». Il donne les clés d'identification de la plante à partir de l'observation des organes aériens de l'espèce au stade jeune: préfoliaison, oreillettes, ligules, couleur. Celle des organes souterrains (rhizomes, stolons, bulbes) complète le tableau. Une centaine d'espèces y figurent. Contact : 02 43 70 10 70. Voir le tableau des huits espèces classiquement responsables du vieillissement des prairies . |
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