1. Forte concurrence de la Russie, qui doit encore sortir 45 millions de tonnes de grains
La concurrence de la Russie affecte la compétitivité des blés européens et français. Jusqu’en octobre 2023, la Russie a beaucoup plus exporté que les précédentes campagnes, mais la situation s’est inversée en novembre et décembre dernier. « La Russie a exporté 31 millions de tonnes (blé, orge et maïs) en six mois, résume Marc Zribi. Pour réaliser les 76 millions de tonnes attendues, il lui resterait 45 millions de tonnes à exporter. »
2. Les pays frontaliers de l’Ukraine plaident pour une taxe à l’importation des grains ukrainiens
La Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et la Roumanie ont envoyé une lettre commune à la Commission européenne pour demander une taxe à l’importation des grains en provenance de l’Ukraine, arguant que les prix bas agricoles ukrainiens déstabilisent leurs marchés et créent une concurrence déloyale.
Les exportations de maïs et de blé de l’Ukraine ont fortement progressé sur la première moitié de la campagne de commercialisation. Le dernier rapport de l’USDA (ministère américain de l’Agriculture) a par ailleurs revu à la hausse les productions ukrainiennes en 2023 de blé comme de maïs. « La campagne d’exportation avait commencé en fort recul comparativement aux précédentes, lié à la dénonciation du corridor maritime céréalier par la Russie », explique Marc Zribi.
Depuis, l’Ukraine a mis en place des stratégies d’exportations par le Danube, par voie terrestre, ainsi qu’un nouveau corridor maritime protégé qui longe les côtes bulgares et roumaines avant d’arriver en Turquie et au Bosphore pour sortir de la mer Noire. « Entre août et décembre 2023, l’Ukraine a exporté 17 millions de tonnes de produits agricoles par les ports maritimes, selon les statistiques du ministère ukrainien de l’Agriculture », précise Marc Zribi.
3. La colère des agriculteurs monte en Europe
En Roumanie, des agriculteurs manifestent à la frontière avec l’Ukraine. « Ils demandent notamment la mise en place de files d’attente séparées aux frontières et dans le port de Constanta pour séparer les camions en provenance de l’UE et de l’Ukraine », explique Clémence Lenoir, chargée d’études économiques en grandes cultures à FranceAgriMer. Ils dénoncent également un coût élevé du diesel, des primes d’assurance onéreuses, ou encore les mesures de la Commission européenne en faveur de l’environnement.
L’Allemagne connaît de même une forte mobilisation des agriculteurs face aux réductions de subventions prévues par le gouvernement dans le contexte de crise budgétaire.
4. Une campagne de 2024 tendue en blé ?
Le dernier rapport de l'USDA a revu en hausse la production mondiale de blé (à 784,9 millions de tonnes) et les stocks finaux pour la campagne de 2023-2024 atteindraient 260 millions de tonnes (271,6 millions de tonnes en 2022-2023). Marc Zribi souligne un point d’attention : les stocks de blé aux États-Unis se révèlent inférieurs aux attentes (à 17,6 millions de tonnes), et les prévisions de surfaces semées en blé d’hiver en 2024 pour le pays sont moindres que prévues, avec 13,9 millions d’hectares, en baisse de 6,2 % sur un an.
Entre réductions des surfaces, mauvaises conditions de cultures, avec notamment les pluies dans le Nord, et le report vers les cultures de printemps, la campagne ne s’annonce « pas optimiste » en France en blé, souligne Adèle Dridi, chargée d’études économiques en céréales à FranceAgriMer.
5. Insécurités en mer Rouge
Depuis un mois, la mer Rouge est le théâtre de très fortes tensions dans le sillage du conflit israélo-palestinien, avec les attaques par les rebelles houthis au Yémen de la navigation maritime. « Face à cette insécurité maritime et malgré la protection assurée par les flottes navales américaines, britanniques et françaises notamment, dans le cadre d’une coalition, de grandes compagnies maritimes ont opté pour contourner la mer Rouge par le cap de Bonne Espérance pour les exportations vers l’Europe. Cette route modifie fortement les temps de trajet et les distances entre l’Europe et l’Asie », appuie Marc Zribi, chef de l’unité des grains et du sucre de FranceAgriMer.
En temps normal, le trafic au canal de Suez représente 22 000 navires par an. Selon les données du FMI-Port Watch, le trafic du canal de Suez en volume et en bateaux a baissé de 40 à 50 % depuis la fin de décembre 2023.
« Difficile d’apprécier l’impact des tensions sur les grains », avance Marc Zribi. Selon lui, les exportations européennes de grains vers la Chine passent par le canal de Suez et la mer Rouge. « Les flux sortant de l’Europe vers l’Asie ne devraient, en théorie, pas être affectés par les attaques », estime-t-il. Il ne néglige cependant pas « le risque d’embrasement du conflit », qui ferait de la zone un territoire de guerre impraticable.
6. Le fret maritime perturbé
Outre les tensions en mer Rouge, le fret maritime est perturbé par les basses eaux du canal de Panama, entraînant un report partiel de trafic. Même si des précipitations récentes ont stabilisé les niveaux d’eau, la situation reste inquiétante avec le phénomène El Niño en cours, et la situation hydrologique reste défavorable à long terme.
Par ailleurs, les épisodes de très hautes eaux du Rhin ont stoppé pendant plusieurs semaines la navigation sur le Rhin. Le détroit du Bosphore reste, quant à lui, « extrêmement sensible, avec la sortie des céréales russes et ukrainiennes de la mer Noire », juge Marc Zribi.
7. Mésentente au sein de l’Opep
Entre facteurs haussiers et baissiers, le marché du pétrole « s’équilibre d’une certaine manière », évoluant entre 75 et 80 $ le baril, et « peine à trouver une orientation », indique Marc Zribi. Les tensions internationales et, en particulier, les impacts indirects du conflit israélo-palestinien en mer Rouge soutiennent les prix, tandis que la faible demande mondiale et l’abondance actuelle de l’offre font au contraire pression.
« Les États-Unis comme le Canada devraient revenir aux exportations de pétrole de schiste en 2024, illustre Marc Zribi. Par ailleurs, l’Opep semble ne plus parvenir à maintenir une discipline en matière de restriction de l’offre et de l’ajustement de la production aux perspectives de la demande mondiale. Dernièrement, l’Arabie Saoudite a décidé d’ouvrir complètement les vannes de sa production aux prix du marché. »