Déjouer les résistances Déjouer les résistances
Rotations raccourcies, simplification des techniques culturales, développement de graminées résistantes, mais aussi ralentissement des innovations herbicides et suppression de certaines molécules rendent le désherbage plus complexe.
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Pour conserver l'efficacité des molécules les plus utilisées, l'alternance des modes d'action des herbicides au cours de l'année culturale, mais aussi tout au long de la rotation, est primordiale. Le traitement d'automne s'inscrit dans cette stratégie, en permettant d'effectuer un éventuel rattrapage avec une autre famille de molécules. De surcroît, lever précocement la concurrence des adventices se révèle gagnant à tous les coups. Les conditions d'application sont également essentielles.
La lutte chimique doit aussi s'associer à l'agronomie pour freiner l'apparition et le développement des adventices résistantes. Ainsi, la diversification et l'allongement des rotations avec l'introduction de cultures de printemps permet de casser le cycle des graminées hivernales.
Alors que les premiers signes de résistance aux sulfonylurées apparaissent, Arvalis révèle que plus de trois millions d'hectares de blé ont reçu un antigraminées de cette famille l'an dernier. Pour conserver son efficacité, la vigilance s'impose.
Adventices: frapper fort dès l'automne
Intervenir en postsemis permet de lever précocement la concurrence des adventices et de croiser les matières actives.
Le désherbage d'automne des céréales connaît un regain d'intérêt, mais ne concerne encore que 25 à 30 % des surfaces. Eliminer le maximum d'adventices avant l'hiver s'avère rentable même si, la plupart du temps, un deuxième passage est nécessaire. Les programmes apportent de la souplesse d'application et des résul-tats plus réguliers sur grami- nées comme sur dicotylédones. Une double intervention permet aussi de pratiquer l'alternance des modes d'action (voir le tableau ci-dessous) et ainsi d'éviter le développement de résistances.
L'objectif du désherbage d'automne est de lever précocement la concurrence des adventices. Celle-ci s'exerce à partir de 20 pieds par mètre carré. «La concurrence automnale des graminées peut couramment faire perdre 10 q/ha même si la parcelle apparaît propre après le désherbage de sortie d'hiver», avertit Ludovic Bonin, spécialiste du dés- herbage chez Arvalis.
«Le désherbage d'automne devient incontournable en cas de semis précoce et de densité d'adventices élevée, 40 à 50 graminées/m²», poursuit-il. D'autant qu'une date de semis de blé très précoce peut coïncider avec la levée du vulpin et du ray-grass. Si, de plus, le temps reste poussant durant l'hiver comme l'an passé, les adventices arrivent bien développées en janvier-février.
Base urée
En cas de forte pression des mauvaises herbes, Ludovic Bonin conseille d'appliquer une base urée (chlortoluron ou isoproturon), produit racinaire, à l'automne sur mauvaises herbes jeunes, avec un complément contre les dicots comme First, Foxpro D+ ou encore la nouveauté de BASF agro, Picosolo, entre 0,07 et 0,1 kg/ha (voir encadré).
Au printemps, l'agriculteur reviendra avec une fop, si cette famille est toujours efficace. Par exemple, Célio (clodinafop-propargyl à 0,4 l/ha + huile) ou Energy Puma (fenoxaprop-P-éthyl + méfen- pyrdiéthyl à 0,6-0,8 l/ha + huile). En cas de résistance aux fops, il optera pour une sulfonylurée, comme Archipel surtout sur ray-grass (0,25 kg/ha + huile) ou Atlantis (0,3 kg/ha sur vulpin, 0,5 kg/ha sur ray-grass + huile).
Si l'infestation est faible ou les semis tardifs, on peut faire le pari qu'une simple base urée sera suf- fisante, avec un sol frais et pas trop argileux et des graminées encore peu développées.
Une application de Célio peut être envisagée en situation encore sensible, à l'automne ou en sortie hiver, en augmentant la dose sur vulpin (0,3-0,5 l/ha + huile) et dans tous les cas avant mi-tallage du ray-grass (0,5-0,6 l/ha + huile). Cette fop peut aussi être mélan- gée à de l'isoproturon, à l'instar d'un Quartz (diflufénicanil + isoproturon) + Illoxan CE (di- clofop-méthyl).
