À la suite de la censure par le Conseil constitutionnel de la réintroduction de l’acétamipride, plusieurs organisations agricoles ont réclamé la mise en place de clauses de sauvegarde permettant de suspendre l’importation de produits étrangers traités avec l’insecticide pour lutter contre la concurrence déloyale.

La France Agricole vous explique en cinq étapes pourquoi cette interdiction semble très compliquée à mettre en œuvre en France, avec l’éclairage de Benoît Grimonprez, professeur de droit rural à l’Université de Poitiers.

La clause de sauvegarde, un instrument limité à l’environnement et le sanitaire

La clause de sauvegarde a été établie en 2002 dans un règlement européen (règlement n° 178/2002). « Celui-ci permet, en cas d’urgence et de risque sérieux pour la santé animale, humaine et l’environnement, de prendre des mesures de restriction de la circulation des denrées », éclaircit Benoît Grimonprez. Chaque État peut donc décider d’interdire la venue de denrées alimentaires sur son territoire, si elles présentent des risques pour la santé ou l’environnement. Mais l’interdiction doit être prise après information et avis de la Commission européenne, car il constitue une entorse au marché unique européen.

Sur l’acétamipride, il faudrait alors que la France justifie de son danger environnemental ou sanitaire auprès de la Commission. Pour Benoît Grimonprez, cette dernière a deux options :

  • Soit elle considère que le cadre européen qu’elle a déjà mis en place avec des limites maximales de résidus (LMR) préserve suffisamment la santé des consommateurs. Dans ce cas, la France ne peut pas justifier de mesures d’urgence car il n’y a pas de danger grave.

  • Soit elle autorise les clauses de sauvegarde en s’appuyant sur l’Efsa (Agence sanitaire européenne), qui « a émis des doutes et des incertitudes » sur la dangerosité de l’acétamipride. Un scénario difficile à assumer politiquement puisque la Commission considère qu’elle protège déjà l’environnement et les consommateurs via les LMR.

Dans le marché unique européen, « la clause de sauvegarde peut être mise en place pour préserver la santé et le risque environnemental mais absolument pas pour protéger une filière d’un pays », résume Benoît Grimonprez.

Un risque pour le commerce au vu de la diversité des produits concernés

Pour l’instant, le gouvernement français ne prévoit pas d’activer ce dispositif. D’autant que l’acétamipride est utilisé dans de nombreuses filières (betteraves, noisettes, prunes, graines, pommes…) et qu’il aurait du mal à justifier le danger environnemental et sanitaire seulement pour certaines (comme la betterave et la noisette).

« La clause de sauvegarde ne peut avoir de sens que si on vise toutes les filières et tous les produits. » Or, « plus ça touche de filières, plus ça restreint les échanges commerciaux, et plus c’est politiquement et commercialement difficile à réaliser », pose le professeur. « Politiquement, demander que tout un tas de produits agricoles ne rentrent plus sur notre territoire c’est potentiellement se mettre à mal avec d’autres partenaires européens. Et ainsi risquer de pénaliser les autres producteurs français » sur le terrain commercial de l’Union européenne.

Des clauses de sauvegarde plus politiques qu’efficaces

Les clauses de sauvegarde sont déjà difficiles à mettre en œuvre dans les faits. Celles qui l’ont été par le passé (notamment sur les cerises avec le diméthoate et le phosmet), agissaient dans un champ très restreint (les produits frais, non-transformés) et devaient être respectées par les importateurs et la distribution, sans qu’il n’y ait de réelles sanctions.

C’est là toute la limite du dispositif juridique pour Benoît Grimonprez. Sur les précédentes clauses de sauvegarde, « nous ne savons pas si elles ont été respectées ou pas ». D’autant que pour l’acétamipride, de nombreux produits — notamment transformés — pourraient être concernés. « S’il n’y a pas des dispositifs de contrôles performants et nombreux, ça ne marche pas. »

À défaut d’un régime de sanctions « très rigoureux », la clause de sauvegarde restera un instrument avant tout politique. « Mais économiquement c’est une mauvaise chose car on invisibilise le problème, juge le professeur de droit. Il continuera à exister mais on le met sous le tapis. »

La solution alternative pourrait venir d’un renforcement d’une obligation d’étiquetage de l’origine des ingrédients. Ce « genre de mesure pourrait avoir cette vertu que le consommateur privilégie la production française ».

Interdire l’acétamipride au niveau européen, la seule solution ?

Si interdire l’importation de produits traités à l’acétamipride apparaît extrêmement complexe, la solution pour éviter la distorsion de concurrence serait-elle de revoir l’autorisation européenne de l’acétamipride ?

À ce sujet, la ministre de l’Agriculture entend « poursuivre le combat […] en inscrivant ce point à l’ordre du jour des prochains Conseils européens ». « La France a déjà obtenu ces dernières semaines sur cette proposition le soutien d’une dizaine d’États membres », a-t-elle assuré dans un communiqué du 8 août, sans préciser lesquels seraient prêt à suivre la France.

Avis de l’Efsa le 5 septembre

De son côté, le ministre de la Santé, Yannick Neuder, a appelé sur France Inter « à une réévaluation par les autorités sanitaires européennes sans délai » sur l’acétamipride qui reste homologuée dans l’Union européenne jusqu’en 2033. Mais un ministre français seul ne peut pas formellement demander un avis scientifique de l’Efsa.

La demande ne peut qu’émaner « de la Commission européenne, du Parlement européen et des États membres de l’Union européenne [via le Conseil européen, NDLR] », précise l’agence sanitaire à La France Agricole. La Commission européenne a d’ailleurs demandé en mai des données complémentaires à l’Efsa sur les risques neurologiques et endocriniens de l’acétamipride. L’autorité sanitaire doit rendre son avis le 5 septembre.

Si interdire les produits européens avec de l’acétamipride semble matériellement très compliqué, le salut des producteurs français pourrait bien venir de l’agence européenne. Si l’Efsa fait état de risques établis sur la santé humaine, la pression politique et citoyenne sur la Commission européenne pour interdire l’acétamipride risque de s’accroître. Et les agriculteurs français pourraient, in fine, bénéficier de la mobilisation.