Le prochain ministre allemand de l’Agriculture a de bonnes chances d’être un représentant de la profession. La branche bavaroise du camp conservateur, de loin en tête des sondages, a désigné pour le poste Günther Felßner, actuel patron de la fédération bavaroise du principal syndicat agricole, le DBV. La démarche illustre la proximité traditionnelle de l’organisation, qui revendique un taux d’adhésion d’environ 90 % chez les exploitants, avec la droite de gouvernement qui a quasi monopolisé le portefeuille de l’agriculture depuis 1949. Le politologue Stefan Ewert, spécialiste du lobbyisme agricole, parle « d’effet tourniquet » entre le DBV et les sphères du pouvoir, au sommet de la pyramide comme au niveau technique. « On peut avoir quelqu’un qui passe d’un service ministériel au DBV et puis revient », indique l’expert de l’université de Greifswald.
Une « crise de représentativité »
Porte-voix d’une agriculture productiviste, le DBV a usé de son influence ces dernières années pour ralentir le rythme de la transition vers une agriculture plus verte. Stefan Ewert prend l’exemple de la dernière mouture de la Pac. « Elle a été diluée en commission au Parlement européen en particulier par des eurodéputés allemands. Dans le lot, il y a plusieurs personnes qui ont des liens très étroits avec le DBV. »
La politique du pied sur le frein a eu toutefois un effet boomerang. Tout d’un coup les agriculteurs allemands se sont retrouvés face à l’obligation de modifier rapidement les pratiques, par exemple pour les épandages. Le germe des différents mouvements de protestation est souvent né en marge du syndicat et culminé l’hiver dernier.
Pour le sociologue Hajo Holst qui a mené une enquête sur le sujet, les manifestations ont exprimé « une crise de la représentativité » au sein du monde agricole. « Un cinquième des protestataires ne se sentent pas représentés par le DBV », observe Stefan Ewert. Le syndicat majoritaire a pris le train en route du mouvement populiste LSV et réussi à canaliser la vague de colère en obtenant des concessions de Berlin.
« J’espère que les collègues ont remarqué combien il est important de parler d’une seule voix », appuie Susanne Schulze Bockeloh, vice-présidente du DBV. L’organisation doit néanmoins partager la scène depuis une dizaine d’années avec des groupes minoritaires, le BDM chez les éleveurs laitiers ou l’AbL, défenseurs d’une agriculture paysanne, bien introduits à gauche.
La féminisation en marche
Suzanne Schulze Bockeloh incarne une autre évolution au sein du syndicat majoritaire : la féminisation. Depuis 2022, une modification des statuts garantit une place pour une femme au sein de la direction fédérale. La céréalière est la première à l’occuper. « Il y a 11 % d’exploitantes en Allemagne. Ce chiffre pourrait doubler dans les prochaines années », souligne celle qui a lancé un réseau au sein du DBV afin de pousser davantage de femmes dans les instances syndicales et promouvoir des thèmes propres. « Un sujet important pour les exploitantes est la mise en place d’un congé maternité pour les travailleuses indépendantes afin de garantir une concurrence juste », détaille Suzanne Schulze Bockeloh.