Archipel ou Atlantis peuvent aussi être employés en application simple de printemps. La nouveauté Alister est à positionner à l'automne. Cette sulfo doit être réservée aux pressions adventices faibles à modérées, car il n'est plus possible de revenir avec un produit de la même famille au printemps. Un éventuel rattrapage peut se faire avec une urée avant fin tallage – épi 1 cm, mais ce positionnement n'est pas très souple, ou encore avec une fop. Arvalis recommande d'employer Alister à 0,7-0,8 l/ha sur vulpin et 0,9-1 l/ha sur ray-grass. Mais attention au coût. A la dose de 1 l/ha, Alister revient à environ 60 €/ha.
Moins de solutions
La problématique est quasi la même sur orges d'hiver, mais les solutions disponibles sont moins nombreuses. «Le flupyrsulfuron-méthyle (Lexus XPE, Oklar) est la seule sulfonylurée applicable sur escourgeon et uniquement à l'automne, rappelle Ludovic Bonin. Atlantis WG et Archipel ne sont pas autorisés sur orges et on a perdu l'Assert 300 (1).»
Comme pour le blé, on peut par- tir sur une urée en prélevée. Les semis étant assez hâtifs, il est possible d'envisager un rattrapage avec un foliaire dès l'automne.
Si les fops sont encore efficaces, on s'orientera vers Baghera (diclofop-méthyl + fenoxaprop-P-éthyl + méfenpyrdiéthyl) à 1,5 l/ha + huile, accompagné ou non d'un antidicots. Il peut aussi être uti- lisé en application unique. Mais attention à son efficacité sur adventices développées. L'association Baghera + Oklar est éga- lement possible, rattrapée si nécessaire en tout juste sortie d'hiver par une urée.
Lorsque les fops ne peuvent plus être utilisées, peu de possibilités subsistent. Sur ray-grass, du chlortoluron sera appliqué en prélevée, suivi d'un Défi (prosulfocarbe) en rattrapage postlevée. Autre possibilité : chlortoluron + Carat (flurtamone + diflufénicanil) en prélevée, suivis de Défi en post. Sur vulpin, Oklar (15 g/ha) sera positionné à l'automne, complété par de l'isoproturon en tout juste sortie d'hiver, associé si nésessaire à un antidicots. Ou encore on associera de l'isoproturon et du Prowl 400 (pendiméthaline) à 1,5 l/ha en prélevée, suivi en rattrapage dès l'automne d'Oklar.
Double résistance
Par endroits, ni les fops, ni les sulfos ne peuvent plus être utilisés en raison de résistances. Pour désherber les blés et les orges, il ne reste plus alors que les urées, Défi et Prowl 400, éventuellement Carat. Sur orges, Avadex 480 (triallate), produit liquide à appliquer en présemis, apporte une efficacité significative (70 à 90 %).
Dans ces cas extrêmes, il faut revenir à l'agronomie et diversifier la rotation. La culture de colza, pois ou maïs, par exemple, permet aussi d'utiliser d'autres familles de matières actives, comme la carbétamide (Légurame) et la propyzamide (Kerb flo).
Rappel: restrictions réglementairesDepuis l'automne 2006, les « sulfos » sont limitées à une seule application par campagne. Cette décision concerne le mésosulfuron, l'iodosulfuron, l'imazaméthabenz, le propoxycarbazone, le sulfosulfuron et le flupyrsulfuron. En outre, les urées - isoproturon et chlortoluron - sont limitées depuis trois ans à une application par cycle cultural à respectivement 1.200 g/ha et 1 800 g/ha. |
La rotation, l'assurance tous risques
Lutter contre les graminées résistantes nécessite de diversifier les cultures et d'alterner les modes d'action des herbicides.
Les rotations basées uniquement sur des cultures d'automne, particulièrement si elles sont implantées en travail du sol réduit, favorisent la germination de graminées automnales comme le vulpin, le ray-grass ou encore le brome. Avec, à la clé, un risque d'apparition de mauvaises herbes résistantes aux her- bicides foliaires comme ceux de la famille des fops, des dimes ou plus récemment des sulfonylurées. Ce risque varie selon les pratiques agronomiques et les programmes de traitement choisis pour désherber (voir le tableau ci-dessous).
Un des premiers leviers pour diminuer le stock semencier consiste à pratiquer deux ou trois déchaumages superficiels à l'in- terculture afin de faire lever vulpins et ray-grass dans la fu- ture parcelle de blé. Ces mau- vaises herbes seront ensuite éliminées par destruction mé- canique ou chimique. Décaler de quelques jours la date de semis limite les levées dans la céréale (notamment en vulpin) en décalant le cycle de la culture par rapport à celui des adventices, ceci sans entamer le potentiel.
