L’invasion de l’Ukraine par la Russie fait brusquement grimper les prix des céréales, du colza et des huiles végétales.

Les prix du blé au niveau de 2008 en dollar, bien plus hauts en euros

+85 €/t en une semaine à Rouen. De nouveau plusieurs fois « limit up » à Chicago (les prix butant sur un plafond prédéfini — cette notion de plafond n’existe pas sur Euronext). Sur le marché physique français, les prix se situaient aux alentours de 370 €/t rendu Rouen hier ; ils valent 388,25 €/t sur Euronext pour l’échéance de mai 2022, soit presque 100 €/t de plus que la clôture de vendredi dernier.

 

Le marché du blé — des autres céréales et du pétrole aussi — est hors de contrôle pour le moment, tant que les conséquences de la guerre en Ukraine ne sont pas encore complètement établies. Celles-ci demeurent très difficiles à prévoir puisque la durée du conflit reste une belle inconnue. La situation semble partie pour durer selon le président Macron, ce qui suppose de revoir en très forte baisse les prévisions des exportations de l’Ukraine où tous les ports sont fermés.

 

En Russie, comme mentionné la semaine dernière, les ports restent ouverts sauf sur la mer d’Azov, mais les gros bateaux se voient pénalisés par des coûts d’assurance énormes en parallèle d’un fort désintérêt des opérateurs pour traiter au départ des ports russes à cause des sanctions imposées par l’Ouest.

 

> À lire aussi : Les conséquences de la guerre en Ukraine sur notre agriculture (04/03/2022)

 

Des réactions de panique ont eu lieu en Bulgarie où les douanes ont fortement ralenti les chargements en milieu de semaine dans un mouvement interprété par les opérateurs comme voulant bloquer les sorties en dehors du pays. Faisant suite à un conseil des grains mercredi 1er mars au soir dans le pays, le ministre de l’Agriculture bulgare, Ivan Ivanov, a rappelé que la sécurité alimentaire du pays aurait toute son attention mais n’était pas menacée actuellement et qu’il allait veiller au bon fonctionnement du commerce. Il a rappelé qu’aucune interdiction des exportations n’était en place ; la gestion de la politique d’exportation est en effet du ressort de l’Union européenne et aucun pays ne peut décider d’un blocage tout seul (la Roumanie avait également tenté un blocage de ses exportations au début de la période du Covid en 2020).

L’invasion de l’Ukraine va « booster » les exportations françaises

Cet incident illustre la pression et la panique qui s’est emparée de certains acteurs du marché. Quels chiffres peut-on avancer aujourd’hui pour donner quelques repères ? Selon nos estimations Stratégie Grains, l’Ukraine et la Russie vont annuler d’ici à la fin de la campagne l’exportation de presque 12 millions de tonnes (si plus rien ne sort d’Ukraine d’ici à la fin de juin et si les flux russes se limitent aux flux vers les voisins accessibles par voie terrestre et quelques pays particuliers comme l’Iran et la Syrie).

 

Cela va entraîner une maximisation des exportations au départ de l’Australie, de l’Inde, des États-Unis et de l’Union européenne, afin de compenser en partie la très forte réduction des exportations ukrainiennes et russes. Un peu de demande devra être détruite cependant, que ce soit pour le secteur humain et surtout le secteur animal avec l’effondrement des marges d’élevage. Nous estimons que cela pourrait faire remonter de 2 millions de tonnes de blé environ les exportations de l’Union européenne par rapport à ce qui était attendu encore récemment. Cela pourrait également creuser nettement les stocks français. Les ventes tricolores sont reparties à un niveau très soutenu cette semaine. Le blé français va retrouver une partie de la place perdue sur l’Algérie par exemple.

 

Les prix reflètent ces ajustements d’offre et de demande en cour. On peut noter qu’ils ont donc dépassé allègrement les maximums jamais atteints en euros et qu’ils se situent maintenant au niveau maximum de mars 2008 en dollars (près de 430 $/t Fob Rouen).

Impact sur la production 2022 ?

