Des manifestations violentes à Sainte-Soline, des serres de maraîchers nantais lacérées, des agriculteurs qui menacent de s’en prendre à des militants écologistes, des syndicats agricoles qui critiquent les méthodes utilisées par d’autres… Ces derniers mois ont été particulièrement tendus sur le front des revendications. Nous avons interrogé chacun des syndicats agricoles sur ce virage radical. Pierrick Horel, secrétaire national chez Jeunes Agriculteurs, nous livre son opinion.
Le grand public s’intéresse de plus en plus à l’alimentation et l’agriculture, pensez-vous que ce soit aux syndicats de communiquer sur ces sujets ? Si oui, comment Jeunes Agriculteurs s’adresse au grand public ?
Je pense que ce n’est pas la chasse gardée des syndicats de communiquer sur l’agriculture. En revanche, on doit le faire car on promeut l’installation et plus généralement l’agriculture. Il est aussi important d’expliquer au public ce que l’on fait, de communiquer sur les enjeux actuels et majeurs pour notre agriculture, tels que l’adaptation au changement climatique.
Les Terres de Jim qui est notre évènement phare, nous permet de communiquer auprès du grand public sur un format familial. Grâce à notre fonds de dotation Terres innovantes, nous avons notamment réalisé l’évènement des Toqués de l’Agriculture sur le parvis de l’Hôtel de ville de Paris, un évènement complètement ouvert au grand public.
Comment vous différenciez-vous des autres syndicats dans votre façon de communiquer ?
En tant que syndicat, nous sommes complètement apartisans. Nous défendons toutes les agricultures si elles sont économiquement viables et vivables. Notre limite d’âge apporte parfois une certaine impertinence à notre communication. C’est un superavantage, car cela nous permet de faire passer certains messages plus durs, de manière parfois humoristique. Le dernier exemple, c’est notre cahier de vacances lancé cet été. (1)
En 2021, vous avez décidé de reculer l’âge limite d’éligibilité des élus JA à 38 ans. Comment réussissez-vous à attirer des jeunes et mobiliser vos adhérents ?
L’an dernier, nous avons gagné 1 000 nouveaux adhérents. En revanche, nous avons du mal à transformer l’adhérent en responsable syndical. Et c’est de plus en plus compliqué car le syndicalisme change et se durcit, comme nous avons pu le voir à Sainte-Soline.
On ne sait pas encore répondre à ce durcissement. Je redoute le jour où des jeunes de nos rangs vont vouloir se faire justice eux-mêmes. On explique que cela ne fonctionne pas comme ça. C’est difficile de ne pas réagir à chaud, alors on fait beaucoup de pédagogie auprès de nos adhérents. Pour l’instant, cela fonctionne. Mais cela peut avoir tendance à éroder les jeunes qui veulent s’engager et qui pensent que cela n’avance pas assez vite. Mais globalement, nous arrivons encore à prendre de la hauteur.
Enfin, il y a aussi un effet de la société qui est assez binaire et individualiste. On le subit aussi dans notre corporation, où un adhérent peut se demander quel est son intérêt personnel avant de défendre l’intérêt collectif.
Comment évolue l’engagement syndical dans ce contexte ?
À l’époque, il y avait plus de manifestations historiques, où l’on réussissait à galvaniser et impliquer les adhérents. Aujourd’hui, l’engagement a changé. Le travail de représentation est plus présent maintenant chez JA car les sujets qui touchent à l’agriculture sont plus vastes. On a toute une frange de jeunes agriculteurs qui s’engagent et qui veulent avancer par le dialogue et l’ouverture.
Notre ligne de conduite est de rester dans le dialogue et l’échange d’idées, même lorsqu’on est farouchement opposé.
Quand Arnaud Gaillot qualifie les manifestants de Sainte-Soline de « terroristes » lors du congrès des JA, comment peut-il ensuite faire avancer les sujets, tels que le pacte et la loi d’orientation et d’avenir agricoles, avec vos collègues de la Confédération paysanne ?
Parfois, les mots sont un peu forts. Il y a ce qu’il se dit médiatiquement et ce qu’on essaye de faire derrière. Les responsables portent parfois des lignes un peu dures médiatiquement, c’est aussi le jeu. Mais ce ne sont pas toujours les responsables qui se croisent, ce sont souvent des responsables de dossier. Ils apportent parfois plus de recul et de hauteur. La posture qui fonctionne le mieux c’est d’être à l’écoute, y compris avec les parlementaires, même si c’est difficile.
Il ne faut pas tomber dans le clivage contre tel syndicat. Je trouve aberrant que la Coordination rurale soit intervenue en marge du congrès de la Confédération paysanne. Je ne le cautionne pas car on ne fera pas avancer les choses en s’attaquant les uns aux autres. On va donner quelque chose d’illisible aux citoyens qui vont devoir choisir entre une bonne agriculture et une mauvaise agriculture. Il faut essayer d’apporter plus de nuance dans tout ça.
Toutefois, nous avons nos lignes rouges et nous n’en sortirons pas.
(1) Jeunes Agriculteurs a lancé en juillet un cahier de vacances à destination des élus et parlementaires. « Rien de mieux que des devoirs d’été pour ne pas oublier ses responsabilités », ironise le syndicat.