L’histoire
La gestion de parcelles à vocation agricole demande une grande rigueur dans la rédaction des conventions. Une commune des Vosges l’a appris à ses dépens. Elle avait acquis des prairies situées à l’entrée du village, dans le but de créer un lotissement artisanal.
Dans l’attente de sa réalisation, elle avait consenti, au titre de l’année 2003, au Gaec du Moulin, une convention de vente d’herbe sur pied sur ces terrains. Tacitement renouvelée, elle avait été confirmée par un arrêté en 2007 et à nouveau renouvelée chaque année. Mais en 2013, la mairie avait décidé de mettre son projet de lotissement à exécution et engagé des travaux. Aussi, privé de sa récolte de fourrage, le Gaec avait saisi le tribunal paritaire en reconnaissance d’un bail rural.
Le contentieux
Le Gaec, qui n’entendait pas être privé du fourrage récolté sur les parcelles, avait invoqué l’article L.411-1 du code rural. Selon ce texte, le statut du fermage est applicable à toute cession exclusive des fruits de l’exploitation lorsqu’il appartient à l’acquéreur de les recueillir ou de les faire recueillir. Le cédant peut toutefois démontrer que le contrat n’a pas été conclu en vue d’une utilisation continue ou répétée des biens, ni dans l’intention de faire obstacle au statut.
Ainsi, dès lors qu’il est établi que l’exploitant a bénéficié de la cession exclusive des fruits de l’exploitation pendant plusieurs années – au moins deux – et qu’en contrepartie, le propriétaire accepte de percevoir une rémunération, il y a bail rural. Aussi, pour le Gaec, une telle qualification en bail rural du contrat, et régulièrement renouvelée, s’imposait.
Mais la commune ne se croyait pas en reste. Elle s’était fondée sur l’article L 411-2, qui exclut du statut du fermage les conventions d’occupation précaire tendant à l’exploitation temporaire d’un bien, dont la destination agricole doit être changée. Or, dès 2003, elle avait fait savoir au Gaec qu’elle envisageait de créer sur ces terrains un lotissement artisanal. Elle avait justifié que, durant ces années, des études étaient en cours pour l’aménagement de la zone. D’ailleurs, la seule intention du changement de destination du fonds agricole ne suffisait-elle pas à faire échec au statut du fermage ?
Les juges en avaient été convaincus. Il importait peu que la commune eût improprement qualifié les conventions régularisées avec le Gaec de vente d’herbe. Dès lors qu’il était établi qu’elle avait signé des conventions d’occupation précaire portant sur des parcelles dont la destination agricole devait être changée, la qualification de bail revendiquée par le Gaec devait être écartée. Mais c’était vite dit pour la Cour de cassation. Celle-ci a censuré cette motivation un peu succincte de la cour d’appel. Les juges auraient dû rechercher si les parties avaient intégré dans leurs prévisions un projet de changement de destination des parcelles, de nature à caractériser la conscience qu’avait le Gaec de conclure une convention d’occupation précaire.
L’épilogue
La commune aura appris que pour parer à toute contestation, la cause qui justifie la conclusion d’une convention d’occupation précaire doit être clairement énoncée. Mais l’avenir du lotissement est-il compromis ? Rien n’est moins sûr. La commune pourra refuser le renouvellement du bail pour utiliser les biens loués à une fin d’intérêt général.