Les négociations commerciales sont très tendues. La situation s’est-elle améliorée depuis votre rappel à l’ordre il y a quinze jours ?
Les négociations sont tendues et mon message est clair : tout le monde doit respecter la loi et lorsque ce n’est pas le cas, des enquêtes doivent être menées. C’est pour cela que lors du dernier comité de suivi des négociations commerciales (1) et lors de mes échanges avec tous les responsables de la distribution et de la transformation, j’ai annoncé, avec ma collègue Agnès Pannier-Runacher, que l’on démultipliait les contrôles de la DGCCRF (2).
Tout cela est en cours. Les relations commerciales sont un rapport de force. L’État entre dans ce rapport de force, en s’assurant du respect de la loi et en mettant en place les sanctions nécessaires si les comportements ne sont pas en conformité.
Ce message a-t-il été entendu ?
Ce qui est certain, c’est que les contrôles sont démultipliés et qu’ils sont réels. Ma ligne de conduite est toujours la même : il faut une confiance dans les acteurs, ce qui est d’autant plus important que la période impose une solidarité entre eux. Mais plus ma confiance est altérée, plus les contrôles sont renforcés.
Plus globalement, il faut un sursaut collectif sur ce sujet des négociations commerciales et tous les acteurs doivent agir en responsabilité. Si on reste dans un fonctionnement qui détruit de la valeur par la guerre des prix, c’est l’ensemble de la chaîne qui sort perdante. Les capacités d’auto-investissement des distributeurs s’effondrent depuis des années.
J’en appelle donc à la responsabilité de tous les acteurs. J’ai confié une mission à Serge Papin (l’ancien patron de Système U, NDLR), qui rendra ses conclusions en avril. Celui-ci propose déjà des actions très concrètes pour les futures négociations commerciales, avec le mécanisme de tiers de confiance pour passer à la transparence des marges et un renforcement de la contractualisation, notamment pluriannuelle.
La seule façon de créer de la valeur est de passer de la guerre des prix à la transparence des marges.
Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation
Avec la contractualisation et la transparence, on arrive à prendre en compte les contraintes des uns et des autres, et surtout cela permet de sortir d’un jeu de dupes. Ce jeu de dupes, c’est quand la grande distribution dit au producteur « je suis prêt à augmenter le prix d’achat à l’industriel mais je veux qu’il vous le rétrocède », et quand l’industriel dit au producteur « j’ai demandé aux distributeurs mais ils n’ont pas voulu ».
Cette transparence ce n’est pas du voyeurisme, ce n’est pas mettre sur la place publique les marges des uns ou des autres. C’est passer par un tiers de confiance qui intègre les difficultés des parties prenantes et mesure la répartition de la valeur. Nous avons commencé ce travail sur le secteur laitier et avons confié cette mission de tiers de confiance à un cabinet spécialisé. L’objectif est de l’étendre à d’autres secteurs.
Ce qui forge ma conviction, c’est qu’il y a des cas où ça marche. Récemment, j’étais chez Lidl pour assister à la finalisation d’un accord tripartite entre le distributeur, une coopérative laitière et les producteurs, où chacun a mis en avant ses difficultés et ses marges pour voir comment avancer. Le changement tout au long de la chaîne est alors radical. Ce sont ces bonnes pratiques que je souhaite encourager et généraliser.
Si on n’a pas ce sursaut collectif, à terme la capacité d’investissement de nos grandes surfaces continuera à décroître, nos industriels auront un énorme problème d’approvisionnement et nos agriculteurs ne seront plus capables de produire. La conséquence sera alors que dans tous nos supermarchés nous aurons des produits importés. Est-ce cela que nous souhaitons ? Moi pas ! Je propose donc un chemin inverse.

Par ailleurs, si on veut avoir une filière agroalimentaire pérenne et compétitive, il faut concentrer notre énergie sur la qualité, c’est-à-dire la compétitivité hors coût. La guerre des prix empêche la montée en gamme, la création de valeur. Elle empêche donc la seule compétitivité que notre modèle agroalimentaire est capable de dégager. Sinon, la seule alternative qui puisse exister est l’économie d’échelle.
Or, il n’est pas acceptable de dire à nos éleveurs « vous allez faire des élevages de volaille de la taille de ceux de l‘Ukraine ou des élevages bovins comme ceux des États-Unis ». Est-ce que le consommateur veut cela ? Est-ce qu’il faut remettre en cause la spécificité de notre modèle agricole, la beauté de nos terroirs, le fer de lance de notre système agroalimentaire qui est réputé à l’international ? Je ne le crois pas.
