Comment expliquez-vous les tensions existantes entre les syndicats agricoles aujourd’hui ?
Le fait que les syndicats cristallisent leurs positions comme la FNSEA, la CR ou la Conf' sur des positions très dures, très radicales en est sûrement la cause. Au Modef, on part du principe qu’on ne peut pas soutenir la violence envers les personnes et la destruction de biens, ce n’est pas tolérable. En revanche, l’affrontement verbal et l’affrontement d’idées, ils doivent avoir lieu. Mais il est pourri par la violence.
Aujourd’hui, les syndicats partagent certaines revendications. Tous demandent aujourd’hui un prix agricole rémunérateur, proposition fondatrice du Modef il y a plus de 60 ans que nous avons longtemps été les seuls à porter. Nous partageons certaines positions avec les uns et les autres : une agriculture à taille humaine, avec la Conf', les semences de ferme, avec la Conf' et la CR, installer des jeunes massivement, avec les JA…
Il faut revenir à la raison et remettre du dialogue mais les positions vont être inconciliables si on continue comme ça.
« L’affrontement verbal et l’affrontement d’idée doivent avoir lieu. Mais il est pourri par la violence »
Quelles méthodes adopter dans le contexte actuel ?
Nous avons une position intermédiaire entre tout le monde en disant « ne faisons pas n’importe quoi », écoutons-nous les uns les autres pour que l’on trouve des positions qui permettent d’avancer. Chacun peut conserver ses idées mais il ne faut pas rompre le dialogue et faire preuve de bon sens.
« Ce n’est pas simplement en légiférant qu’on peut parvenir à régler les problèmes »
À la différence d’autres organisations agricoles, on pense qu’il faut un temps d’adaptation pour faire évoluer les choses et que ce n’est pas simplement en légiférant qu’on peut parvenir à régler les problèmes. Il faut aussi faire prendre conscience au monde agricole et à tous les organismes de développement que nous sommes partis sur une pente sur laquelle on va se casser la figure.
Ce n’est pas forcément le consensus qu’il faut que l’on cherche, mais face à une situation qui est dramatique, si on n’arrive pas à mobiliser le monde agricole, on va s’enfoncer dans l’opposition des modèles agricoles sans mettre en place de solutions. On a perdu notre souveraineté alimentaire, on a une diminution de la production et une crise du renouvellement des générations, il faut agir.
Est-ce que vous identifiez des difficultés pour mobiliser sur le terrain ?
Comme partout dans le monde, il y a un individualisme qui s’est développé qui fait que l’on regarde ses propres affaires. C’est vrai dans le syndicalisme mais aussi dans le monde associatif. Chacun se replie sur soi. C’est dommage car ça bloque le débat. Le fait que nous soyons moins de 400 000 agriculteurs et que les positions sur le terrain soient un peu tendues entre les uns et les autres, ça n’aide pas à la mobilisation de ceux qui s’interrogent.
Le grand public s’est emparé de nombreux sujets agricoles. Comment lui faire passer ses messages aujourd’hui ?
Quand on regarde les commentaires sur les réseaux sociaux, c’est assez dramatique. On se dit qu’il y a une méconnaissance de notre milieu, de nos conditions de vie, de nos conditions de production.
Il y a des schémas types dans la tête de chacun. Sur la gestion de l’eau par exemple, quand on dit « il faut arrêter le maïs », c’est trop simpliste, ça ne réglerait pas le problème de l’eau. Ce n’est pas la plante qui est en cause c’est notre système de production.
On doit amener les gens à réfléchir sur leurs propres convictions et c’est difficile dans un monde où chacun campe sur ses positions. Dire à quelqu’un qu’il a tort, ça ne fonctionne pas.
Comment rétablir les relations entre les syndicats agricoles ?
On évite de trop taper les uns sur les autres, ce n’est pas comme ça qu’on va y arriver. Ça ne nous grandit pas. On n’est pas sur la même longueur d’onde, on a des désaccords. Faisons une bagarre d’idées, mais n’en venons pas aux mains, on ne gagne pas avec ça. C’est la crédibilité du syndicalisme agricole qui est en jeu, on ne peut pas passer des messages au grand public comme ça.
Sur le terrain, c’est plus compliqué car les agriculteurs sont confrontés à de la violence avec des gens qui leur disent qu’ils font mal leur boulot ou qui les traitent d’assassins. Dire ça à un agriculteur qui travaille 70 heures par semaine, ça cristallise de grosses tensions.