Comment analysez-vous la censure partielle de votre loi par le Conseil constitutionnel ?

Il faut souligner que sur les six articles initiaux de la loi, le Conseil Constitutionnel en a validé cinq. L’article 2, lui, a été censuré sur une de ses trois thématiques : la réintroduction de l’acétamipride. Les deux autres thèmes de l’article 2, l’utilisation des drones et l’encadrement des priorités de l’Anses avaient déjà été traités, la première dans une autre proposition de loi, le deuxième par décret le 10 juillet de la ministre de l’Agriculture.

Cette censure ne signifie pas que l’acétamipride ne peut pas du tout être réintroduite en France. La décision du Conseil ne ferme pas la porte définitivement. Elle indique que la réintroduction, par dérogation et de manière très encadrée, n’est pas contraire à la Charte de l’environnement ni aux prescriptions de santé publique.

Ce n’est donc pas une censure sur le fond ?

Le Conseil Constitutionnel a censuré le texte sur la forme. S’il l’avait censuré sur le fond, cela aurait signifié que l’acétamipride était intrinsèquement incompatible avec le bloc de constitutionnalité et la Charte de l’environnement, interdisant toute réintroduction. Mais ce n’est pas ce qu’il a dit. Il a censuré sur la forme, jugeant que le processus de réintroduction proposé n’était « pas suffisamment encadré ».

Alors que le Conseil avait accepté en 2020 la réintroduction pendant trois ans de néonicotinoïdes sur les betteraves pourtant interdits en Europe (N.D.L.R, par dérogation, finalement jugée illégale par la Cour de justice de l'Union européenne en 2023). À l’époque, il avait validé l’encadrement proposé. Aujourd’hui, pour l’acétamipride, qui est une molécule autorisée partout en Europe, la proposition est jugée insuffisante.

Sur quels fondements le Conseil a jugé l’encadrement proposé comme insuffisant ?

Le Conseil constitutionnel s’est basé sur trois critères. Le délai d’autorisation d’abord. En 2020, l’autorisation durait trois ans même si une alternative était trouvée. Notre proposition en 2025 prévoyait une durée de trois ans renouvelable avec des filtres importants, mais surtout, l’autorisation devait tomber immédiatement si une méthode alternative se substituait à l’acétamipride. De plus, il fallait démontrer une « urgence économique et de viabilité de la filière » pour obtenir cette dérogation. Nous étions plus encadrés qu’en 2020.

Le Conseil demande également que les filières concernées par la dérogation soient citées. En 2020, seule la filière betterave l’était. En 2025, nous n’avons pas listé les 12 ou 13 filières végétales concernées (noisette, kiwi, pomme, poire, nectarine, endive, asperge, pommes de terre de semence…). Nous avons plutôt défini des critères clairs pour les identifier : l’urgence économique, la non-possibilité de méthodes alternatives, l’impasse technique avérée. Cela représentait une surface de moins de 500 000 hectares, moins de 100 000 si on enlève les betteraves.

Le troisième élément c’est la méthode d’utilisation. En 2020, la demande portait sur l’enrobage de la graine. Le Conseil mentionne dans sa dernière décision la « pulvérisation ». C’est un point sur lequel nous allons devoir travailler, en définissant des critères stricts pour éviter toute dérive.

Un travail qui pourrait aboutir sur une nouvelle loi ?

Nous sommes dans une phase d’étude de la décision du Conseil Constitutionnel. Il s’agit d’élaborer une réflexion autour des trois critères qu’ils ont mis en avant et de leurs préconisations. Peut-être que cela débouchera sur un nouveau texte. Je ne m’interdis absolument pas d’y réfléchir, ni de l’écrire, car je pense que c’est vital.

Ce nouveau texte pourrait être déposé rapidement ?

Je n’ai pas d’agenda à dévoiler, mais j’y ai réfléchi dès le premier jour. C’est un vrai sujet de société qui va bien au-delà de la seule acétamipride. C’est une question de ne pas tomber dans une « naïveté coupable ». Ce même raisonnement s’applique à d’autres problématiques, comme celle de l’eau, où l’on entend des discours diabolisant l’irrigation.

Ces discours vous pourriez les entendre lors du débat qui pourrait être organisé à l'Assemblée nationale à la suite de la pétition qui a recueilli plus de 2 millions de signatures contre votre loi.

Ce débat va déjà se dérouler naturellement dans les médias entre la pétition et le débat au Parlement (N.D.L.R. : aucune date de ce débat est fixée, mais la présidente de l’Assemblée nationale y est favorable). Il nous permettra de refaire de la pédagogie et de lever certaines ambiguïtés.

D’un côté, on accepte de désinsectiser une ville entière avec des insecticides (N.D.L.R. : Laurent Duplomb fait référence ici à un reportage de RMC sur une opération de démoustication réalisée en Alsace présenté le 8 août), et on retrouve l’acétamipride dans de nombreux produits domestiques : anti-mouches, anti-fourmis, shampoings anti-poux. De l’autre, on refuse l’utilisation de la même molécule aux agriculteurs des productions en impasse technique totale. C’est de l’hypocrisie.

Quelle est votre réponse à cela ?

Revenir à de l’objectivité en affirmant que la réalité de la toxicité d’un produit, qu’il soit chimique ou naturel, est toujours liée à la quantité utilisée. Prenez un médicament comme l’Efferalgan : à la bonne dose, il soulage, mais une dose excessive devient dangereuse. Malheureusement, il n’y a plus de débat, d’éducation ou d’enseignement sur cette problématique de la dose, ni de réflexion collective sur le principe essentiel du bénéfice-risque.

Quel est ce principe ?

Le bénéfice, c’est la souveraineté alimentaire, le fait de pouvoir continuer à produire en France. Le risque, c’est celui d’une utilisation encadrée de l’acétamipride. À l’inverse, si le bénéfice est de supprimer totalement l’acétamipride, le risque est de ne plus rien avoir à manger, ou du moins d’être contraint d’importer. La crise du Covid et l’inflation auraient dû ouvrir les yeux des Français sur ces enjeux de souveraineté alimentaire, notamment avec la pénurie de moutarde, dont les graines venaient d’Ukraine ou du Canada. On se rend compte que ce message a du mal à être entendu.

Nous sommes dans une situation où l’interdiction de certains produits en France met des filières agricoles dans une « impasse technique totale ». Aujourd’hui c’est la noisette, demain ce sera la pomme sans le spirotétramate. En France, il n’y aura plus de moyens pour lutter contre le puceron cendré et la punaise diabolique. Alors que notre premier concurrent, la Pologne, qui a déjà mangé la moitié de nos exportations de pommes continuera d’utiliser l’acétamipride [N.D.L.R. : autorisée par l’Efsa jusqu’en 2033 dans l’Union européenne, interdite depuis 2018 en France]. Cela conduira à une absence de produits français sur nos marchés, nous condamnant à n’acheter que des produits étrangers, comme on le voit déjà avec les cerises.