Il y a mis toute sa conviction et a remporté le vote du Sénat. Le sénateur de Haute-Loire Laurent Duplomb (LR), agriculteur lui-même, a cité son propre cas devant le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti, peu convaincu par sa proposition : « Quand je passe de 60 à 120 vaches laitières, le trouble est de même nature. La trayeuse commence à la même heure. Il faut donc protéger cette activité économique. En revanche, si je crée un atelier de poules pondeuses, c’est un changement substantiel », explique-t-il dans l’hémicycle du Sénat le 12 mars 2024 pendant la discussion sur les troubles de voisinage.
Le ministre lui reprochait le flou de la rédaction de son amendement : « il est trop difficile à appliquer par manque de précision du trouble. De plus, il revient à exonérer les responsabilités de l’exploitant et priver la victime de tout droit à la réparation du trouble », avance Éric Dupond-Moretti. Mais il n’a pas eu gain de cause et les parlementaires ont voté pour le renforcement de la loi sur la protection des agriculteurs contre les procès abusifs de leurs voisins, venus s’installer après eux.
Activités économiques
Cette loi était initialement proposée par la députée du Morbihan, Nicole Le Peih. Elle présume que l’activité des agriculteurs et des artisans ne peut pas être attaquée par un voisin qui en avait déjà connaissance au moment de sa propre arrivée. En résumé, celui qui vient aux nuisances ne peut pas sen plaindre. Plusieurs procès ont déjà porté sur des sujets de ce genre mais les juges manquaient de texte législatif pour prendre leur décision. Assez consensuelle, la proposition de loi a déjà été adoptée par l’Assemblée nationale le 4 décembre 2023. Elle venait appliquer une promesse faite par Éric Dupond-Moretti pendant le Salon de l’agriculture 2 022.
Mais sa rédaction ne permettait pas de préserver le développement de l’activité agricole. Elle admettait qu’une ferme soit protégée quand elle effectue une mise aux normes ou change son activité du fait de la réglementation. Par exemple, un élevage avicole qui passe d’un élevage en batterie à une conduite en plein air peut provoquer de nouvelles nuisances mais c’est la législation qui y conduit en mettant fin aux batteries. C’est donc un subtil équilibre qu’ont cherché les sénateurs avec des amendements techniques. « C’est triste de devoir légiférer sur le vivre-ensemble mais c’est nécessaire », résume le sénateur de l’Oise Olivier Paccaud, en se référant au cas de Vincent Verschuere « qui nous occupe dans le département depuis dix ans ».
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Equilibre
Les sénateurs ont donc débattu de la finesse de la rédaction du texte. « Nous sommes à la recherche d’un équilibre entre la liberté d’entreprendre et le risque de dérive », observe Éric Dupond-Moretti. Deux traductions législatives du développement de l’activité agricole se faisaient face. D’un côté, inscrire dans le Code civil « la modification substantielle » de l’activité agricole ; de l’autre, considérer « l’aggravation substantielle du trouble ». Comme cette loi créée une exception au droit général, l’enjeu de cette rédaction est de savoir si elle empêche le plaignant d’exercer son droit légitime à être indemnisé. Malgré le choix des sénateurs à rebours du gouvernement, la question n’est pas close. Il reste maintenant à lire ce qui va sortir de la commission mixte paritaire, chargée de trouver un compromis entre les députés et les sénateurs d’ici à quelques semaines, et, surtout, des décrets d’application, qui relèvent eux, uniquement du gouvernement.
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