En dehors des échanges, beaucoup de questions se posent pour la production 2022 : que ce soit dans l’Union européenne, du fait du coût des intrants, ou plus encore en Ukraine, pour les mêmes raisons mais aussi par l’impossibilité, à certains endroits, de rentrer dans les champs. La récolte de blé, semé en hiver dans ce pays, est sans doute la moins menacée mais sera-t-il possible de récolter ? Les semis de tournesol et de maïs sont en revanche très incertains.

 

Dans l’Union européenne, les ministres de l’Agriculture se sont réunis mercredi 2 mars 2022 pour réfléchir à des mesures d’encouragement de la production. Parmi celles-ci, la possibilité d’autoriser la culture des jachères. Les décisions finales seront à suivre de près, mais l’on peut d’ores et déjà se demander si elles pourront avoir une grande influence sur les assolements de printemps 2022.

Le prix du maïs a moins monté que celui du blé

Paradoxalement, les prix du maïs ont moins grimpé que ceux du blé cette semaine. Fob Rhin, ils se situent à 340 €/t, en hausse de 43 €/t depuis la semaine dernière. Le maïs Fob Rhin vaut presque 30 €/t de moins que le blé à Rouen alors que les deux céréales étaient proches la semaine dernière.

 

Pourtant, la situation semble plus inquiétante en maïs qu’en blé : pour remplacer les 13 millions de tonnes que l’Ukraine ne pourra pas exporter si ses chargements restent bloqués jusqu’à la fin de l’été, il faudra compter sur les maïs nord- et sud-américains.

 

Toutefois, il apparaît probable, étant donné que le gros de la récolte brésilienne n’arrivera que cet été, que des quantités plus importantes en maïs qu’en blé devraient être détruites en ce qui concerne la demande.

 

L’Union européenne, quant à elle, va perdre de gros volumes d’importation (elle attendait encore 6 millions de tonnes de maïs ukrainiens). Certes, les exportations de maïs bulgares et roumains vers les pays tiers vont être redirigées en partie vers l’Union européenne du Sud et du Nord et les maïs français vont être très prisés. Mais cela ne justifie pas un maïs moins cher que le blé, loin de là.

Orge : les prix français poursuivent leur emballement

Le prix rendu Rouen de l’orge française (base juillet) n’a cessé de progresser cette semaine, gagnant pas moins de 55 €/t par rapport à vendredi dernier, dans le sillage du blé et du maïs. Sur les marchés à terme, l’envolée des prix est spectaculaire pour ces deux céréales, qui entraînent à leur suite les prix physiques de l’orge.

 

L’Ukraine ne disposait plus de volumes importants pour l’exportation d’orge sur la campagne de 2021-2022, contrairement à la Russie. Or, les exportations russes risquent d’être nettement pénalisées par les sanctions internationales, la hausse du coût de l’assurance pour le départ des bateaux de la mer Noire, et les risques de tirs sur ceux-ci au large de l’Ukraine. Dans ce contexte, l’approvisionnement de la Chine est donc sujet à beaucoup d’interrogations.

 

Sur le marché mondial, les prix français affichent des niveaux stratosphériques, gagnant 59 $/t cette semaine à 406,4 $/t, loin devant les origines russe et australienne désormais au coude-à-coude, respectivement à 301 et 300 $/t. Les prix australiens ont en effet grimpé les dernières semaines, gagnant 32 $/t par rapport à la mi-février. La guerre n’est toutefois pas la seule à jouer sur les prix : la rétention de l’orge par les agriculteurs australiens, qui ont déjà réalisé de beaux profits sur le canola, ainsi que les inondations autour du port de Brisbane qui perturbent la chaîne logistique, ont également un rôle important dans la hausse des prix.

 

Les perspectives pour la campagne suivante ne sont pas beaucoup plus roses : deux tiers de l’orge ukrainienne est semée au printemps et de nombreux points d’interrogation pèsent sur l’approvisionnement en semences, pesticides, fertilisants, carburant, et sur la main-d’œuvre. Le prix de l’orge Fob Moselle sur la prochaine campagne gagne ainsi 15,5 €/t cette semaine.

Les prix du soja se maintiennent à de hauts niveaux

Les cours du soja évoluent en ordre relativement dispersé sur la semaine, mais restent à des niveaux élevés. Le risque météorologique en Amérique du Sud s’estompe, avec l’arrivée de pluies abondantes. Si ces pluies arrivent trop tard pour les cultures du Sud brésilien, les parcelles argentines reprennent de la vigueur. L’état des plants pourrait donc s’améliorer si la fin de cycle se déroule bien.