Choisir une variété de blé résistante au chlortoluron permet d'utiliser cette matière active pour désherber efficacement le ray-grass. Le retour ponctuel au labour, notamment après plusieurs années de travail du sol simplifié, est un autre levier possible pour limiter les infestations.
Pression de sélection
Mais les spécialistes du désherbage insistent tous sur un point: «La lutte contre les adventices doit se raisonner non seulement à la culture, en positionnant au mieux les herbicides, mais aussi sur l'ensemble de la rotation.» Ainsi, l'allongement et la diversification des rotations avec l'introduction de cultures de printemps ou d'été permettent de casser le cycle des graminées hivernales et de générer un cortège floristique plus varié mais moins dense. Selon Arvalis, les rotations à base de colza et de céréales (colza-blé, colza-blé-orge d'hiver) couvrent plus d'un million d'hectares. Petit à petit, la flore se spécialise et devient difficile à maîtriser. Bémol : la présence de sols superficiels sur l'exploi- tation limite parfois la culture d'espèces de printemps.
Diversifier les cultures rend par ailleurs possible la destruction de mauvaises herbes par des désherbants spécifiques dans chaque culture, avec des modes d'action différents. Dans les populations d'adventices, il existe naturellement quelques individus résistants à un herbicide donné, d'autant plus quand la parcelle est sale. Or l'utilisation répétée de produits à même mode d'action (lire le tableau page 74) conduit à détruire toutes les plantes sensibles et à sélectionner les plantes résistantes, qui se multiplient et en- vahissent la parcelle.
Préserver l'efficacité des matières actives
Pour contrer ces résistances, il faut donc jouer l'alternance des familles de produits, non seulement au niveau de la céréale seule en cas de rattrapage, mais aussi dans les différentes cultures de la rota- tion. Ce qui permet de différer dans le temps l'apparition d'autres types de résistance dans la population de graminées.
Mais les cultures de printemps ne sont pas toutes égales devant le nombre de familles chimiques disponibles. Ainsi pour gérer les ray-grass dans l'orge de prin- temps, il n'existe pas d'alterna- tive aux herbicides folaires comme l'Illoxan CE (fop). Il ne reste que les produits racinaires comme Avadex 480 (triallate) et Foxtar D+ (base isoproturon) dont l'efficacité est moyenne sur ray-grass. En présence de ray- grass résistants aux fops, cette culture est donc à éviter.
Il faut aussi faire attention au fait que les produits commerciaux peuvent être différents alors que les matières actives appartien- nent au même groupe. Il n'y a alors pas d'alternance.
Dans les rotations colza-blé-orge d'hiver, le blé tendre offre une grande diversité de groupes de mode d'action (A, B, C2, N...). Le colza offre, lui, la possibilité de faire appel à des groupes différents, avec par exemple Kerb flo (groupe de mode d'action K1), Légurame PM (K2) ou Devrinol FL (K3). Si du Célio (A) est utilisé sur céréales, mieux vaut éviter sur colza le Fusilade X2, une autre fop. En rotation betterave/blé/orge de printemps/colza/blé, éviter le Pilot (A) sur betterave lorsque Célio et Baghera (A) sont employés sur céréales et Fusilade X2 sur colza. L'alternance Targa D+ ou Ogive (groupe A sur betterave), Atlantis (groupe B, blé), Foxtar D+ (F3, orge) et Kerb flo (colza) est préférable. L'entretien chimique de l'interculture participe également à la rotation des modes d'action. Les groupes G et H (glyphosate et glufosinate) ne sont en effet pas présents dans les cultures.
