La magistrature a-t-elle été consultée sur le projet de loi de la justice qui instaure les tribunaux des activités économiques, notamment pour juger les agriculteurs en difficulté ?

Comme toutes les réformes récentes, rien ne vient d’une quelconque consultation de la base. On est sur de la verticalité descendante, on empile les lois sans études d’impact et sans réflexion. On s’attendait à des réformes d’ampleur et on se retrouve avec des mesures qui n’ont pas été pensées dans l’intérêt général ou des justiciables. Les tribunaux des activités économiques (TAE) font partie du lot.

L’élargissement des compétences des tribunaux de commerce à l’ensemble des procédures collectives n’est pas accompagné d’une ouverture du corps électoral des juges consulaires aux agriculteurs lors de la phase expérimentale. Pensez-vous, comme le Conseil d’État, que cette décision ne représente « pas un obstacle au déroulement de l’expérimentation » ?

Contrairement aux tribunaux judiciaires, les tribunaux de commerce ne relèvent pas des magistrats de carrière, mais de personnes qui tirent leur légitimité du fait électif et du fait que les marchands jugent les marchands. Or, durant l’expérimentation de quatre ans, le corps électoral n’est en effet pas élargi. Nous allons ainsi avoir des marchands qui vont juger des gens qui ne le sont pas. Cela pose un vrai problème. Et si jamais le corps électoral s’élargit après l’expérimentation, on se demande alors à quoi sert l’expérimentation. Le gouvernement a par ailleurs la volonté dans son projet de loi d’associer un magistrat professionnel à des juges consulaires. Au sein des TAE, il prévoit ainsi de faire participer un magistrat de carrière. Seulement, celui-ci n’interviendrait que comme assesseur, il ne présiderait pas, et serait donc placé sous l’autorité d’un juge consulaire. Je ne vois pas comment cela est possible. Le gouvernement veut apporter un vernis de professionnalisation aux TAE pour mieux les faire passer.

À terme, être jugé par des pairs, notamment des agriculteurs, n’est-il pas une façon d’amener davantage d’expertise agricole dans les tribunaux ?

Sur l’expérience du tribunal judiciaire de La Roche-sur-Yon, tous les acteurs des procédures collectives partagent le constat que les agriculteurs et agricultrices ont l’appréhension d’être reconnus en difficulté chez eux, sur leur territoire. La procédure collective n’est pas vue comme la boîte à outils pour aider, mais comme une sorte de mise à mort de l’exploitation. Ils viennent en reculant à l’ouverture de la procédure collective… Mais ils viennent quand même ! parce que ce ne sont pas des pairs, l’information reste dans l’enceinte du tribunal. Si jamais ils en viennent à être jugés par leurs pairs, en cas d’une ouverture de procédure collective, ce sera terminé. Comme il existe déjà une forte appréhension de la procédure collective, ils ne viendront que quand il n’y aura plus rien à sauver.

Comment améliorer l’accompagnement des agriculteurs en difficulté ?

La clé de la réussite d’une procédure collective, c’est d’être le plus en amont possible de la cessation des paiements. Cela signifie que les agriculteurs et les agricultrices doivent n’avoir aucune appréhension de quelque type de jugement moral, sur leur modèle agricole notamment. Or, l’on sait qu’un collège électoral de juges consulaires, constitués donc de pairs, serait porté par le syndicat majoritaire et les chambres d’agriculture. La personne jugée peut se dire : « Je ne suis pas dans le bon modèle prôné par la chambre ou le syndicat majoritaire. » Nous partageons en cela l’avis de l’association de Solidarité Paysans. Dans les tribunaux judiciaires, la question ne se pose pas. Est-il bien malin d’aller condamner des exploitations agricoles alors que l’enjeu de sécurité alimentaire est colossal ?