« À un bout de la chaîne, des producteurs précaires peinent à s’en sortir, et à l’autre bout, les consommateurs paient le prix fort, il faut que quelqu’un porte la responsabilité de ce déséquilibre », alerte Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch France. Pour l’association, les responsables sont tout trouvés : les industriels et la grande distribution profitent de l’inflation, de plus de 20 % en deux ans, pour grossir leurs marges sur les produits.

« La marge de l’industrie agroalimentaire a atteint un niveau historique de 48 % en 2023 », alertent Foodwatch, Familles rurales, UFC-Que Choisir et la CLCV (Consommation logement cadre de vie), dans une lettre ouverte au président de la République, le mercredi 29 novembre 2023, en se basant sur les chiffres de l’Insee de l’année.

Actuellement, plus de quatre Français sur dix (plus d’un sur deux en milieu rural) affirme avoir déjà renoncé a acheté des produits alimentaires faute de moyens, d’après une étude de Familles rurales en juin 2023.

Manque de transparence

Dans son rapport de 2023, l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM) estime que la marge brute industrielle baisse (26 à 25 %) comme celle de grande distribution (32 à 29 %) sur 21 produits de base.

Mais derrière ces chiffres, les quatre associations pointent le manque de transparence et l’absence de publication des marges nettes sur les aliments. « Comme les marges produit par produit ne sont pas précisées, cela permet aux industriels de noyer le poisson », conteste Karine Jacquemart.

De son côté, l’Ania (Association nationale des industries alimentaires) justifie l’augmentation des prix par une hausse de matières premières agricoles et des coûts de l’énergie. Un argumentaire insuffisant pour la directrice de Foodwatch. « S’ils prétendent qu’ils n'ont rien à cacher, qu’ils donnent les chiffres », balaie Karine Jacquemart.

Si la grande distribution se montre meilleure élève que les industriels, elle a tout de même augmenté largement ses marges en 2022 sur « des produits de première nécessité », tels que les produits laitiers, les pâtes, et les fruits et légumes, poursuit Foodwatch rapportant les chiffres du rapport de 2023 de l'OFPM.

Les produits sains plus chers

Dans son observatoire des prix des fruits et légumes 2023, Familles rurales remarque une augmentation du panier de fruits et légumes (+16 %) entre juin 2022 et juin 2023, « soit 3,5 fois de plus que l’inflation générale », relève les quatre associations. « L’inflation globale, est clairement au-dessus d’un rattrapage des coûts de production des matières premières », observe Karine Jacquemart.

Ces marges importantes compensent celles rétrécies dans d'autres rayons comme la boulangerie-pâtisserie, note Familles rurales. La hausse des prix ne permet pas non plus aux producteurs de sortir leur épingle du jeu. En 2020, « les fruits et légumes bruts, en valeur, représentaient 11,2 milliards d’euros à l’entrée du circuit de distribution, les consommateurs les ont payés deux fois plus cher à la sortie, soit 22 milliards d’euros », dénonce l'association.

Des « surmarges » sur le bio

« Pour les personnes les plus précaires, c’est la double peine : elles paient un prix encore plus fort, car plus les budgets sont serrés, plus la qualité nutritionnelle de l’alimentation est difficile et contrainte. Aujourd’hui, avec l’inflation, les produits les plus sains, dont les fruits et les légumes, deviennent de plus en plus inaccessibles pour des millions de personnes. C’est inadmissible », dénoncent les associations.

Alors que la filière biologique traverse une crise sans précédent, l’OFPM alertait dans son rapport remis au Parlement en juin 2022 « des “surmarges” réalisées par les grandes surfaces sur les produits sous signe d’identification de la qualité et de l’origine (Siqo), notamment ceux issus de l’agriculture biologique ».

Une transparence « totale et immédiate »

Face à ce constat, les quatre associations ont lancé une pétition pour interpeller le gouvernement. Elles demandent aux pouvoirs publics d’imposer une « transparence totale et immédiate » sur les marges nettes par produits réalisés par l’industrie agroalimentaire et de la grande distribution. Elles encouragent la mise en place de mesures concrètes pour rendre impossibles les marges « excessives sur les produits alimentaires essentiels, sains et durables » et la suppression de la marge minimale garantie de 10 % de la grande distribution prolongée par la loi Descrozaille promulguée en mars 2023.

Déjà en juin, l’Autorité de la concurrence dénonçait les « profits excessifs » et pointait les industriels et distributeurs : « Deux tiers de l’inflation dans la zone euro viennent des profits des entreprises. » La Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international avaient eux aussi, appelé à réduire les marges pour contenir l’inflation.

À la fin d'août 2023, le ministre de l’Économie, Bruno le Maire, avait demandé aux distributeurs et industriels à atténuer leurs marges pour contenir l’inflation galopante, tandis qu’Emmanuel Macron s’était engagé à un accord sur la modération des marges à la fin de septembre. Une volonté présidentielle toujours en attente à la fin de novembre. « Il faut vraiment que l’État agisse », enjoint Karine Jacquemart, alors que les négociations commerciales annuelles arrivent à grands pas.