Des manifestations violentes à Sainte-Soline, des serres de maraîchers nantais lacérées, des agriculteurs qui menacent de s’en prendre à des militants écologistes, des syndicats agricoles qui critiquent les méthodes utilisées par d’autres… Ces derniers mois ont été particulièrement tendus sur le front des revendications. Nous avons interrogé chacun des syndicats agricoles sur ce virage radical. Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne, nous livre son opinion.

Le grand public s’intéresse de plus en plus à l’alimentation et l’agriculture, pensez-vous que ce soit aux syndicats de communiquer sur ces sujets ? Si oui, comment la Confédération paysanne rencontre le grand public ?

C’est une partie du rôle d’un syndicat que de s’adresser au-delà du monde agricole. Depuis sa création, la Conf' s'est impliquée dans le dialogue avec la société. Mais cela est de plus en plus difficile car l’écart est grandissant entre le monde rural et le reste de la société plus urbaine. Il y a un vrai décalage et des vraies difficultés de compréhension. Toutefois, cette communication est nécessaire et indispensable pour définir ensemble l’agriculture qui pourra répondre aux besoins du monde agricole et aux attentes de la société, même si celles-ci peuvent être contradictoires. Ce débat doit absolument se tenir et les syndicats ont une part à jouer dans ce dialogue.

Même si ce n’est pas le seul rôle d’un syndicat agricole, nous avons des outils pour discuter avec le grand public. C’est indispensable car l’agriculture bénéficie de soutiens publics et cela ne peut pas se faire sans une forme d’adhésion du grand public. Les foires ou les marchés sont des canaux intéressants mais encore insuffisants. La Confédération paysanne participe à de nombreuses alliances en lien avec des représentants nationaux : le réseau des Amap, des organisations de citoyens, des collectifs en lien avec la société et l’alimentation… Localement, nous organisons aussi des fêtes paysannes qui permettent d’inviter très largement les voisins de la ferme.

Comment portez-vous aujourd’hui la parole de vos adhérents ?

Notre rôle principal est la défense des paysannes et des paysans. Nous utilisons toute la palette de moyens possibles, mais celle-ci a évolué au fil du temps. Notre premier outil reste le travail institutionnel, au sein des chambres d’agriculture, des régions, des ministères.

Nous portons des propositions mais en même temps il faut parfois descendre dans la rue et aller sur le terrain pour rendre visible ce qui détruit l’agriculture paysanne. Nous menons donc des actions de sensibilisation, de dénonciation de ce qui va à l’encontre de la défense des paysans, et de lutte sur tout ce qui entrave le revenu agricole.

Nous observons que pour une majorité d’agriculteurs, la situation économique et technique génère de grandes tensions. On note un réel manque d’accompagnement à la hauteur des difficultés. Toutes ces incertitudes génèrent une forme de colère et une grande inquiétude. Certains voient qu’il n’y a pas de réponse de la part de l’État et pensent qu’il faut absolument descendre dans la rue.

Comment évolue l’engagement syndical dans ce contexte ?

À notre dernier congrès, nous avons acté de poursuivre notre implication institutionnelle et de faire monter nos propositions. D’autre part, nous continuerons à faire entendre notre voix autrement. Je ne suis pas sûre que ce sera très différent de ce que faisait la Conf' précédemment. Sauf que cela s’exprimera différemment car nous sommes dans une autre époque avec les réseaux sociaux, avec un gouvernement qui n’est pas à l’écoute de l’ensemble du monde agricole et parce que des convergences avec d’autres mouvements ont émergé. Mais dans le fond, la ligne de défense des paysans reste la même.

Depuis quelques années, il y a une forme de lassitude car il est difficile de défendre les paysans. Les arbitrages sont de nature à servir certains paysans et pas tous. Mais si nous n’étions pas présents, cela serait pire. C’est aussi pour cela que nous sommes obligés de nous exprimer différemment, en particulier dans la rue, puisque les choses avancent assez peu. Il y a une forme d’immobilisme en politique agricole alors que nous sommes à un moment où les questions environnementales et économiques sont telles qu’elles requièrent du courage politique. Ce n’est pas en attisant les différences entre syndicats ou en continuant avec ces règles du syndicalisme agricole qu’on avancera.

Alors que la tension monte avec les autres syndicats qui dénoncent votre participation à certains évènements, comme à Sainte-Soline, comment faites-vous pour avancer collectivement sur d’autres sujets tels que le pacte et la loi d’orientation et d’avenir agricoles ?

Sur le papier, nous avons évidemment des intérêts communs, comme la protection du foncier, ou la création de revenu pour les agriculteurs. Mais nous n’avons visiblement pas les mêmes façons de le décrire, ni de le mettre en musique. Nos sujets sont communs mais les curseurs ne sont plus les mêmes. Parfois, nos intérêts s’opposent même complétement comme sur l’élevage où nous défendons l’autonomie alimentaire des fermes et le plein-air.

Chacun présente ses propositions et in fine l’arbitrage est pris par le gouvernement. Aujourd’hui, le gouvernent assume d’arbitrer en préservant les grands équilibres. On laisse la situation comme elle est, ce n’est pas de nature à orienter l’agriculture qui en a largement besoin. Les décisions ne sont pas prises en fonction de l’intérêt général. Elles répondent davantage à la pression des différents lobbys syndicaux, des filières, ou agro-industriels. Ce sera difficile de construire collectivement une politique agricole pour le pays.