Témoignage: GRÉGORY HENRISSAT, agriculteur à La villeneuve-au-Roi, dans la Haute-Marne «Face aux vulpins résistants, j'ai raisonné autrement mon itinéraire»«Par facilité, mon raisonnement était auparavant surtout basé sur le désherbage chimique. J'ai eu des problèmes de résistance avec les fops sur vulpin. Pour pallier ce problème, je suis passé aux sulfonylurées. Aucun souci la première année mais, dès la troisième campagne, il n'y a plus du tout eu d'effet sur l'adventice. La sélection des populations résistantes a été d'autant plus rapide que je travaillais avec des doses réduites. Mais, pour moi, la base du problème demeure la simplification du travail du sol. Je me suis remis au labour une année sur trois pour enfouir un maximum de graines et épuiser le stock semencier. Quand le temps le permet, je réalise au moins deux faux semis à l'interculture en privilégiant la destruction mécanique des adventices. Je retarde aussi de quelques jours mes dates de semis, vers le 5-10 octobre, pour éviter les levées de vulpin dans la céréale. Depuis 2007, j'ai même réintégré l'orge de printemps dans ma rotation colza-blé en remplacement de l'orge d'hiver, une culture que je ne pouvais plus désherber efficacement. L'orge de printemps m'a permis d'allonger mon interculture et de mieux venir à bout du vulpin. J'alterne aussi les familles d'herbicides dans ma rotation. Auparavant, j'intervenais sur blé avec Archipel à 200 à 210 g/ha à partir du stade 3 feuilles et à la reprise de végétation. Puis, fin tallage, j'apportais une double application d'Attribut (30 g/ha) à 10-15 jours d'intervalle. Désormais, à l'automne, je désherbe avec du chlortoluron ou de l'isoproturon. En fonction de l'efficacité du désherbage d'automne et de la flore présente, j'applique au printemps Attribut seul ou associé avec Archipel.» |
Veiller aux bonnes pratiques d'utilisation
Avant d'employer des herbicides sur céréales à paille, quelques règles élémentaires doivent être appliquées en fonction du mode d'action des produits.
Les produits phytosanitaires, et donc au même titre les herbicides céréales, doivent être utilisés dans les meilleures conditions afin d'éviter des pollutions mais aussi pour gagner en efficacité et diminuer les risques d'apparition des résistances. «Beaucoup d'échecs de désherbage pourraient être évités », signale Lucien Saumur, rapporteur national au Service de la protection des végétaux sur le désherbage des céréales.
Premières règles de bon sens : ne pas traiter juste avant un épisode pluvieux, en présence de forts vents ou de gelées. Par ailleurs, l'hygrométrie doit être supérieure à 60 % pour faciliter la pénétration des herbicides foliaires et des sulfonylurées. Si d'importantes amplitudes thermiques (15 °C) entre la nuit et le jour sont annoncées, il est préférable de reporter le traitement, un problème de sélectivité pouvant apparaître.
Chaque mode d'action a ses spé- cificités. Pour les herbicides racinaires (chlortoluron, isoproturon...), les caractéristiques du sol sont primordiales car le complexe argilo-humique peut piéger les produits si les taux d'argile ou de matière orga- nique sont respectivement supérieurs à 30% ou 3%.
Herbicide racinaire: traiter sur sol humide
«Mieux vaut reporter le traitement si le sol est sec car l'absorption par les racines sera fortement diminuée », complète Lucien Saumur. Il faut s'assurer d'une bonne répartition des produits foliaires de contact (First, Aurora, Foxpro D+...) pour qu'ils atteignent leur cible. « Evitez de réduire le volume de bouillie au-dessous de 80 litres par hectare, notamment dans le cas de buses à injection d'air qui génèrent de trop grosses gouttes, signale le spécialiste. Les buses à fente classique demeurent idéales pour traiter avec des foliaires de contact.»
La présence d'une rosée non ruisselante est un plus car elle améliore la pénétration. Les fops (Célio, Puma LS...) et les hormones sont des herbicides foliaires pénétrants qui né- cessitent la présence d'un temps poussant dans les huit à dix jours encadrant le traitement. Le sol doit être légèrement humide et les températures comprises entre 9 et 20 °C pour favoriser la circu- lation de la sève et véhiculer le produit dans la plante.
Si la cuticule des dicotylédones laisse généralement passer facilement les produits, il n'en est pas de même pour les graminées. Il est donc conseillé, pour améliorer la pénétration de produits tels que Célio ou Puma LS, d'ajouter une huile.
Les sulfonylurées disposent, quant à elles, d'un mode d'action essentiellement foliaire, mais ont également une capacité racinaire. C'est pourquoi il est essentiel d'avoir une humidité suffisante dans l'air comme dans le sol.
Autres éléments à respecter Près de points d'eau, il faut pour chaque spécialité prendre en compte la zone non traitée (ZNT). Pour Alister, Célio et Atlantis WG, elle est de 5 m, alors qu'elle atteint 20 m pour Quartz GT ou Picosolo. Si la ZNT n'est pas mentionnée sur l'étiquette, un minimum de 5 m devra être appliqué.Afin de vérifier si votre mélange est autorisé, Arvalis et le Cetiom ont mis au point un outil d'aide à la décision disponible sur leurs sites: www.arvalisinstitutduvegetal.fr et www.cetiom.fr . |
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