Le combat que je mène est celui de la souveraineté alimentaire qui passe par cette qualité rémunérée à sa juste valeur.
Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation
Monter en qualité consiste souvent à promouvoir les produits frais et locaux, ce qui n’est pas antinomique avec la préservation de notre portefeuille. J’ai bien conscience des difficultés des familles en ce moment. Mais il faut dire que, dès lors qu’on a la possibilité de cuisiner, utiliser des produits frais et locaux au lieu de produits ultra-transformés et importés, c’est bénéfique pour le pouvoir d’achat dans beaucoup de cas. J’ajoute que parmi les consommateurs le facteur qualité du produit a fait un bond énorme dans la décision d’achat.
Comment allez vous convaincre de passer à la transparence et la création de valeur ?
Certains comprennent la nécessité d’un tel sursaut. Plusieurs distributeurs et plusieurs transformateurs sont d’accord avec cette vision car ils ont compris que sinon, on est en train de détruire notre modèle.
Lesquels ?
On va travailler avec méthode, d’abord discuter avec toutes les parties prenantes et attendre que Serge Papin ait remis son rapport. Mais à partir du moment où certains rentrent dans la dynamique, il faudra bien que ceux qui ne le font pas expliquent les yeux dans les yeux à tous les autres qu’ils sont dans les faits contre la transparence et contre la création de valeur. Cette dynamique ne peut être que collégiale. Si cette prise de conscience des personnes en responsabilité ne se fait pas, le Parlement pourrait le moment venu se ressaisir du sujet.
Cela n’empêchera pas certains distributeurs d’aller acheter des produits moins chers à l’étranger ?
Si on croit dans notre agriculture, qui est une agriculture de qualité, alors on assume avec courage qu’elle a un prix. Cela veut dire communiquer sur cette qualité et montrer ce qu’elle a de différenciant. Sur le marché commun aussi, il faut que la globalité des produits monte en qualité.
C’est un combat très important. C’est d’ailleurs l’un des enjeux de la nouvelle Pac. Avoir réussi à rendre l’ecoscheme obligatoire à tous les États membres est une énorme étape, car on a ainsi mis fin à la dynamique de distorsions de concurrence au sein du marché commun.
Il faut absolument qu’au niveau européen, les standards de qualité convergent.
Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation
Je suis convaincu qu’il nous faut aller plus loin en mettant cette question au centre de la présidence française de l’Union européenne au niveau agricole en abordant le sujet de la prise en compte des pratiques environnementales dans les échanges commerciaux venant de pays tiers.
Aujourd’hui, on ne peut se protéger d’un produit importé en Europe qu’au regard de son impact sur le territoire européen ou sur les consommateurs européens. C’est totalement hypocrite. L’environnement n’a pas de frontière. L’impact de l’importation de produits brésiliens faits avec de la déforestation et parfois avec des produits non autorisés en Europe et en France, ce n’est rien d’autre que de la biodiversité dégradée importée. Mais comme l’impact n’a pas lieu sur notre territoire, l’Europe n’a pas les moyens de se protéger du fait des règles de l’OMC. Il faut faire bouger ces lignes.

Les agriculteurs qui accueillent de la main-d’œuvre étrangère pourront-ils le faire au printemps ?
Les conditions dépendront bien évidemment de la situation sanitaire au printemps, que nous ne connaissons pas. Mais nous nous préparons et anticipons au maximum. Jusqu’à maintenant, on a géré les situations au cas par cas. Au moment [où le besoin de main-d’œuvre saisonnière sera le plus important sur les exploitations, NDLR], nous devrons avoir des règles transversales et tenant compte des réalités de terrain.
On a beaucoup parlé de ce sujet avec la ministre du Travail et les professionnels pour voir comment s’organiser au mieux, avec l’anticipation la plus forte possible. On travaille très activement pour voir quelles peuvent être les solutions, les accompagnements, les protocoles le cas échéant, comme cela a été le cas ces derniers mois. On réfléchit à toutes les initiatives possibles.
Quand on parle de saisonniers, on a aussi aujourd’hui des secteurs économiques sans aucune activité. Des personnes qui n’ont pas la possibilité de travailler à ce moment-là pourraient être intéressées par un emploi en agriculture.
Vous avez déclaré qu’il fallait faire des réserves d’eau. Comment lève-t-on ces conflits interminables pour passer à l’acte ?
