Pour les produits organiques, et en particulier les digestats et lisiers de porc, les pertes d’azote par volatilisation peuvent aller très vite. « C’est une question d’heure », affirme Julien Gaillard, conseiller en fertilisation à la chambre d’agriculture de l’Aisne, lors d’une intervention à l’occasion du salon Innov-Agri d’Essigny-le-Grand en juin 2025. Ce sont effectivement des produits riches en ammonium, forme azotée immédiatement disponible pour les végétaux, mais qui peut se transformer en ammoniac, un gaz. Ce phénomène peut toucher une part non négligeable de l’azote ammoniacal du digestat. En conditions défavorables, la totalité peut même être perdue.

Même produit, valorisation différente

« La volatilisation est un problème de contact avec l’air : il faut tout faire pour que le produit soit à l’abri », explique-t-il. Le matériel utilisé peut ainsi être « très impactant », indique l’expert. Le plus efficace est d’enfouir le produit rapidement : simultanément à l’épandage avec un équipement à disque ou à dent, ou dans les heures qui suivent avec un outil de travail du sol.

Les résultats d’un essai mené par la chambre d’agriculture de la Bretagne en 2023 illustrent bien le sujet. Pour un même digestat, « le pourcentage d’azote ammoniacal volatilisé a été de 0 % en injection directe, de 8 % par application avec un pendillard et enfouissement après une heure, et de 33 % pour un enfouissement le lendemain, après 12 h », indique Mariana Moreira, chargée d’étude à la chambre. Elle précise que ces différences se sont traduites dans les rendements du maïs qui a suivi.

Les conditions météo à l’épandage jouent également beaucoup. « S’il fait chaud et qu’il y a du vent, le phénomène sera extrêmement marqué », indique Julien Gaillard. Dans la mesure du possible, il faut viser une journée couverte et fraîche, sans vent et avant une pluie. La volatilisation est également limitée en cas de présence d’un couvert végétal. Il note aussi que « plus le produit a une teneur en matière sèche faible, moins il est sensible ». Cela s’explique par le fait qu’un produit très liquide s’infiltre plus rapidement.

Outil de prédiction des pertes

Pour mieux prendre en compte ces pertes dans la gestion de la fertilisation, la chambre d’agriculture de la Bretagne a développé l’outil AgrivisioN’air, avec l’appui d’un groupe d’agriculteurs, Cuma et ETA. Il permet de prévoir sur trois jours la quantité d’azote perdue par volatilisation de l’ammoniac, selon les pratiques d’épandage et les conditions météorologiques prévisionnelles d’un lieu donné. Il donne des indications sur l’intensité des pertes, mais aussi sur le facteur qui joue le plus, ainsi que des indicateurs économiques. Pour l’heure disponible uniquement pour les agriculteurs bretons, il est en cours d’adaptation sur d’autres régions françaises.

L’essai de la chambre d’agriculture de la Bretagne a également été l’occasion d’explorer une autre technique, celle de l’acidification des digestats par ajout d’acide sulfurique (9 l/m³). Elle est mobilisée dans d’autres pays européens, tels que le Danemark et  l’Espagne. L’application d’un produit acidifié par pendillard avec incorporation tardive (12 h) a conduit à des pertes de 6 % d’azote, équivalente à la modalité sans acidification et enfouissement rapide. Les effets sur le sol, en particulier son pH, doivent encore être précisés.