L’observatoire de la formation des prix et des marges (OFPM) le confirme dans son dernier rapport, présenté le 9 juillet 2025. Si les maillons de la transformation et de la distribution ont d’abord amorti l’augmentation des prix des produits alimentaires en comprimant leurs marges au début de la période d’inflation, ils commencent à reconstituer leurs marges brutes selon les chiffres fournis pour 2023 et 2024.
« Ce qu’on voit sur la période très chahutée qu’on vient de traverser, c’est que pour comprendre ce qui se passe, il faut prendre l’ensemble de la période. […] Il y a vraiment un décalage temporel des évolutions. […] On observe un cycle avec un choc des prix agricoles, dont on sait qu’ils sont de plus en plus liés à l’énergie, et un amortissement par l’aval, et puis dans les années qui suivent une reconstitution progressive des marges de l'aval. Mais dont on a vu pour 2023 qu’elles ne permettaient pas pour la plupart des secteurs de retrouver leur niveau d’avant crise, voire pour certains secteurs la marge nette continue de diminuer » a résumé Sophie Devienne, présidente de l’OFPM.
Retour d’une inflation contenue
L’année 2024 est marquée par un retour à « une inflation générale contenue », pointe l’observatoire. Les prix alimentaires n’ont augmenté que de 1,3 % en moyenne en 2024, ce qui est inférieur à l’inflation générale qui est d’environ 2 %. Ils avaient bondi de 7 % en 2022 et 12 % en 2023, alors que l’inflation générale était d’environ 5 %. L’observatoire montre que pour ne pas pénaliser le consommateur, transformateurs et distributeurs ont contenu leurs marges brutes en début de période d’inflation. Ce qui a permis de restreindre l’augmentation des prix des produits alimentaires en dessous de l’inflation.
En effet, entre 2021 et 2022, les prix au détail des 30 produits suivis par l’observatoire ont augmenté de 7,9 % en moyenne, et l’augmentation des prix de la matière première agricole y contribue pour 5,5 points. L’évolution des marges aval (transformation et distribution) y contribue pour 2,3 points.

« Rattrapage » en 2023
Entre 2022 et 2023, l’observatoire souligne « un effet de rattrapage ». Les prix au détail des 30 produits ont augmenté de 10,9 %, dont 6 points liés à la progression des marges aval et 4,9 points liés à l’évolution du prix de la matière première agricole. Une exception cependant à ce phénomène, pour les pâtes ou la baguette, l’augmentation de la marge brute aval, entre 2022 et 2023, explique à elle seule l’inflation du prix, alors que les prix de la matière première agricole étaient en baisse.

Entre 2023 et 2024, l’inflation moyenne des prix des produits n’est que de 0,9 % pour 29 produits. 13 produits connaissent une baisse de prix pointe l’observatoire et pour 21 d’entre eux, la baisse du prix de la matière première agricole contribue largement à cette baisse. Mais pour 17 produits, la marge brute aval contribue à une augmentation du prix. Les transformateurs et la distribution continuent le « rattrapage » pour prendre en compte leurs augmentations de charges (énergie, charges salariales…).

« La contribution de la grande distribution est négative [sur la période 2021-2024]. Ça veut dire que sur l’ensemble de la période les marges brutes de la grande distribution ont plutôt eu tendance à être comprimées. Cette évolution a permis de limiter l’augmentation des prix aux consommateurs. Les distributeurs ont diminué leurs marges brutes dans un contexte de flambée de l’ensemble des charges. On observe des différences pour les industriels de la transformation. Il y a un certain nombre de secteurs pour lesquels la contribution de la marge brute est positive sur l’évolution des prix », souligne Sophie Devienne.

Les marges nettes en berne
Mais, ce « rattrapage » observé en 2023 et 2024 a-t-il permis aux industriels et la grande distribution de reconstituer leurs marges nettes, c’est-à-dire ce qui reste à l’entreprise après avoir payé toutes ses charges (1) ? La situation est très disparate selon les filières. Du côté des industriels de la transformation de viande (viande porcine, volaille, charcuterie), l’observatoire souligne que pour toutes les filières, sauf l’abattage découpe de poulet, les marges nettes de 2023 (chiffres les plus récents disponibles) sont en baisse par rapport à 2022 et 2021. « L’exception c’est l’abattage découpe de poulets, mais cela est lié à une situation très particulière de la filière avec la grippe aviaire qui a eu des conséquences sur les volumes d’offres, alors qu’on avait une demande qui était encore très soutenue », explique Sophie Devienne.
La marge nette des entreprises de transformations de céréales (pâtes, meunerie) est quant à elle en nette hausse par rapport à 2022, après une baisse très importante en 2021. Mais Sophie Devienne souligne une situation très préoccupante pour les industriels de la meunerie qui ont des marges quasiment négatives depuis plusieurs années. Pour les entreprises de transformation laitières, l’observatoire chiffre une hausse des marges nette en 2023, sauf pour la filière « lait ingrédient » en lien avec les cours du beurre vrac et de la poudre de lait.
Les distributeurs cherchent un nouvel équilibre
Du côté de la grande distribution, les marges nettes des rayons boucherie, marée et boulangerie-pâtisserie sont toujours déficitaires en 2022 et 2023. Celles des rayons boucherie et fruits et légumes se dégradent en 2023 alors que celles des rayons charcuterie, volaille et produits laitiers se redressent.
« C’est une phase ou les distributeurs essaient de retrouver des équilibres après une période très chahutée, commente Sophie Devienne. Les marges nettes ne sont pas revenues à leur niveau antérieur à la crise ». La présidente de l’observatoire souligne les « péréquations de marge » entre des produits qui sont plus stables dans la consommation, et d’autres qui sont plus sensibles à l’évolution des prix. « C’est-à-dire que pour essayer de réduire l’impact des hausses de prix sur la consommation, on va prendre un peu plus de marge sur les produits qui sont moins sensibles, par exemple des produits d’appel comme le jambon, en revanche sur les produits plus sensibles, les marges sont écrasées pour essayer de maintenir un niveau de consommation plus élevé », détaille-t-elle.

Du côté du maillon agricole, ce qui est sûr c’est qu’après une année 2022 qui a vu le résultat courant avant impôts des exploitations (RCAI) de presque toutes les filières augmenter, l’observatoire souligne qu’en 2023 le repli des prix agricoles notamment pour les céréales, et les hausses de charges toujours importantes ont largement pénalisé le niveau de résultat.
(1) L’observatoire de la formation des prix et des marges calcule la marge nette globale des transformateurs et des distributeurs à partir des comptes des entreprises.