C’est une question de courage politique et d’acceptation sociétale. Ce n’est en rien un problème administratif, ce n’est pas l’Administration qui bloque. Je le redis, l’eau, c’est la mère des batailles et on a trop souvent abandonné, y compris dans ce ministère, la question de l’eau. C’est un sujet que je ne compte surtout pas mettre sous le tapis.
Il est souvent attisé politiquement. Par exemple, quand Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchonvont tous les deux manifester leur opposition aux projets de bassines dans les Deux-Sèvres, c’est de la récupération et de la manipulation politique. Il nous faut avancer rapidement sur les sujets pour lesquels c’est possible.

Le plan de relance permet de financer de l’optimisation de matériel d’irrigation, des retenues individuelles. Il permet également d’octroyer des enveloppes de financement à des territoires pour finaliser un certain nombre de retenues collectives. Il faut avoir une gestion de projet de tous ces dossiers. Je constate qu’une fois que la retenue d’eau est faite, souvent, ça se passe très bien. Ce qui prouve qu’on sait la gérer collectivement à l’échelle des territoires.
Accoucher d’un projet prend du temps, les tensions sont souvent attisées. Il faut beaucoup de concertation, mais en même temps elle ne peut pas durer 10 ans. Dans les Deux-Sèvres, il faut avoir le courage politique de finaliser la chose. Parfois, il y avait des règles du jeu qui n’existaient pas. Le fameux décret sur les volumes prélevables, ça fait des années qu’on l’attendait. Il va enfin sortir.
Et la guérilla juridique des ONG ?
C’est notamment l’objet du décret que je viens de mentionner : avoir une base juridique plus solide pour sécuriser les décisions prises. Mais Il y a d’abord un positionnement politique à avoir.
Je soutiens les projets des bassines des Deux-Sèvres, qui sont bons.
Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation
Ça n’a aucun sens écologique de rejeter systématiquement les projets de retenues dès lors, par exemple, qu’on prélève l’eau quand les nappes phréatiques sont remplies, comme cela a été le cas dans certains territoires ces dernières semaines.
Cette posture sur l’eau est partagée par votre collègue de l’Écologie ?
Je ne vois pas qui aujourd’hui pourrait dire que la gestion de l’eau n’est pas un sujet important, et contester une méthode qui consiste à dire que, certes, il faut le faire en associant tous les acteurs et tous les usagers, comme nous le faisons avec les projets de territoire pour la gestion de l’eau dans la concertation, mais qu’il en va aussi de la souveraineté de notre pays.
Quelles solutions pouvez-vous apporter face aux impasses phytosanitaires et aux distorsions vis-à-vis de nos concurrents ?
Avec les néonicotinoïdes sur betterave, je pense avoir montré le courage qu’il était nécessaire d’apporter, et, in fine, ma position sur ce sujet. Je n’ai pas hésité parce que c’est une question de souveraineté.
Ma conviction, c’est que la transition agroécologique doit être créatrice de valeur, non seulement pour l’environnement mais aussi pour l’agriculteur. La vision finale, ce n’est pas la mesure agroécologique en soi, mais la souveraineté. L’agroécologie est un des éléments très important pour l’atteindre.
Si le sujet consiste à dire « j’arrête tout chez moi, mais j’importe d’autres pays », ce n’est pas créateur de valeur mais en plus, c’est destructeur de souveraineté. Typiquement, c’est ce qui allait se passer sur les betteraves.
En colza, c’est très différent, les échanges sur le non-renouvellement du phosmet se passent au niveau européen. On est en train de travailler avec la profession sur les solutions alternatives, en regardant notamment comment font d’autres pays.

Avec le retour des néonicotinoïdes, comment éviter que la sole française de colza baisse à son tour ?
Tout le monde savait depuis le début que les rotations étaient un sujet lié au retour des néonicotinoïdes. Au moment où je vous parle, plus de 70 % des assolements ne sont en rien impactés par l’arrêté pris.
Effectivement, il y a eu des signaux d’alerte notamment sur le maïs et le colza. On a dit à ces deux filières de présenter des mesures d’atténuation en se fondant sur l’avis de l’Anses. C’est ce qu’elles ont fait et l’arrêté les reprend strictement.