 

Les cours mondiaux restent néanmoins soutenus par l’incertitude générée par la crise ukrainienne, qui influence directement les flux mondiaux de maïs, de blé et de gaz. À Chicago, sur le rapproché, la tonne de soja progresse de 7 $/t (617 $/t) mais diminue de 8 $/t sur juillet (600 $/t). Le Fob brésilien progresse de 13 $/t sur le rapproché (681 $/t) et de 6 $/t sur juillet (670 $/t).

 

Le conflit en Ukraine met la pression sur les prix des céréales et des produits du complexe oléagineux, mais ajoute également de l’inquiétude sur la situation quant aux intrants, qui était déjà tendue. Le Brésil est particulièrement exposé au risque de pénurie d’intrants, ses principaux fournisseurs étant russes, biélorusses et asiatiques. Entre 2020 et 2021, les importations d’intrants auraient progressé de 39 % d’après le Conab (la société nationale d’approvisionnement brésilienne).

 

La sécurisation de l’approvisionnement est un enjeu de premier plan pour la diplomatie brésilienne, comme en témoignent les nombreuses visites officielles des dernières semaines. Le président Jair Bolsonaro s’était rendu en Russie à la mi-février, l’azote et le potassium consommés au Brésil provenant majoritairement de ce pays. À la même période, la ministre de l’agriculture Tereza Cristina était en Iran, pays exportateur d’urée. Elle se rendra prochainement au Canada, qui est le troisième fournisseur de potasse après la Russie et la Biélorussie (ces trois pays représentent 80 % des importations brésiliennes).

 

En outre, il y a trois semaines, Bayer annonçait l’arrêt de la production de glyphosate pour plusieurs mois en raison d’une pénurie sur un réactif entrant dans la fabrication du désherbant. Les intrants restent un enjeu de premier plan pour la campagne en cours et la suivante, et le Brésil est particulièrement à risque vu les capacités restreintes de sa filière industrielle chimique.

Légère détente des prix du tourteau, sauf à Montoir

Les prix du tourteau se maintiennent à de hauts niveaux, mais perdent un peu de terrain en une semaine. À Chicago, la tonne perd 4 $/t sur le rapproché (509 $/t) et 6 $/t sur juillet (492 $/t). Le Fob argentin gagne 1,5 $/t sur le rapproché (513 $/t) mais perd 4 $/t sur juillet (500 $/t).

 

En revanche, à Montoir, la tonne de soja atteint 557 €/t, soit 17 €/t de plus que la semaine dernière. La trituration mondiale est en dessous des attentes, avec des chiffres mensuels américains et argentins en retrait pour le mois de janvier, par rapport au début de la campagne comme par rapport à l’historique. En Chine, les stocks bas de fèves limitent la trituration, après plusieurs mois d’importations plutôt restreintes en raison d’une demande peu dynamique des filières animales.

Explosion du prix de l’huile de palme

Les prix des huiles ont flambé cette semaine, portés par le manque de disponibilités sur le marché mondial à la suite de l’invasion russe de l’Ukraine. Alors que ces deux pays représentent 80 % des exportations mondiales d’huile de tournesol, le conflit engendre des perturbations de leurs ventes.

 

En effet, les expéditions depuis les pays de la mer Noire sont fortement bouleversées : d’une part, l’arrêt des activités portuaires et des usines de trituration en Ukraine. D’autre part, la perturbation des exportations russes à la suite des sanctions prises par les pays occidentaux à leur encontre (dont le blocage de certaines banques russes du système de paiement international Swift). En conséquence, les pays importateurs (tel que l’Inde et l’Union européenne) se tournent vers les autres huiles, notamment vers l’huile de palme, mais également vers l’huile de soja et l’huile de colza. Cependant cette année, les faibles disponibilités en huiles rendent les marchés extrêmement tendus.

