Si les divergences de vues ont toujours été présentes dans le paysage syndical, celles-ci sont récemment montées d’un cran. La Confédération paysanne a particulièrement été visée par d’autres syndicats depuis sa participation à des manifestations aux côtés d’autres collectifs comme « Bassines non merci » ou « les Soulèvements de la Terre ». Des méthodes critiquées notamment par votre syndicat. Mais quelles sont les bonnes méthodes pour défendre et représenter les agriculteurs ?
La méthode qu’on utilise à la FNSEA a toujours été la même. C’est la recherche de l’unité professionnelle qui nous rassemble depuis le serment de l’unité paysanne en mars 1946. Notre objectif a toujours été le dialogue, d’entendre, de comprendre et de porter les besoins et les attentes des agriculteurs. Il peut y avoir des idées différentes dans les organisations, dans les têtes des uns et des autres, mais l’objectif, à la fin, est de trouver un compromis qui soit acceptable et entendable pour nos agriculteurs.
Comment se matérialise cette recherche du compromis dans votre réseau ?
Notre conseil d’administration, nos conseils fédéraux, nos organisations départementales, régionales forment une organisation démocratique forte. Le conseil d’administration tranche sur un compromis après avoir écouté l’ensemble des propositions du réseau.
Quelle place ont aujourd’hui les manifestations ou autres formes de protestations dans tout cela ?
Lorsque nous arrivons à l’action syndicale, c’est que nous n’avons pas réussi à nous faire entendre et à trouver les compromis avant. L’action syndicale doit rester le dernier des remparts. Aujourd’hui, les agriculteurs sont davantage dans l’attente d’un travail efficace de leurs responsables agricoles pour la poursuite de l’intérêt général et de ne pas aller sur l’action syndicale. Ce n’est pas pour ça qu’il ne faut plus le faire, mais l’action syndicale doit être déclarée et assumée.
Nous avons surtout besoin de retrouver du dialogue social et que les syndicats œuvrent vraiment à leur rôle de corps intermédiaires en amenant des solutions auprès des gouvernements sur les enjeux alimentaires, énergétiques ou d’adaptation au climat.
Parce que le dialogue social a été perdu, selon vous ?
Nous l’avons plus ou moins retrouvé. Sous l’ère de notre président de la République, Emmanuel Macron, les corps intermédiaires ont globalement été un peu sous-estimés dans leur capacité à faire des propositions au début de son premier quinquennat. Et on a bien vu que la crise des gilets jaunes a révélé un dysfonctionnement majeur. Quand vous avez une crise comme celle-ci, quel est l’interlocuteur entre des gens qui ne sont pas contents et le gouvernement ? À l’époque, il n’y en avait pas.
La place des corps intermédiaires a repris un peu plus d’importance dernièrement parce qu’il y a nécessité dans les périodes de tension et de transition, d’avoir des échanges réguliers pour trouver les solutions.
Certains vous accusent de participer à une cogestion entre vous et l’État et les liens très étroits avec le ministère de l’Agriculture. Que leur répondez-vous ?
Nous sommes à notre place de corps intermédiaire qui fait des propositions. Ce n’est pas de la cogestion. Ce temps-là est révolu. C’est de la mauvaise interprétation. Si la FNSEA est aussi présente aujourd’hui, c’est aussi le résultat des élections aux chambres d’agriculture (NDLR : les prochaines auront lieu en 2025) qui nous permet dans chaque département d’être représenté de manière efficace auprès de l’Administration et des pouvoirs politiques.
Après la participation de la Confédération paysanne aux manifestations de Sainte-Soline, certaines FDSEA du Morbihan et de la Mayenne ont notamment demandé au préfet que la Confédération paysanne ne soit plus présente dans les instances décisionnelles ou qu’elle ne perçoive plus de subventions publiques. Quelle a été votre réaction à cela alors que de telles demandes n’ont pas été formulées à votre niveau national ?
Vous savez les hommes restent des hommes. Il y a ce qui se voit dans la communication et tout le travail en interne qui est fait. Sur chaque dossier, notre priorité à la FNSEA est de le travailler en interne en mobilisant toutes nos strates, que ce soit départementales, régionales et nationales pour faire des propositions.
Quand il y a un peu de tension sur le territoire, de l’exacerbation se crée. Notre objectif est de garder nos fondamentaux en travaillant les dossiers et c’est ça qui l’emportera. Les tensions exacerbées amènent aujourd’hui un peu plus de radicalité. Je n’ai pas l’impression qu’à la FNSEA, nous soyons radicalisés. Nous sommes plutôt dans le compromis, dans la recherche de solutions dans l’intérêt de l’agriculture.
Qu’est-ce qui vous différencie aujourd’hui des autres syndicats ?
C’est notre organisation qui offre une grosse proximité avec un maillage territorial très fort qui démarre souvent de la commune pour remonter au national. Nous avons encore dans certains départements des référents par commune. Moi, par exemple, je suis président de la Marne, aujourd’hui j’ai 450 élus.
C’est unique en son genre, il n’y a pas d’autres syndicats qui sont organisés comme nous. Mais cette proximité est challengée aujourd’hui avec la diminution du nombre d’agriculteurs. En tant que secrétaire général de la FNSEA, je dis à mes gars qu’il faut toujours aller au contact des agriculteurs, leur expliquer ce qu’on fait, le sens de l’intérêt général, de l’engagement collectif. On peut être très bien organisé sur son exploitation, mais à un moment donné, on reste petit et c’est souvent collectivement qu’on trouvera les solutions. Ce discours n’est jamais gagné d’avance. Il faut remettre le couvert tout le temps sur la table.
Certains agriculteurs à cran face aux actions de certains militants écologistes formulent des menaces à leur égard. Comment faites-vous face à cela ?
Nous avons une cellule d’accompagnement des agriculteurs par rapport à ça. C’est un sujet ô combien difficile. J’ai des collègues éleveurs qui ont été confrontés à des intrusions dans leurs élevages de la part de militants radicalisés qui sont venus faire le bazar. Il faut avoir un certain self-contrôle lorsque cela arrive. Notre objectif est d’accompagner nos agriculteurs en leur disant ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire. Il ne faut pas qu’ils répondent à la provocation.
Le secteur agricole est parfois pointé du doigt sur son manque de communication et de visibilité auprès du grand public, ce qui peut laisser le champ libre à certaines autres organisations ou associations environnementales qui communiquent sur le sujet comme L214 ou les Soulèvements de la Terre par exemple. L’agriculture doit-elle améliorer sa communication ?
C’est compliqué de savoir si une communication est bien ou mal faite. Je pense que les agriculteurs sont des taiseux, des gens qui travaillent. Nous ne sommes peut-être pas assez efficaces en termes de communication. Aujourd’hui, nous avons l’impression que la communication qui l’emporte, c’est celle qui fait le buzz. Et la profession agricole a, quant à elle, des histoires à raconter, mais des histoires où les trains arrivent à l’heure.