Ces mesures doivent maintenant être évaluées par l’Anses. C’est désormais un débat scientifique qui ne relève pas du ministre. La réalité, c’est qu’il y a 7 mois, on avait des prévisions d’emblavements de – 25 à – 30 % et une filière sucrière qui allait mourir. Là, les professionnels ont fait part d’une prévision de baisse de seulement 5 %. La filière est sauvée.
Avec le plan pollinisateurs, va-t-on vers des interdictions de traitement pendant la floraison comme initialement prévu ?
Je suis confiant sur ce sujet. La situation d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celle de décembre. La méthode n’était pas la bonne et des lignes rouges étaient franchies. Nous avons collégialement remis les choses dans le bon ordre.
Un très gros travail a été réalisé avec les collègues du gouvernement, puis avec la profession. On a d’abord détendu le calendrier pour se laisser le temps de la concertation. Les discussions sont encore en cours, mais elles avancent bien.
Parmi les points importants pour moi, il y avait la question de ne pas contraindre les agriculteurs, à travailler la nuit et de prendre en compte le fait que les champignons arrivent juste au moment de la floraison.
Il fallait aussi intégrer également la spécificité de certaines cultures, notamment des filières de petite taille. Nous travaillons en plus sur tout ce qui pourrait être fait de manière proactive, notamment sur le bol alimentaire pour lequel la profession agricole a énormément de propositions partout sur le territoire. N’oublions pas que le premier enjeu pour les abeilles, c’est d’abord un enjeu nourricier au printemps.
Êtes-vous d’accord avec les chiffres d’utilisation de phytos avancés par la Fondation Nicolas Hulot ?
Il faut arrêter d’opposer environnement et agriculture, cela ne fait aucun sens. D’abord parce que les agriculteurs vivent de l’environnement, chérissent le sol et prennent soin des écosystèmes. Je dis souvent que les agriculteurs étaient écologistes avant même que les écologistes ne deviennent écolos…
Ensuite parce que c’est dégradant et il est faux de faire croire que le monde agricole n’est pas engagé dans les transitions. Prenez les ventes des produits phytopharmaceutiques, elles sont en diminution. Prenez les ventes de produits de biocontrôle, elles ont été multipliées par deux. Prenez les substances identifiées comme prioritaires, dites CMR1 et CMR2, elles sont en réduction significative. C’est la réalité.
Il ne faut pas oublier que si l’on veut aller encore plus loin dans cette transition, et je le souhaite, il faut créer de la valeur. Créer de la valeur pour l’environnement mais aussi créer de la valeur individuelle pour l’agriculteur. Plus on se souciera du compte de résultat des agriculteurs, plus on accélérera les transitions, car toute transition à un coût.
Il faut par exemple avoir le courage de dire qu’un produit doit être payé à son juste prix. Sans cela, à terme, nous courons un risque qui est de se retrouver avec encore plus d’importations venues de pays avec des normes inférieures aux nôtres.
Par ailleurs, je trouverai intéressant qu’on parle aussi du rôle de l’agriculture pour capter du carbone dans le sol. Le débat public ne le dit jamais mais le premier endroit où on capte le carbone sur notre planète après la mer, c’est le sol, et donc grâce aux agriculteurs !

Comment évolue la situation de l’influenza aviaire ?
Grâce au travail réalisé, avec l’appui et le courage des professionnels, la situation est, au moment où je vous parle, sous contrôle. La première des priorités est d’éteindre définitivement l’incendie. Ce sont de véritables drames que vivent nos éleveurs. C’est plus de 3 millions de volailles, principalement des palmipèdes, qu’on a dû abattre. C’était le prix à payer pour maîtriser la propagation de l’épizootie d’influenza aviaire !
Aujourd’hui, le nombre de nouveaux cas et de suspicions est en décroissance drastique. C’est bon signe, Mais nous restons en vigilance totale. En décembre, et en janvier, nous avons reçu de nombreuses critiques. Ont-ils pris les bonnes décisions ? N’ont-ils pas été trop loin ? Ne s’y sont-ils pas pris trop tard ?
Aujourd’hui, les chiffres montrent qu’on a eu le courage de prendre les bonnes décisions, des décisions difficiles face à un virus plus pathogène que lors des épisodes précédents. Ce n’est jamais de gaîté de cœur, mais alors jamais, qu’on demande à nos équipes d’aller dans les élevages procéder au dépeuplement.
Et pour les indemnisations des éleveurs, où en êtes-vous ?
740
C’est le nombre d’élevages dépeuplés au 12 février 2021, représentant presque 2,5 millions de canards et 500 000 autres volailles.
