Que se passerait-il en 2035 si les tendances actuelles se poursuivaient dans les trois principales filières d’élevage, bovins à viande, volailles et porc en France ? C’est l’exercice auquel s’est livré depuis trois ans le cabinet Iddri, proche de SciencesPo-Paris.Il a donné sa réponse le 9 juillet 2023 grâce à un colloque à Paris et à la publication de son étude sur son site.

« Ce n’est pas une prédiction mais un moyen de dégager les tendances », avertit Léa Spinazzé, directrice adjointe de l’Iddri qui s’est entourée des filières concernées, l’Anvol pour les volailles de chair, Inaporc et Interbev, et de quatre autres cabinets d’expertise en environnement (Asca, Basic, I4CE et Solagro). « Nous avons voulu lancer cette étude parce que l’élevage est au cœur des enjeux sociétaux mais on en débat assez mal », ajoute Pierre-Marie Aubert, directeur du programme sur les politiques agricoles à l’Iddri.

Tendances à dix ans

L’exercice consiste à identifier les facteurs d’évolution qui pèsent sur les filières, d’en évaluer la pertinence au regard de leur trajectoire depuis l’après-guerre et de s’en servir pour projeter une tendance d’ici à dix ans. « Cette méthode conduit à poser plus de questions que d’apporter des réponses », reconnaît Pierre-Marie Aubert. Mais il appelle les parties prenantes du secteur à « explorer d’autres futurs, au-delà de l’hypersimplification du débat sur le mode “pour ou contre la viande” » en élargissant le débat aux acteurs de la santé humaine, des territoires, de l’environnement, du bien-être animal et des politiques publiques.

Il apparaît que la demande des consommateurs joue le rôle principal dans ce modèle. Les autres tendances lourdes peuvent être synthétisées dans les notions de compétitivité internationale, de concurrence entre les secteurs d’élevage et d’impact des politiques publiques, comme, par exemple, les réglementations sur le bien-être animal.

Compétitivité

Les évolutions historiques depuis les années 1960 se sont traduites par une croissance de la production de viande, accompagnée d’une standardisation et d’une ouverture internationale des marchés, faisant de la compétitivité prix un enjeu vital. En 2024, cette évolution a été favorable à la production de volailles et à la concentration territoriale de la production.

Pourtant, depuis 2020 les opérateurs sont en difficulté sur les marchés d’exportation et désormais sur le marché intérieur. La France doit déjà importer plus de viande qu’elle n’en produit sur son sol. Sans rien faire, ce déséquilibre entre l’offre et la demande va s’accroître en dégradant le taux de couverture de l’ensemble des viandes (bovine, porcine et volailles) de 98 % en 2020 à 87 % en 2035. « C’est un scénario peu désirable à bien des égards », juge Pierre-Marie Aubert.

Paris, le 9 juillet 2024. Pierre-Marie Aubert, directeur du programme agricole de l'Iddri, présente son scénario tendanciel pour les filières d'élevage en France. (©  Eric Young/GFA)

Concentration

Il aurait des conséquences sur les exploitations et le tissu agro-industriel (abattoirs, découpe, nutrition animale…). Les structures de taille petite ou moyenne, que ce soient les exploitations ou les industries, verraient leur nombre diminuer au profit de grosses structures avec une meilleure compétitivité. L’emploi dans la filière suivrait cette tendance : 30 % de moins pour les fermes bovines, 14 % pour l’agro-industrie. La concurrence entre bassins de production profiterait au Grand Ouest qui a la concentration suffisante pour limiter les coûts de transport et éviter la sous-utilisation des outils industriels.

Prairies

Moins d’élevages, certains pourraient s’en réjouir finalement. Que non ! alerte l’Iddri. Le bilan global des émissions de gaz à effet de serre ne bougerait qu’à la marge, en tenant compte des émissions importées des pays chez lesquels la France devra s’approvisionner. De plus, le recul des prairies du fait de la diminution des ruminants se traduirait par un relargage de gaz carbonique, une perte de biodiversité et une perte de pouvoir épurateur.

Pac 2027

Bien qu’ils reconnaissent les limites de l’exercice, les auteurs de l’étude de l’Iddri appellent à s’en servir pour déjouer ce scénario, passant la balle aux filières et aux élus politiques. Invité à prendre connaissance de l’étude, Loïg Chesnais-Girard, président de la Région Bretagne et de la commission agricole des Régions de France, semble avoir bien entendu : « Après les élections européennes, les travaux pour élaborer la Pac 2027 commencent presque demain. Il faut avoir ces chiffres en tête », alerte-t-il.