Mêmes constats, mêmes solutions ? Pas toujours. Au cœur de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, les députés se sont retrouvés ce mercredi 5 novembre 2025, pour débattre de la pétition contre la loi Duplomb. Cette dernière a recueilli plus de deux millions de signatures. Le débat n’est pas suivi d’un vote, et la conférence des présidents de groupe de l’assemblée devrait décider si un second débat (toujours sans vote) aura lieu dans l’Hémicycle.

Si la réautorisation de l’acétamipride a été censurée par le Conseil constitutionnel, et donc ne fait plus partie de la loi Duplomb aujourd’hui, elle a pourtant été au cœur des débats, parfois houleux, entre les groupes politiques. Ce débat, un « moment de démocratie inédit », s’est concentré autour de deux questions presque « philosophiques », comme l’observe la députée Aurélie Trouvé (La France insoumise, LFI), corapporteure de l’examen de la pétition.

Précaution sanitaire

La première : faut-il à tout prix suivre un principe de précaution et interdire un produit dès lors qu’il y a un doute sur sa dangerosité ? Et la subsidiaire : faut-il au contraire appliquer un calcul de bénéfices-risques, comme le propose plutôt Henri Alfandari (Horizon) pour accompagner les filières agricoles dans l’impasse ?

Hélène Laporte (Rassemblement national), également corapporteure, l’a martelé durant les deux heures de débat. Plusieurs cancérologues et médecins ont annoncé publiquement qu’ils « n’ont pas signé » la pétition contre la loi Duplomb. Signe, pour la députée, du manque de consensus scientifique sur la dangerosité potentielle de l’acétamipride sur l’humain.

Au contraire pour Aurélie Trouvé, « le principe de précaution, du fait au moins de cette controverse scientifique, doit être appliqué ». La députée s’inquiète d’une répétition du drame du chlordécone dans les Antilles, un produit qui a été évalué hautement cancérigène, après son utilisation massive dans les bananeraies.

Malgré le fait d’avoir mené ensemble une vingtaine d’auditions d’organismes (Inrae, CNRS, Ordre des médecins, filières agricoles…) et de rendre un rapport commun dans les prochains jours, les points de vue des deux rapporteurs restent opposés.

Révision de l’AMM en 2026 ?

Un exemple. Des représentants de l’Union européenne ont été auditionnés mais les deux rapporteurs en tirent chacune leur conclusion. Pour Aurélie Trouvé, l’Efsa (l’agence sanitaire européenne) indique qu’une « révision possible » de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) pourrait avoir lieu en 2026 sur la base de « données qu’ils attendent ». À l’inverse, les membres de la Commission européenne leur auraient indiqué qu’ils « ne veulent pas » revenir sur l’autorisation censée durer jusqu’en 2033, relate Hélène Laporte. Reste à savoir qui aura le dernier mot entre l’exécutif européen et l’agence sanitaire européenne.

Quand une partie de la droite voit dans la réautorisation de l’acétamipride le seul moyen efficace de répondre aux difficultés des filières face aux ravageurs, la gauche penche plutôt pour un accompagnement financier de l’État pour trouver des alternatives.

Le double constat est partagé sur tous les bancs. D’abord, il y a un risque probable — sans réel consensus scientifique — de l’acétamipride sur la santé humaine. Aurélie Trouvé a notamment appuyé sur « les risques de perturbations endocriniennes [en particulier] pour le développement des enfants ». Et sur les pollinisateurs, dont s’est fait l’écho François Piquemal (LFI) en brandissant un pot de miel devant ses collègues. Mais les alternatives assez développées et au même coût pour lutter contre les ravageurs des cultures manquent à l’appel, surtout pour la filière de la noisette.

Financer les alternatives

L’interdiction a un coût pour les agriculteurs : « L’installation de filets multiplie par dix » les coûts de production de la filière de la cerise, observe Jean-Luc Fugit (EPR, majorité présidentielle). Il rappelle : « Les experts soulignent dans le rapport de l’Inrae que les alternatives à l’acétamipride ne sont pas encore opérationnelles […] et que les substituts utilisés aujourd’hui comme les pyréthrinoïdes, sont plus nocifs pour la biodiversité et la faune auxiliaire » que l’acétamipride.

« Pourquoi l’État ne met pas à disposition des vrais moyens pour qu’ils puissent s’équiper ? », rétorque Aurélie Trouvé, qui déplore, comme d’autres collègues de gauche, « la baisse du budget » de 2025 pour le soutien aux productions biologiques et à la recherche d’alternatives menés par le programme Parsada et l’Anses.

Concurrence déloyale

Un autre constat dépasse les clivages partisans : l’interdiction française pose un problème de concurrence déloyale avec les États étrangers qui conservent ce produit. « Nous nous sommes liés les mains, pendant ce temps-là, on importera des noisettes de la Turquie, de l’Italie, des États-Unis, toutes qui contiendront des néonicotinoïdes », déplore Éric Martineau (Modem).

« Plutôt que de tout aligner sur ce qui se pratique à l’étranger, ne faudrait-il pas plutôt appliquer un protectionnisme intelligent ? » propose Marie Pochon (EELV). Dans cette veine, certains plaident, comme Aurélie Trouvé, pour l’interdiction sur le territoire français de produits traités à l’acétamipride. Mais « il faudrait énormément de preuves pour le faire », rapporte Hélène Laporte, qui témoigne de la complexité de la mise en œuvre de ces mesures.

Alors que fusent les attaques de part et d’autre, il est « important d’avoir des études d’impact » associées aux propositions de loi, demande Julien Dive (Les Républicains). De même, Dominique Potier (Parti socialiste) réclame « une saisine rapide de l’Anses afin qu’elle tranche le débat ».

Pour Éric Martineau (Modem), « cette pétition omet une phrase essentielle. “Je m’engage à acheter des produits français de qualité, de saison, en acceptant de rémunérer les agriculteurs à la hauteur de mes exigences sanitaires et environnementales” ». Une intervention aussitôt applaudie, vite rattrapée par le président de la commission, Stéphane Tarvert : « Les applaudissements ne sont pas nécessaires en commission. » Peut-être qu’ils trouveront leur place dans un débat à l’Hémicycle ? Les députés de la commission l’espèrent : le débat pourrait avoir lieu à la fin de novembre en fonction de la décision de la conférence des présidents.