À quoi ressemble le syndicalisme agricole en Europe aujourd’hui ?

«Je pense tout d'abord qu’il y a une tradition syndicale assez forte avec des structures solides dans la plupart des pays de l'Union, même si cette structuration est plus récente en Europe centrale, observe Luc Vernet. C'est aussi une tradition proeuropéenne, car l’Europe fait partie intégrante du quotidien du monde agricole depuis son origine."

«On retrouve des particularités. Dans les pays de l’Europe de l’Ouest, il existe des structurations avant tout économiques quand en Europe de l’Est, les organisations se structurent davantage par les sensibilités politiques. On ne retrouve pas des structurations sectorielles dans l’ensemble des pays de l’Union européenne, c’est notamment le cas pour l’Europe du Sud."

«On note également des approches différentes dans le type de représentation, avec des élus moins présents à Bruxelles avec des profils plus administratifs côté Europe du Nord, qui ont tendance à laisser leur administration faire le travail. Ce n’est pas le cas pour la France qui a une tradition forte de présence active des professionnels à Bruxelles."

En France, il y a aujourd’hui deux syndicats dominants dans la représentation agricole. Retrouve-t-on ce type de schéma ailleurs ?

«C’est assez similaire en Espagne, en Italie ou en Irlande, moins en Allemagne. Dans les pays d’Europe centrale comme en Pologne, en Roumanie ou en Bulgarie les structures nationales représentatives sont plus récentes, et plus fragmentées. En revanche, nous voyons monter en puissance des organisations sectorielles très fortes comme en Pologne avec le secteur bovin ou en Roumanie avec une association de maïsiculteurs qui prend de l’ampleur, même au-delà des sujets de sa filière de base. Ce qui est relativement récent en Europe, ce sont aussi des « outsiders », comme aux Pays-Bas par exemple, qui sont apparus à partir du tournant des années 2008-2009 avec une forme de radicalité."

Comment cette nouvelle forme de syndicalisme plus radicale, a-t-elle émergé en Europe ?

«C’est un phénomène qui s’est installé au moment de la crise du lait et qui a repris depuis avec les mouvements de populistes européens qui essaient d’étendre leur base dans le secteur agricole, traditionnellement moins sensibles aux extrêmes. Car le monde agricole est à la base très attachée à l’Europe. Il sait ce qu’il lui doit et connaît très bien ses mécanismes. Mais il faut admettre que le Commissaire Timmermans a fait des dégâts."

Que voulez-vous dire ?

«Frans Timmermans est arrivé à la vice-présidence de la Commission dès 2019 en disant que le Green Deal (Pacte vert) passait nécessairement par des mauvaises nouvelles pour le monde agricole. En disant cela, il a un peu cassé une habitude européenne qui était d’engager un dialogue profond avec le monde agricole, fondé sur un lien de confiance. C’est donc l’un des enjeux pour la nouvelle Commission européenne, de renouer le fil du dialogue et de fermer cette parenthèse durant laquelle nous avons observé de la radicalité du côté des mouvements agricoles, mais aussi du côté des institutions, qui elles-mêmes étaient dans une radicalité d’approche sur un certain nombre de sujets, n’engageant pratiquement pas le dialogue avec les agriculteurs au profit de postures idéologiques. J’espère que nous verrons un reflux de cette forme de populisme institutionnel au profit d’un dialogue constructif, car le sujet des transitions rend le dialogue incontournable.»

Pour revenir à ces différents groupes syndicaux européens, comment travaillent-ils à Bruxelles ?

«Je vais faire la part des choses parce qu’il y a des syndicats qui effectuent un réel travail de fond politique et technique, prévient Luc Vernet. Ils sont présents et suivent au quotidien le travail des institutions. D’autres en revanche, ne viennent à Bruxelles que pour des manifestations. Ces acteurs n’ont pas nécessairement la volonté de s’engager dans ce travail au quotidien et utilisent leur passage à Bruxelles comme une carte postale de leur action. Dans les réunions plus techniques, les conférences etc..., nous ne voyons que les grands syndicats, les autres ne sont pas là.»