L’histoire.Marie et ses deux fils, Pierre et Paul, avaient vendu à la SCEA du Bois-Vert, la première l’usufruit et les seconds la nue-propriété du domaine leur appartenant. Entre temps, pour respecter l’ancien article R. 143-9-5 du code rural, le notaire chargé de la vente avait déclaré à la Safer le projet d’aliénation. Celle-ci a décidé d’exercer son droit de préemption. Pouvait-elle intervenir, puisqu’il s’agissait d’une vente en démembrement de propriété ? Les vendeurs l’ont assignée en nullité de la préemption et la Safer a demandé la nullité de la vente.

 

LE CONTENTIEUX.Pierre, qui avait fait son droit, se souvenait que les ventes démembrées portant sur la seule nue-propriété ou sur le seul usufruit réalisées sous l’empire de la législation antérieure à la loi d’avenir du 13 octobre 2014, échappaient au droit de préemption de la Safer, à moins que la preuve de la fraude ne fût rapportée. Aussi, devant le tribunal, Marie et ses fils ont évoqué la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle la Safer est privée de la possibilité de se substituer à l’acquéreur en cas de vente de l’usufruit ou de la nue-propriété du bien. Or, la cession par Marie de son droit et par Pierre et Paul du leur constituait, même en présence d’un seul acte, deux cessions distinctes, aucune indivision n’existant entre la première et les seconds, tous deux étant titulaires de droits réels sur le bien. Aussi, la vente devait échapper au droit de préemption de la Safer en l’absence de fraude. Mais en la cause, la preuve était-elle établie ? La vente avait bien donné lieu à la signature d’un seul acte authentique mais elle avait porté sur deux cessions distinctes, l’une concernant l’usufruit des parcelles en cause, l’autre la nue-propriété de ces mêmes parcelles. Aussi, en l’absence d’indivision entre les titulaires de droits réels sur ces parcelles, chacune de ces cessions ne pouvait, en elle-même, donner ouverture au droit de préemption.

Les juges ont pourtant accueilli la demande de la Safer et annulé la vente : ils ont relevé que celle-ci n’avait pas constitué une cession isolée de la nue-propriété ou d’usufruit mais avait porté sur ces deux droits, cédés sur le même immeuble, simultanément, par leurs titulaires respectifs à un même acquéreur dans le but de reconstituer entre ses mains la pleine propriété d’un bien rural. La vente était donc bien soumise au droit de préemption de la Safer, sans même qu’il fût besoin de caractériser la fraude.

 

L’éPILOGUE. Il y a tout lieu de penser que la récente modification apportée à l’article L. 143-1 du code rural par la loi d’avenir a induit la solution retenue : en effet, désormais, les Safer peuvent exercer leur droit de préemption en cas d’aliénation à titre onéreux, non seulement de l’usufruit mais aussi de la nue-propriété des biens considérés « lorsqu’elles sont en mesure d’acquérir concomitamment l’usufruit ».