Deux propositions de loi ont été déposées par les députés Jean-Bernard Sempastous et Dominique Potier pour contrôler les transactions de parts sociales afin de mieux réguler le partage des terres. Qu’en pensez-vous ?
Emmanuel Hyest : On réclame depuis plusieurs années, avec les organisations agricoles au sens large, une transparence pour les transactions en sociétés comme il y en a aujourd’hui sur les transferts fonciers. Les deux propositions vont dans ce sens. On est nombreux à penser qu’il y aura besoin, dans la prochaine législature, d’une loi plus large qui embrasse des thèmes comme les statuts de l’agriculteur par exemple. Mais c’est quand même quelque chose d’important d’avoir une loi d’urgence sur les transferts de parts de sociétés.
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Avez-vous une préférence entre les deux textes ?
Ce n’est pas une préférence en tant que telle. Mais nous avons travaillé avec Jean-Bernard Sempastous sur sa proposition de loi et elle nous paraît équilibrée et a le pouvoir de répondre à la problématique actuelle.
Laquelle ?
Un agriculteur, personne physique qui doit reprendre 5 hectares, est contrôlé et régulé. Aujourd’hui, il n’y a aucun contrôle pour quelqu’un qui veut reprendre une exploitation complète sous forme de parts de sociétés. Il n’y a aucun moyen d’intervention. Nous recevons simplement des notifications. C’est ce qui nous a permis de mettre en avant l’ampleur du phénomène auprès de tous les élus.
« Soit on reste avec un modèle agricole familial, soit le choix est fait, en l’absence de cette loi, de passer dans un régime de sociétés financières »
Emmanuel Hyest, président de la FNSafer
Pour moi de façon très clair, soit on reste tel quel, c’est-à-dire avec un modèle agricole familial où les agriculteurs détiennent les capitaux et prennent les décisions sur leurs exploitations, soit le choix est fait, en l’absence de cette loi, de passer dans un régime de sociétés financières où les agriculteurs ne seront plus que des intervenants sans réelle prise, ni sur les capitaux, ni sur les décisions.
Il est prévu dans la proposition de Jean-Benard Sempastous que la Safer soit en charge de l’instruction des demandes de cession de parts. Confier cette mission aux Safer plutôt qu’à l’Administration n’est-il pas synonyme d’un recul du rôle de l’État ?
Je ne porte pas de jugement là-dessus. L’État a fait le choix de réduire ses capacités d’intervention. Et on sait tous qu’il y a 3 ans, il y avait même eu une proposition de supprimer les moyens pour le contrôle des structures. La Safer a proposé de mettre à disposition son expertise et ses capacités d’analyse mais c’est bien l’État qui prendra les décisions. C’est le préfet qui donnera ou non l’agrément au transfert.
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Mais si le préfet n’a pas les moyens techniques nécessaires, ne va-t-il pas se reposer systématiquement sur l’avis du comité technique de la Safer ?
Aujourd’hui, en CDOA [NDLR : commission départementale d’orientation de l’agriculture qui a notamment pour rôle de donner un avis sur les demandes d’autorisation d’exploiter], le préfet peut être amené à prendre des positions différentes et il n’a pas plus de moyens. Quand je siégeais en CDOA, j’aurais bien aimé que le préfet nous donne un avis toujours conforme à ce que proposait la commission. Moi je trouve que c’est bien. Ça sécurise par rapport aux positions de certains qui disent que vu que c’est la Safer, le dispositif ne sera pas équilibré.
Justement, plusieurs voix, dont celle de l’Anavor, une association d’avocats en droit rural, se sont pourtant élevées pour dénoncer un risque de « conflit d’intérêts » de la part des Safer…
Ces gens qui interviennent aujourd’hui n’ont-ils pas, eux aussi, de conflits d’intérêts ? Quand vous avez 20 avocats qui travaillent essentiellement sur des montages, je comprends effectivement que l’on voit d’un mauvais œil la transparence et l’équité revenir dans les affaires.
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On l’a vu avec le Covid, beaucoup redécouvrent l’intérêt d’avoir un monde rural vivant. Bien installer des gens, donner la possibilité à ceux qui ne sont pas issus du monde agricole d’accéder au métier d’agriculteur, ça me paraît important.
Je ne vois pas quel est le conflit d’intérêts puisque la Safer est une structure à but non lucratif sous contrôle de l’État. On dit toujours « la Safer » mais la Safer c’est quoi et c’est qui ? La Safer, c’est plus de 30 à 40 structures agricoles, non agricoles, collectivités territoriales, associations de l’environnement qui siègent. Ce n’est pas quelque chose d’impersonnel.
C’est quelque chose de tout à fait identifié avec effectivement l’intérêt général qui prime.
Mais comme dans une collectivité, cela peut nous arriver de préempter au nom de l’intérêt général.
Il est aussi reproché aux Safer de « monnayer » la renonciation à leur droit de préemption à la condition que la transaction foncière passe par elle. De telles pratiques ont-elles déjà été remontées au sein de votre réseau ?
J’ai déjà entendu cette critique. S’il y a des excès, que les gens nous les signale et on y remédiera. Je les accompagnerai parce que ce n’est pas normal. On n’est pas là pour faire de l’abus par rapport aux règles. Mais je peux vous dire que depuis que je suis président de la FNSafer, je vois de moins en moins de contestations. Nos procédures ont été améliorées. Les choses sont de plus en plus transparentes. Les critiques que les gens nous font sont encore basées sur des choses qui se passaient il y a vingt ou trente ans.
Les excès ne sont néanmoins pas impossibles aujourd’hui…
Dans toute activité humaine, il peut y avoir par définition des excès. S’il y en a, que les gens nous les signalent et on y remédiera. Je rappelle aussi que ces gens l’oublient parce qu’ils le savent, aucune opération Safer, vous m’entendez bien, aucune ne peut se faire sans que les commissaires du gouvernement en charge de l’agriculture et des finances nous donnent l’autorisation de le faire.
Cela veut dire que toutes les critiques faites à la Safer, sont faites à l’État. Je pense qu’il faut que les gens balaient devant leurs portes. On a un double contrôle et c’est légitime. Ce qui est fait est transparent contrairement à ce que les gens peuvent bien dire.
Est-ce que vous nous avez déjà entendus nous plaindre d’un manque d’argent ?
Emmanuel Hyest, président de la FNSafer
Parmi les critiques, revient le fait que les Safer n’ont pas été bâties sur un modèle disposant des ressources propres. L’Anavor explique que c’est le manque d’argent des Safer qui motive leur lobbying. Que répondez-vous à cela ?
Est-ce que vous nous avez déjà entendus nous plaindre d’un manque d’argent ou qu’on court après quoi que ce soit ? Rien du tout. Ce sont vraiment des mauvais procès de la part de gens qui, aujourd’hui, voient la non-transparence leur échapper.