Nous avons réuni toute la filière, les élus locaux, les responsables d’OPA pour se mettre d’accord sur un calendrier. La priorité des priorités, c’est l’accompagnement des éleveurs et que le versement des indemnisations au titre du dépeuplement intervienne le plus rapidement possible. C’est pour cela que nous passons par un système d’acompte. On avait la semaine dernière plus de 80 acomptes versés. Il en reste beaucoup à faire.
Pour indemniser vite, on a essayé de trouver les dispositifs les plus simple possible, mais il faut que tous les documents soient fournis. Quand un éleveur a dépeuplé, il ne doit pas seulement fournir le PV d’abattage, car ce dernier ne prend pas en compte le nombre d’animaux qui sont morts avant le dépeuplement.
Au-delà, nous travaillons à un autre dispositif venant en complètement afin d’indemniser les pertes d’exploitation. Il est en cours de mise en place et interviendra dans un second temps. On cherche là aussi à être le plus rapide possible, même si cela va prendre quelques mois, en s’appuyant au maximum sur des régimes d’aide déjà notifiés à Bruxelles.
Quels enseignements tirez-vous de ce nouvel épisode de grippe aviaire ?
C’est le troisième en six ans, et là encore, il va falloir faire preuve de courage. Je crois personnellement que ce n’est pas le mode de production qui est en question. Je crois profondément à l’élevage de plein air. D’ailleurs, cette épizootie n’est pas née dans les élevages. L’influenza aviaire est apportée par des oiseaux migrateurs.
La question est : une fois qu’il y a un risque de virus, comment réagit-on ? Lors des précédents épisodes, une feuille de route a été élaborée en commun avec l’interprofession. Les éleveurs, et je le salue, ont fait d’énormes d’investissements en termes de biosécurité. Mais force est aussi de constater qu’on a fait plein de dérogations.
Ces dérogations étaient sollicitées et on les a acceptées localement, comme celle sur le seuil de claustration à 3 200 canards. La semaine dernière, on a fait un point épidémiologique avec la profession. On s’est mis d’accord. Il faut un discours de franchise, de vérité pour prendre des décisions fortes, capables de mieux nous protéger à l’avenir.
Êtes-vous favorable à la vaccination contre l’influenza aviaire ?
Il n’y a pas de sujet tabou, mais le vaccin n’est pas une solution magique. D’abord parce qu’il n’y a pas de vaccin homologué aujourd’hui en Europe. Et beaucoup de vétérinaires ont des craintes vis-à-vis de ce vaccin parce qu’il peut faire que l’animal soit porteur sain du vaccin. C’est dangereux parce que l’animal, s’il est porteur sain, peut aller contaminer d’autres élevages.
Il y a aussi beaucoup de marchés à l’exportation qui refusent des animaux vaccinés. Tout ça pour dire qu’il est très important de travailler dessus, sans idéologie, avec pragmatisme et avec la volonté de trouver des solutions pour nos éleveurs. Le Cifog a d’ailleurs pris une position courageuse sur ce sujet. Je serai là pour accompagner tout le monde.

Pour les broutards et les jeunes bovins, vous proposez une diversification des débouchés. Qu’entendez-vous par là ?
Pour aider la filière, il nous faut recréer de la valeur et diversifier les débouchés. Je lance un appel aux élus locaux, notamment de département et de région pour que la viande de jeune bovin puisse être servie dans les cantines des collèges et lycées. Cette viande est particulièrement adaptée pour les plus jeunes. Or, elle n’est que très peu servie dans nos cantines !
Au-delà de la diversification des débouchés, je m’emploie à accompagner au maximum cette filière. Nous faisons face à des prix qui restent très bas, alors même que les revenus dans ce secteur sont parmi les plus faibles de l’agriculture française. Ce n’est pas acceptable et je me bats pour redonner de la valeur à ces produits. On a clairement un enjeu de filière et j’ai proposé à celle-ci de mobiliser les financements du plan de relance.
Sur le zonage de la peste porcine africaine a-t-on abouti à un accord avec la Chine ?
C’est en très bonne voie. Je me suis entretenu il y a quelques jours avec le ministre chinois en charge des Douanes, Yuheng Ni, et le ministre chinois en charge de l’Agriculture, Reijian Tang, sur ce sujet.
Ces échanges montrent une volonté partagée d’aboutir rapidement sur ce dossier. Les efforts collectifs portés notamment par la filière porcine, sous l’égide d’Inaporc, l’implication du président de la République et du gouvernement pourraient trouver bientôt une issue favorable.

