« La contractualisation est un levier majeur de structuration des filières dans le temps long », avance Marie-Benoît Magrini, ingénieure de recherche en économie à l’Inrae. Elle intervenait à une table-ronde le 4 novembre 2025 lors du colloque des légumineuses à graine, organisé par Terres Inovia à Paris.

« Lorsqu’on est confronté à un faible volume de production, comme c’est souvent le cas pour les filières des légumineuses, la contractualisation permet de sécuriser l’échange, car elle encourage les parties à réaliser cette production, décrit Marie-Benoît Magrini. Sur un faible volume, la question du seuil de rentabilité et de profitabilité se pose très vite : sécuriser l’échange, c’est aussi sécuriser les investissements. »

Développer les connaissances

Moins une production a été développée par le passé, plus elle souffre d’un différentiel de compétitivité. « Il y a moins de connaissances sur ces cultures, moins de savoir-faire, et donc on est confronté à des incertitudes et des risques qui sont plus importants par rapport à d’autres commodités à plus gros volumes, comme le maïs ou le blé », ajoute Marie-Benoît Magrini. La contractualisation est ainsi un moyen de consolider des échanges dans le temps, en incitant à la production les mêmes agriculteurs et à la transformation les mêmes industriels, et également à développer les connaissances et progressivement amener un rattrapage de compétitivité.

Sont intervenus à la table-ronde (de gauche à droite) : Pierre Toussaint, directeur de l'agronomie, des transitions et de l'innovation chez Axéréal, Cyrielle Mazaleyrat, ingénieure chez Terres Inovia et coordinatrice du projet Fileg, Marie-Benoît Magrini, ingénieure de recherche en économie à l’Inrae, animée par Arthur Le Berre, de Terres Univia. (©  Justine Papin/GFA)

À la coopérative Axéréal, l’engagement sur le long terme est un enjeu pour l’initiative Intact, dont l’usine près d’Orléans va produire des protéines végétales à partir de pois et de féverole. « Il a d’abord fallu se sécuriser du point de vue agronomique et économique », témoigne Pierre Toussaint, directeur de l'agronomie, des transitions et de l'innovation chez Axéréal. Dès la validation du projet, Axéréal a créé un « club ambassadeur », réunissant des agriculteurs expérimentés sur la culture de pois et des nouveaux entrants, qui partagent notamment leurs bonnes pratiques. « On avait désinvesti sur cette production, que ce soit sur l’expérimentation, l’agronomie ou le conseil, constate Pierre Toussaint. Au bout de trois ans, ce groupe fonctionne bien. Il était important d’accompagner les agriculteurs. »

Sécuriser un marché

Dans le cadre du projet Intact, « l'industriel est sécurisant, parce que le marché est là et va se développer, et il est à proximité », décrit Pierre Toussaint. Pour commencer, l’usine va produire 30 000 tonnes de protéines végétales. Axéréal a également mis en place une prime en lien avec la filière, pour inciter les agriculteurs à produire les premières années. « On a devancé la construction de la filière Intact, qui aujourd’hui n’a pas encore livré ses clients, décrit Pierre Toussaint. L’usine est en phase finale de construction, les premiers camions arriveront d’ici à la fin de l’année 2025. » Axéréal a également travaillé avec un partenaire (Bessé) sur un système assurantiel. « On a bâti avec leur aide un schéma pour sécuriser l’agriculteur et l’indemniser de telle sorte qu’en fonction de son rendement, il ait un produit qui, au minimum, couvre son coût de production. »

« Le contrat va aussi engager les parties à réfléchir aux modalités de production. Derrière le contrat, il y a des cahiers des charges, des accords sur des itinéraires culturaux, des choix de variétés à privilégier pour réduire ces risques de production… », ajoute Marie-Benoît Magrini. « Mettre en place un contrat de filière, cela prend 24 mois, parce qu’il y a du volume, un cahier des charges, qu’il faut lancer des contrats de multiplication pour avoir la semence et les variétés adaptées », approuve Pierre Toussaint.

Relation de confiance

« La démarche de contractualisation crée une relation de confiance, poursuit Marie-Benoît Magrini. Sur un marché, les échanges sont relativement anonymisés. Celui qui achète cherche une quantité à un certain prix et ne connaît pas forcément tout le système qu’il y a derrière la production. De même, celui qui vend ne connaît pas toujours le système derrière la transformation et la finalisation du produit. Dans une filière sous contrat, il y a une relation de confiance et une interconnaissance qui se développe. » Par ailleurs, « une filière sous contrat qui dure dans le temps témoigne de la force de ses liens et rassure les parties prenantes, en particulier les banques, dans les stratégies d’investissement », illustre l’experte.

« Entretenir la confiance, c’est aussi essayer de sortir de cet effet très conjoncturel, d’année en année », abonde Cyrielle Mazaleyrat, ingénieure chez Terres Inovia et coordinatrice du projet Fileg, association visant à structurer une filière des légumineuses à graines en Occitanie.