2. Importer et investir ailleurs 2. Importer et investir ailleurs
Avec une balance commerciale agroalimentaire dont le déficit enfle d’année en année, la Chine développe des relais à l’étranger pour importer des denrées de qualité. La France, sans être la première, est une destination de choix.
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Mille sept cents hectares de terres dans l’Indre, environ 130 châteaux en Bordelais et une poignée de domaines en Bourgogne, des investissements pharaoniques dans le secteur laitier en Normandie et en Bretagne, des joint-ventures dans les secteurs des spiritueux ou de la charcuterie… Quand une entreprise chinoise s’implante en France, les médias s’emballent. Le mystère autour de ces opérations, l’opacité des montages sociétaires et la peur de notre vieille société occidentale de voir « des étrangers s’approprier nos terres » alimentent le mythe de l’empire conquérant. Pourtant, la politique d’investissement extérieur de la Chine n’est que très récente, comparée à celle des États-Unis, par exemple.
Au-delà des frontières
Les investissements directs à l’étranger (IED) chinois se sont développés à partir des années 2000 lorsque Pékin a mis en place sa politique de « Zouchuqu », traduisez de « sortie », incitant ses entreprises à aller chercher de la croissance à l’extérieur des frontières. D’environ 5 milliards de dollars (Md$) en 2005, ils étaient passés à 90 Md$ en 2012, tous secteurs confondus. « La forte croissance économique et l’accumulation d’importantes réserves de change avaient été à l’origine de cette politique initiée en 2001, année de l’entrée de la Chine dans l’OMC », indique Jean-Marc Chaumet, économiste à l’Institut de l’élevage. Les premiers investissements dans le secteur agricole en 2005 visaient à utiliser des ressources étrangères pour assurer un approvisionnement adapté en produits agricoles, évitant ainsi une trop grande dépendance aux marchés internationaux.
Besoin de terres
La balance commerciale agroalimentaire chinoise a commencé à être déficitaire en 2004. Un déficit qui s’est accentué d’année en année pour atteindre les 35,2 Md$ en 2014. Pour autant, la Chine n’importe que 2 à 3 % de son alimentation. L’empire du Milieu s’approvisionne surtout en matières premières agricoles pour l’alimentation animale, principalement auprès des États-Unis et des pays d’Amérique du Sud (voir infographie). Selon Zang Xiaoshan, chercheur à l’Institut de développement rural chinois, la Chine devrait cultiver 140 millions d’hectares (Mha) pour couvrir ses nouveaux besoins. Or, avec la « ligne rouge » de terres arables destinées à l’agriculture à 120 Mha, la Chine devrait cultiver l’équivalent de 20 Mha à l’étranger. Du fait de la « structure naturellement déséquilibrée » de la Chine (6,5 % des ressources en eau, 7 à 9 % des terres arables du globe pour 20 % de la population mondiale), ce recours aux ressources en terre et en eau de pays tiers est inévitable. Et cela, malgré les difficultés auxquelles les investisseurs sont confrontés. « Les discussions liées à l’achat de terres soulèvent des questions de propriété, d’ethnicité, de nationalité, de politique, ce qui crée plus de problèmes que de solutions », constate Chen Xiwen, économiste chinois. En 2011, l’agriculture représentait moins de 1 % des investissements directs à l’étranger (contre 66 % dans les services et 33 % dans l’industrie), principalement en Afrique où la production n’est pas destinée au marché chinois.
L’aval et la logistique
Cette stratégie de « sortie » des investissements agricoles et agroalimentaires ne se résume pas au simple fait de produire. Très dépendante du soja sud-américain, la Chine projette, pour acheminer ce dernier, d’investir 30 Md$ dans les infrastructures ferroviaires reliant la côte Atlantique à la côte Pacifique. Les entreprises chinoises investissent également dans la transformation. Le WH Group de Hong Kong, anciennement Shuanghui, a racheté en 2013 Smithfield Food aux États-Unis, le plus grand transformateur mondial de viande de porc, pour 7 Md$. La société américaine était en proie à des difficultés économiques depuis 2009 (1). Enfin, plus récemment, la volonté du groupe chinois ChemChina de racheter le géant suisse Syngenta n’est pas étrangère à cette politique de « diversification des investissements pour contrôler davantage les filières agricoles et rattraper le retard technologique », signale Jean-Marc Chaumet.