Pour la revalorisation des retraites agricoles, vous avez déclaré vouloir « avancer le calendrier ». Pouvez-vous nous préciser à quelle date ?
Notre volonté est, depuis le début et comme cela avait été dit lors des débats parlementaires, d’avancer le calendrier si cela est possible. La loi du 3 juillet 2020 visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles, issue de la proposition de loi « Chassaigne-Bello », fixe une date d’application « au plus tard » en janvier 2022.
Nous souhaitons aller encore plus vite que cette date. Cela dépend en grande partie des développements informatiques nécessaires pour que la réforme soit menée dans de bonnes conditions. Nous y travaillons.
Pour les conjointes, qui sont exclues de la loi, une mission parlementaire et un rapport gouvernemental sont attendus. Sous quel délai seront débattues ses propositions ?
Une mission a effectivement été confiée aux députés Nicolas Turquois et Lionel Causse. Ils vont bientôt remettre leurs conclusions. Je travaillerai avec grand intérêt sur leurs propositions.
Cet automne, le gouvernement a relancé les travaux du comité de lutte contre les dégâts de grand gibier. L’État va-t-il renforcer son rôle pour faire baisser les dommages causés par les sangliers ?
Les échanges sont encore en cours. J’y suis attentif, en lien avec Bérengère Abba. L’objectif prioritaire est de réguler les populations de sangliers afin de faire baisser les dégâts observés. Ces mesures doivent être fortes et efficaces afin d’obtenir des résultats rapidement. Dans ce cadre, je tiens à saluer la qualité des échanges qui ont permis aux chasseurs et agriculteurs de partager les constats et d’identifier des mesures et de formuler des propositions.
En matière de foncier, comment accueillez-vous la proposition de loi de Jean-Bernard Sempastous et celle de Dominique Potier ?
Nous allons avoir très prochainement le débat au Parlement pour trouver le meilleur schéma. Je salue le travail réalisé par les parlementaires. Le dialogue, et donc le schéma in fine, doit être partagé avec la profession.
Politiquement, l’objectif est clair : améliorer le contrôle du foncier pour permettre aux jeunes agriculteurs de plus facilement s’installer. C’est au final une première pierre à l’édifice de la réforme du foncier qu’il nous faut entamer.
Concernant la transition agroécologique, comment atteindre les objectifs de 15 % de la SAU en bio et de 15 000 exploitations HVE en 2022 ?
Nous soutenons très fortement à la fois l’agriculture biologique et la HVE (certification « haute valeur environnementale »). Rien qu’au niveau européen, la Pac prévoit plus de 240 millions d’euros par an de soutien à la conversion à l’agriculture biologique.
L’accord obtenu par le président de la République sur le budget de la Pac en octobre dernier a permis de renforcer les maquettes Feader pour les deux années de transition et est de nature à garantir ce très haut niveau d’intervention. En complément, dans le cadre du plan France relance, j’ai obtenu la prolongation du crédit d’impôt bio et un renforcement significativement du Fonds avenir bio.
Concernant le nombre d’exploitations certifiées en HVE, le rythme de nouvelles certifications s’accélère très fortement ces derniers mois. Il faut que tout le monde ait en tête que nous avons créé depuis le 1er janvier 2021 un crédit d’impôt HVE, valable pour les années 2021 et 2022, pour soutenir les exploitations qui s’engagent dans cette démarche de certification et, ainsi, soutenir cette dynamique.
En complément, je suis convaincu de l’utilité de renforcer le développement des filières ou des circuits courts. 80 millions d’euros sont consacrés au développement des PAT. Tout cela est source de création de valeur. Nous avons également lancé une plateforme Fraisetlocal.fr. Je suis convaincu que ces relations de proximité et ces circuits courts sont très importants. Cela ne s’oppose en rien à l’impérieuse nécessité d’avoir une agriculture qui exporte également.
S’agissant de votre question sur la Pac, la définition des écorégimes est en cours de discussion. L’agriculture HVE et bio, au même titre que d’autres pratiques, seront bien évidemment prises en compte dans le cadre du dispositif.
Au sujet du plan stratégique national, le calendrier de juin sera-t-il tenu pour finaliser la déclinaison française de la Pac ?
Nous visons une finalisation avant l’été.
(1) Celui du 30 janvier 2021, l’interview ayant été réalisée le 12 février 2021.
(2) Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.