L’HISTOIRE. La mairie avait confié la gestion de sa déchetterie à la société Bleu ciel. Conforme aux normes les plus sévères, elle était dissimulée aux yeux des promeneurs par des cyprès. Mais Yves n’avait pas apprécié cette installation à proximité de ses parcelles consacrées à une production de légumes bio, qu’il livrait au supermarché voisin. Chaque jour, il devait nettoyer ses cultures des divers sacs, bouteilles en plastique que le vent et la pluie déversaient sur les parcelles. Son acheteur l’avait prévenu : il n’accepterait plus ses légumes si les conditions de production prévues au cahier des charges n’étaient pas respectées.

 

LE CONTENTIEUX. Le maraîcher avait donc assigné la société Bleu ciel en réparation de son préjudice devant le tribunal de grande instance, sur le fondement du trouble de voisinage, consacré par l’article 1382 du code civil (*). Il avait de bons arguments : une lettre du directeur des achats du supermarché indiquait que les pollutions résultant de la décharge ne lui permettaient plus de le retenir dans ses zones de production certifiée bio. En outre, une attestation de la chambre d’agriculture précisait qu’un groupe industriel refusait de consentir des contrats de production de cultures autour de la déchetterie en raison des déchets apportés par le vent.

Aussi, Yves invoquait une réelle perte de chance de produire et de commercialiser des légumes bio, dont il devait pouvoir obtenir réparation. La société Bleu ciel reconnaissait la gêne occasionnée par la déchetterie mais, pour elle, le préjudice d’Yves n’était qu’éventuel. Seule constituait une perte de chance réparable « la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable », ce qui n’était pas le cas de l’exposition à un risque, fût-il certain. Or, elle avait constaté que, s’il était exposé au risque de la déchetterie, Yves s’était désormais interdit de pratiquer la culture de légumes bio. Le préjudice était ici purement éventuel. Mais les juges n’ont pas hésité : ils ont considéré que les documents produits par Yves établissaient le risque certain de voir refuser une récolte de cultures légumières à forte valeur ajoutée et la perte de chance d’en percevoir le produit. Aussi, le producteur devait-il pouvoir être indemnisé sur le fondement du trouble anormal de voisinage, caractérisé par la présence de la déchetterie, dès lors que « celle-ci affectait ses parcelles à vocation maraîchère et entraînait pour lui le risque de voir une telle production refusée par les acheteurs habituels ». Et la Cour de cassation a écarté le pourvoi en relevant que la cour d’appel avait bien caractérisé « la perte actuelle et certaine d’une éventualité favorable ».

 

L’ÉPILOGUE. La circonstance que la déchetterie fût exploitée conformément aux autorisations administratives qui avaient été délivrées ne permettait pas à son gestionnaire d’échapper à toute responsabilité en cas de trouble anormal de voisinage. En effet, ces autorisations sont délivrées sans préjudice des droits des tiers.

Yves devra désormais cultiver ses légumes sur des parcelles situées à une distance prévue par le cahier des charges de plus de 800 mètres de l’installation.

* Désormais article 1240 de ce code.