Le 19 novembre dernier, le Danemark annonçait une première mondiale : la taxation de ses élevages pour leurs émissions de gaz à effet de serre. Un accord dit « tripartite » qui a été le fruit d'âpres négociations entre le gouvernement, le Parlement et plusieurs associations, dont le puissant L & F pour Landbrug & Fødevarer, littéralement « agriculture et alimentation ».

«à la fois les agriculteurs danois et des entreprises du secteur agricole. »

Ce dernier n’est pas un syndicat agricole comme les autres comme l’explique Henrik Jessen, éleveur de porcs au sud de Jutland et membre du conseil d’administration national de l’organisation. « Ce qui est particulier c’est que le L & F représente à la fois les agriculteurs danois, mais aussi les entreprises du secteur agricole. » Si ces entreprises membres ne font pas nécessairement publicité de leur adhésion, le spectre couvert est large. « Usines, laiteries, banques, assurances etc, décrit Henrik Jessen. Tout ce qui est lié aux agriculteurs et à l’industrie agroalimentaire ainsi que les coopératives. »

Cette représentation équilibrée qui est gravée dans le marbre. « Nous avons une assemblée dirigeante en deux couches. Une de 78 membres et une au-dessus de 30 membres, dont je fais partie. À chaque fois il y a une moitié choisie par les agriculteurs et l’autre par l’industrie. » Un risque de voir des intérêts divergents apparaître ? Pas nécessairement pour l’élu.

« Ça peut arriver qu’il y ait des désaccords mais comme il y a des coopératives qui sont aussi détenues par des agriculteurs, les intérêts convergent le plus souvent. » Et c’est bien ce qui fait la force du L & F, car lorsqu’il s’agit de négocier et de convaincre, quasi-tout le secteur agricole danois fait bloc. « Éleveurs de porcs, éleveurs laitiers, aviculteurs et l’industrie, nous parlons d’une seule voix et ça nous donne du pouvoir », ajoute-t-il.

Une radicalité qui ne prend pas

Dans les négociations qui ont mené à la prochaine taxation des émissions des élevages au Danemark, ce pouvoir a été déterminant. Car si la décision est spectaculaire, elle aurait pu s’avérer bien plus douloureuse pour la filière de l'élevage qui verra la taxe ne s’appliquer qu’à partir de 2030 et ce, de manière progressive.

De plus, des subventions ont été obtenues pour les investissements technologiques qui permettront de réduire ces émissions. « Une bonne partie du Parlement voulait taxer l’agriculture comme on taxe les industries avec le CO2. Seulement, ils ne connaissaient pas bien la question du méthane en élevage et beaucoup disent aujourd’hui qu’ils ont appris pendant ces négociations. »

Ce dialogue est salvateur pour Henrik Jessen. « Nous avons obtenu un texte qui ne va pas complètement tuer les exploitations. Notamment l’exemption pour les premiers 60 % que nous produisons », détaille-t-il. La conversion d’une partie des terres cultivées en forêt a aussi été négociée, grâce la encore à un mécanisme de subventions défendu par le L & F.

Cette hégémonie du L & F ne l’a pourtant pas épargné du syndrome de la dissidence et de la radicalité qui a émergé ces dernières années. « Des nouveaux groupes sont apparus en marge du L & F avec des membres qui y sont parfois restés affiliés. Souvent parce qu’ils estimaient que le syndicat n’en faisait pas assez », explique Henrik Jessen.

« Ils veulent combattre davantage et privilégient la manière forte et les manifestations », décrit-il. Une méthode qui ne recueille pas l’adhésion de la majorité des agriculteurs danois selon lui. « Il y a eu quelques manifestations et certains nous demandent pourquoi nous ne sortons pas les tracteurs comme en France en Allemagne ou aux Pays-Bas. Mais ça ne fonctionne pas de cette manière au Danemark. Ici, ça n’a pas vraiment d’effet. »

L’esquisse d’un fossé générationnel

D’autres tendances font en revanche bouger les lignes du syndicat. « L’âge moyen des agriculteurs et donc des membres augmente, observe Henrik Jessen. Nous sommes autour de 64 ans, observe le quarantenaire, mais la jeune génération qui arrive pense très différemment des anciens qui ont du mal à accepter les nouvelles règles et normes qu’on nous impose. Les jeunes savent que nous devons faire certaines choses que la société attend de nous. C’est la grande différence. »

« Il faut regarder quelle part de la population nous représentons aujourd’hui et comprendre que nous devons convaincre au moins 50 % des gens quand nous voulons quelque chose. Nous ne pouvons donc pas seulement nous battre et être contre tout, estime-t-il. Il faut commencer dès aujourd’hui à penser au futur. »