La terre est une éternelle valeur refuge. Aujourd’hui, ce placement se démocratise. Alors que l’achat direct reste l’apanage des gros patrimoines, de nouvelles façons d’investir dans le foncier se développent. Elles simplifient l’accès à ces placements, proposés sous forme d’achats de parts de sociétés, et les mettent à portée de toutes les bourses. Ainsi, dans un groupement foncier agricole (GFA), l’investissement minimum se situe entre 2 000 et 5 000 €.

Le ticket d’entrée est encore plus modéré sur le créneau de l’économie sociale et solidaire. La foncière Terre de liens et la coopérative Terrafine ouvrent les souscriptions respectivement à partir de 100 € (une part sociale) ou 1 000 € (100 parts). Chez Terre de liens, le capital apporté par les actionnaires sert à acheter des terrains pour les louer à des paysans engagés dans une agriculture « conforme à leur charte », souvent bio. Avec Terrafine, il s’agit de porter le foncier de façon temporaire pour un agriculteur, afin qu’il dégage des ressources financières pour se développer ou se désendetter. L’exploitant cède des terres à Terrafine, les lui reloue dans le cadre d’un bail cessible et peut les racheter au prix initial dans un délai de cinq ans.

Placer dans une vache…

Placer son argent dans des vaches laitières est moins commun. La société Élevage et patrimoine le propose pourtant depuis 1972. « À ce jour, 900 investisseurs détiennent 30 000 animaux placés en location chez un millier d’éleveurs », énumère Victor Chabot, de la régie spécialisée Gestel, qui « fonctionne comme une régie immobilière, en s’assurant que le capital de l’investisseur – les vaches – est correctement élevé. » Les investisseurs achètent une vache 1 485 € ou plusieurs dizaines. Leur motivation ? « La recherche d’un placement concret qui a du sens, en plus de la rentabilité », analyse Victor Chabot. Sur les cinq dernières années, la société affiche une rentabilité moyenne de 3,8 % en tête de bétail. « Il n’y a pas de durée d’investissement minimum mais ce placement n’a d’intérêt qu’à partir de cinq à dix ans. La demande est forte côté investisseurs mais oblige à se développer autant du côté des éleveurs car on ne propose pas plus de bêtes qu’on n’en a sur le terrain. »

Le contrat avec les éleveurs est d’une durée initiale de dix ans. À partir de la troisième année, l’éleveur s’acquitte de son « loyer », correspondant à 10 % du cheptel placé. Soit une génisse pleine par an pour dix en contrat. S’il souhaite conserver son croît, il peut payer la génisse au prix du marché. Les frais de fonctionnement (couvrant notamment les visites du technicien) et l’assurance obligatoire reviennent à environ 55 € par animal par an.

« C’est assez coûteux, reconnaît un couple d’éleveurs, recontacté après un reportage de La France agricole en 2009. Mais nous en avons été satisfaits : cela nous a permis d’augmenter le troupeau sans nous endetter, alors que nous manquions de trésorerie. » Leur contrat a pris fin l’an dernier, pour cause de cessation laitière.

Des solutions de financement encore plus originales peuvent germer… Comme cet éleveur qui fait parrainer ses vaches par des particuliers, contre un bon d’achat annuel valable sur les produits de la ferme (6 % du prix d’achat de la vache). Victime de son succès, il fuit désormais toute forme de publicité : il a plus de parrains intéressés que de vaches disponibles !

… ou dans une ferme

Lever de l’argent auprès d’investisseurs privés et le placer dans des exploitations : voilà l’objet de Labeliance Invest. Après « un gros travail avec toute la technostructure agricole : syndicat majoritaire, Safer, coopération… » entamé dès les années 2000, Gérald Evin crée la société mi-2012. Un succès.

« Nous avons engagé plus de 20 M€ sur une vingtaine de dossiers et il y a dans les tuyaux plus de 30 M€ de demandes de financement », reprend le président fondateur. Labeliance apporte 20 à 30 % du financement. La viticulture représente la moitié de l’activité, suivie par l’arboriculture et le lait. Rien en porc malgré un partenariat signé avec la Cooperl. Ni en ovins où les montants sont trop faibles : Labeliance se fixe un seuil de 100 000 €. Les dossiers sont instruits par un Gufa (groupement d’utilisation de financements agricoles) réunissant des professionnels d’une filière ou d’un territoire. Labeliance lui confie le soin d’« identifier les modèles d’avenir ».

Une formule de financement proposée consiste à faire entrer l’investisseur au capital de l’exploitation. Directement ou par le biais d’un fonds. Il reste « généralement minoritaire ». Le Gufa prend une part symbolique de 1 %. « Cette solution implique un partage de gouvernance, admet Gérald Evin, même si on se contente de demander des retours d’information ». Le sujet est moins sensible si l’entrée au capital se fait via une filiale de l’exploitation.

Rémunérer l’actionnaire

Le retrait est prévu après six à huit ans. Labeliance n’a pas assez d’ancienneté pour l’avoir vécu. Mais « dans la plupart des dossiers, le rachat des parts ne devrait pas poser problème, assure Albéric de Benoist, animateur du réseau. En sept ans, l’agriculteur aura allégé sa dette bancaire et se sera constitué un historique. S’il doit refaire un emprunt pour racheter les parts de sa société, la banque prêtera plus facilement. » En attendant, il faut rémunérer l’actionnaire. Il demande généralement entre 4 et 6 % et bénéficie, en plus, d’avantages fiscaux.

Une alternative à l’entrée au capital est l’émission d’une obligation par l’exploitation (qui doit être sous statut SAS, pas toujours intéressant fiscalement). Celle-ci émet une dette, par exemple pour financer du foncier ou un rachat de parts de société. La dette est remboursable in fine. En attendant (six à huit ans en général), l’agriculteur ne paye que les intérêts. « Le taux dépend du niveau de risque : 4-5 % pour du foncier, plus pour du rachat de parts sociales, indique Gérald Evin. Par rapport à la banque, nous amenons la partie du capital la plus exposée au risque, donc la plus chère. »

Le coût ne décourage pas les candidats. L’afflux de demandes de financement impose même d’augmenter le flux de capitaux. Une nouvelle société est en cours de création, qui sollicitera un agrément de société de gestion de portefeuille. Cela permettra de lever des fonds auprès d’investisseurs institutionnels (caisses de retraite, assurances…). Objectif : « arriver vite à un rythme de 50 à 100 M€ par an. »

Prêts participatifs

Les sites de financement participatif Miimosa et Agrilend se positionnent sur des projets agricoles plus modestes : pour eux, 100 000 € ne représentent pas un seuil mais une moyenne. Ils ne proposent pas d’apport en capital mais des prêts émanant de particuliers (sans exiger de garantie comme une banque). Avec Agrilend, lancée fin 2016, chacun peut prêter entre 50 et 2 000 € par projet, sur un horizon de un à cinq ans, pour une rentabilité de 4 à 9 %. Miimosa existe depuis quatre ans mais ne proposait que du financement sous forme de dons avec contrepartie en nature. En novembre 2017, son fondateur annonçait le lancement d’une offre de prêts par des particuliers, à des taux de 3 à 4 %.

Pour aller encore plus loin ? Ne rien posséder de son outil de production : c’est le choix extrême assumé par cinq jeunes. Terres et bâtiments appartiennent à une SCI détenue par des particuliers. Pour les cinq agriculteurs, la ferme est « un support de travail, pas un capital. » Et pour les 300 actionnaires de la SCI, un placement presque comme un autre.