Malgré tous les intérêts que l’on prête au sorgho, les surfaces françaises peinent à maintenir une dynamique de développement : de 47 000 ha en 2017, elles avaient atteint 94 000 ha en 2020 avant de redescendre à 53 000 en 2023, selon le ministère de l’Agriculture. Étant semée en dernier, la culture fait certaines années office de variable d’ajustement, ce qui explique en partie la fluctuation importante de la sole. Les semis d’hiver de 2019 avaient par exemple été largement pénalisés par les pluies. « Certaines cultures d’hiver qui n’avaient pas pu être semées avaient été remplacées par du sorgho », rappelle Aude Carrera, responsable des activités relatives au sorgho chez Arvalis.

Il faut dire aussi que l’on compare souvent ses marges à celles du maïs et du tournesol qui entrent en concurrence avec lui sur les assolements de printemps. Ainsi, avec l’explosion des prix en 2022, on lui a souvent préféré le tournesol.

Marges pluriannuelles

En France, le prix du sorgho est indexé sur celui du maïs, auquel on retire environ 10 €/t (lire l'encadré). « Une différence que les opérateurs justifient par un coût logistique supérieur », explique l’experte.

Contrairement au maïs, « les travaux sur l’hybridation n’ont pas abouti à des hausses spectaculaires de rendement » pour le sorgho, indique Semae, l’interprofession des semences et des plants. Les charges généralement moins élevées du sorgho ne compensent pas cette différence de rendement en situation non limitante, où le maïs offrira une meilleure rentabilité.

C’est, à l’inverse, en conditions limitantes que le sorgho tire son épingle du jeu. Arvalis a comparé les marges du maïs, du tournesol et du sorgho conduits en sec. À la station du Magneraud en Charente-Maritime (voir l'infographique), les marges nettes du sorgho et du tournesol, lui aussi réputé pour sa relative résilience à la sécheresse, n’étaient que légèrement positives mais supérieures à celle du maïs en 2022, où le déficit hydrique était fort.

Restrictions d’irrigation

« Il faut donc plutôt voir ces cultures comme une manière de diversifier son risque climatique. Le sorgho ne remplace pas le tournesol ou le maïs, mais peut compléter une rotation que l’on cherche à allonger avec des cultures de printemps », estime Aude Carrera.

« Le maïs est capable de valoriser des volumes d’eau importants, poursuit-elle. Ce n’est pas le cas du sorgho, dont les rendements plafonnent relativement rapidement, même avec irrigation ». C’est pourquoi on réserve souvent les terres irriguées et/ou à meilleurs potentiels au maïs. Le sorgho valorise toutefois bien les apports en conditions séchantes. Il est surtout sensible à la sécheresse entre le gonflement et la floraison, c’est-à-dire généralement entre la fin de juin et la fin de juillet. « La culture peut donc trouver sa place dans les secteurs où il y a peu de volumes disponibles et/ou des arrêts d’irrigation au début d'août. Il est intéressant d’avoir une culture qui valorise l’eau à une période où elle est encore disponible », ajoute l’experte.

Assurer les volumes

Au-delà de la rentabilité de la culture, la structuration de ses débouchés est elle aussi questionnée. « L’amont attend l’aval et l’aval attend l’amont », résume le CGAAER, organe de conseil du ministère de l’Agriculture, dans un rapport publié en octobre. Le principal débouché reste l’alimentation des monogastriques mais en France, les fabricants d’aliments pour le bétail (Fab) boudent parfois le sorgho. Pas pour d’éventuelles lacunes nutritionnelles, mais plutôt par manque de volumes, s’accorde à dire la profession.

« Les Fab savent utiliser cette matière première qui s’écoule très bien lors des années à forte production. Mais ils demandent des volumes fiables sur toute la campagne pour ne pas avoir à modifier leurs formulations », explique Aude Carrera. « On n’a jamais eu autant de facilités à le vendre que lorsque l’on a collecté une année quelque 60 000 t contre une moyenne entre 30 000 et 35 000 t », confirme Clément Roux, responsable de la commercialisation à Arterris. Ainsi, une large part de la production se destine-t-elle aujourd’hui à l’exportation, principalement vers l’Espagne qui en est très friande. Certains organismes stockeurs (OS) soulèvent aussi des contraintes logistiques avec la mobilisation de cellules pour de faibles volumes.

Aussi, « contrairement au maïs qui profite d’un marché “très liquide” avec toujours de la demande et de l’offre, le sorgho fonctionne plutôt par courtage, avec quelques OS qui se sont lancés. Ce sont des freins logistiques et économiques normaux pour des cultures qui se développent », analyse Martin Gomez, chargée de développement pour Sorghum ID, organisation européenne pour la promotion du sorgho.

« La présence de tanins a autrefois pu être bloquante pour les Fab mais depuis de nombreuses années, leur absence est un critère obligatoire pour l’inscription de nouvelles variétés au catalogue français, assure Julie Toussaint, directrice opérationnelle de Semences de Provence et Eurosorgho. Ce n’est pas le cas dans tous les pays. Il a pu arriver que des semences importées comportent des tanins mais c’est anecdotique. Ces incidents sont plus susceptibles de survenir lorsque les surfaces, et par ricochet les importations de semences, explosent », précise-t-elle. La fluctuation de la sole pose effectivement problème pour anticiper les besoins en production de semences.