L’image d’une France paisible et non polluée
Dans ce contexte, la France, à son échelle, n’échappe pas aux convoitises, « mais elle n’est ni le premier, ni le dernier pays », souligne encore l’économiste. Tous secteurs confondus, elle ne représente d’ailleurs « que » 3 % des IED chinois dans le monde et 16 % des projets de la Chine dirigés vers l’Europe. D’autres pays européens ont la préférence des investisseurs chinois comme l’Irlande, le Danemark, ou encore les Pays-Bas dans le secteur laitier. Les entreprises Synutra, une entité 100 % chinoise, et Biostime ont, elles, respectivement parié sur Carhaix (Finistère) et Isigny-sur-Mer (Calvados) pour établir leurs usines et produire le lait infantile destiné aux bébés chinois. « Une terre fertile, une eau pure, un air frais, une technologie spécialisée et une garantie de qualité constituent les points clés qui nous ont convaincus de venir construire une usine en France », déclarait Zhang Liang, le PDG de Synutra en 2012, lors de la signature de l’accord de partenariat avec la coopérative Sodiaal. Cette dernière se garantit un débouché pour 288 millions de litres de lait et 30 000 tonnes de lactosérum par an pendant au moins 10 ans. De son côté, « Synutra s’assure de la livraison d’un ingrédient indispensable, le lactosérum déminéralisé, dont Eurosérum (filiale de Sodiaal, NDLR) est leader mondial avec 30 à 35 % de la production totale », indique Camille-Yihua Chen, auteure d’un livre sur les investissements chinois en France (2).
Business is business
Ce serait donc l’image de la France, et surtout ses savoir-faire, qui attireraient ces investisseurs, dont l’objectif est bien d’alimenter le marché intérieur chinois. Ils en connaissent les codes tout en garantissant à leurs consommateurs un produit sûr et de qualité. En investissant et en développant des partenariats économiques à l’étranger, ils acquièrent des compétences et des techniques. « Les entreprises chinoises cherchent une marque, une expérience, une ressource naturelle pour la réutiliser sur le marché asiatique. Elles investissent là où les Français sont très forts : dans l’agroalimentaire, le vin et le lait », explique Chunyan Li, fondatrice de Feida Consulting, une société qui se propose de faire le pont entre la Chine et la France pour faciliter le développement des entreprises. « La valeur ajoutée est du côté des chinois car ce sont eux qui transforment et exportent. Ils assurent juste un débouché à la matière première française pour 10 ans », observe Jean-Marc Chaumet à propos de Synutra. Et après ? Eh bien, c’est le problème de tout investissement extérieur au cercle familial. « Ils sont avant tout là pour gagner de l’argent. Une fois l’investissement rentabilisé, difficile de savoir ce qui se passera », admet Thierry Pouch, économiste à l’APCA.
« Les Chinois ont une vocation pour le business, ils ont ça dans la peau », souffle David Lawton, le directeur général d’Invest Bordeaux. Certes, les investisseurs étrangers choisissent la France pour son image, mais surtout parce qu’économiquement, il y a « des affaires à faire ». « La Chine investit dans des exploitations fragilisées : le lait en Nouvelle-Zélande parce que la filière est en crise, le foncier en France parce qu’il est le moins cher d’Europe. Les investissements chinois apportent des capitaux et des marchés avec des débouchés assurés dont la France n’a pas les moyens de se passer », tranche Thierry Pouch. Les projets d’investissements chinois dans les domaines agricole et agroalimentaire vont donc continuer à prendre de l’ampleur, comme les entreprises françaises vont, elles, continuer à tenter le voyage vers la Chine. La globalisation est là, et la Chine en est désormais un acteur majeur.
(1) La société Aoste, propriétaire des marques Cochonou et Justin Bridou, appartenait au Groupe Smithfield Food depuis 2006.
(2) Camille-Yihua Chen, Investissements chinois en France - Mythes et réalités, 2014
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