 

Ainsi, dans un contexte de limitation des exportations de l’Indonésie et d’une production plus faible qu’attendu (inondations, problématiques de main-d’œuvre, diminution des intrants), l’huile de palme est fortement demandée afin de remplacer rapidement l’huile de tournesol. En effet, malgré son prix extrêmement élevé, l’huile de palme est expédiée rapidement dans les pays demandeurs, comme l’Inde. Les acheteurs indiens se sont notamment tournés vers la Malaisie, afin de tenter de sécuriser leurs approvisionnements en huile avant le mois de jeûne musulman du Ramadan. En conséquence cette semaine, les prix de l’huile de palme Fob Rotterdam ont flambé de 305 $/t et atteignent ainsi 1 945 $/t.

Les autres huiles grimpent aussi, poussant très haut la graine de colza

Les acheteurs recherchent aussi des alternatives à l’huile de tournesol en se tournant vers l’huile de soja, dont le marché est également tendu (en raison de la sécheresse ayant affecté la production de soja en Amérique du Sud). Les expéditions d’huile de soja sont actuellement limitées en raison du temps d’acheminement vers les pays importateurs européens et asiatiques (beaucoup plus long que celui de l’huile de palme) mais elles devraient s’accélérer à partir d’avril.

 

L’huile de soja reste tout de même moins chère que l’huile de palme. Ainsi, cette semaine, l’huile de soja Fob Rotterdam s’est renchérie de 164,4 $/t (à 1 811 $/t). De même, alors que le marché de l’huile de colza est déjà extrêmement tendu (offre réduite avec la récolte catastrophique de canola au Canada), la demande s’intensifie pour remplacer l’huile de tournesol, engendrant une forte hausse des prix de 274,5 $/t en Fob Rotterdam, qui atteignent ainsi 2 005 $/t.

 

Enfin, cette semaine, les pays de l’Opep (Organisation des pays producteurs de pétrole) ont maintenu leur décision précédente, et n’augmenteront leur production que de 400 000 barils quotidiens en avril. Cette décision, déjà bien modeste au regard de la consommation mondiale, intervient dans un contexte difficile : les sanctions économiques de l’Occident envers la Russie font craindre une baisse de l’offre russe disponible sur le marché de l’énergie. Cela a engendré une hausse des cours du pétrole d’environ 14,9 $ (à 107,7 $ le baril) en une semaine.

 

Finalement, le conflit avec la Russie a poussé les acheteurs à rechercher des alternatives à l’huile de tournesol, et a engendré une hausse des cours de toutes les huiles, mais également du pétrole. En conséquence, le prix du colza à Rouen a fortement augmenté cette semaine (de 48 €/t) et atteint 829 €/t (832 €/t en Fob Moselle).

Flambée des prix du tournesol

L’invasion russe de l’Ukraine la semaine dernière avait déjà fait bondir les cours du tournesol. Cette semaine, les bombardements russes ont continué, et les prix ont de nouveau flambé. De nombreuses perturbations sont à noter, telles que l’arrêt des activités portuaires et d’usines de trituration. Ainsi, alors que l’Ukraine assure la moitié des ventes mondiales d’huile de tournesol (et la Russie 30 %), ses exportations devraient être arrêtées sur les prochains mois. Habituellement dans l’Union européenne, les arrivages ukrainiens d’huile de tournesol représentent environ 200 000 tonnes par mois.

 

De plus, cette semaine, les Occidentaux ont prix des sanctions plus fortes contre la Russie. En conséquence, une partie de la demande mondiale en huile de tournesol est en train de se reporter sur les autres huiles concurrentes. Mais cette substitution ne sera pas évidente si cette crise dure dans le temps, puisque les disponibilités des autres huiles sont relativement faibles cette année.

 

Dans ce contexte, les prix français de tournesol ont flambé cette semaine. À Saint-Nazaire, le prix du tournesol standard gagne 75 €/t à 710 €/t en ancienne récolte et 50 €/t à 650 €/t pour la récolte de 2022. Alors que la campagne de semis de printemps approche, de nombreuses questions se posent sur la capacité des agriculteurs ukrainiens à pouvoir implanter leurs cultures de printemps. La prochaine campagne risque d’être perturbée.

 

À suivre : prix de l’énergie, du pétrole, des engrais, décisions concernant les assolements, les substitutions possibles dans les pays exportateurs et les chutes de demande chez les pays importateurs.