L’histoire. Alors qu’il assurait l’exploitation, le père d’une famille d’agriculteurs a été frappé par une paralysie générale. Son fils, déjà diplômé d’une école d’agriculture et alors qu’il n’avait que 17 ans, a dû assurer l’exploitation, jusqu’à aujourd’hui. Au moment de la liquidation de la succession de son père, il a réclamé un salaire différé pour onze ans, en tenant compte de sa première année où il avait 17 ans.

Rappelons qu’un salaire différé est ce qui permet à un enfant d’agriculteur de percevoir, à la mort de son père, non seulement sa part de biens successoraux mais aussi une somme d’argent fixée par la loi s’il a travaillé sur la propriété à partir de ses dix-huit ans et pendant dix ans maximum sans avoir été rémunéré (article L. 321-13 du code rural). Le bénéficiaire doit prouver que, dans le temps de sa participation à l’exploitation, il n’a reçu aucune rétribution ou rémunération. La question s’était déjà posée devant le tribunal paritaire : si un fils reçoit de son père une voiture, cela est-il considéré comme une rémunération ? Par ailleurs, la législation existe à partir de 1939 mais, depuis 1980, la somme à percevoir pour dix ans de participation entière atteint un niveau qui a donné lieu à des multiplications de demandes de salaire différé. Théoriquement, la participation ne doit pas être un simulacre et c’est ainsi qu’une fille n’avait pas été reçue dans sa demande parce qu’elle n’avait assuré que les travaux ménagers (arrêt du 22 octobre 2010).

Tout le problème est de savoir si un emploi à l’extérieur serait plus rémunérateur que le montant du salaire différé à espérer…

 

Le contentieux. Revenons à notre affaire : pourrait-on attribuer un salaire différé de onze ans ? Le candidat revendiquait le travail fait à la place de son père. Il ne pouvait évidemment pas revendiquer le bénéfice du salaire en tant que tel, mais simplement en raison de la suppléance du père de famille. Après le décès de ce dernier, la cour d’appel avait accepté que les onze ans de travail soient rémunérés. La Cour de cassation sera plus sévère et censurera la décision avec l’argumentaire attendu : même inscrit dès l’origine à la MSA pour le temps de participation, le demandeur ne pouvait obtenir le salaire différé pour plus de dix ans. D’autant qu’il n’avait pas dix-huit ans. Par ailleurs, sa seule inscription à la MSA en qualité d’aide familial était insuffisante à établir une participation directe, effective et gratuite à l’exploitation.

 

L’épilogue. Si un nombre important d’agriculteurs prennent leur retraite, de moins en moins de descendants manifestent vouloir utiliser le salaire différé. Pourquoi ? Le bénéfice du salaire différé est exclu de toute fiscalité, mais il est dans les projets de nos gouvernants de supprimer cet avantage fiscal… Il faut encore reconnaître que, parfois, le prélèvement sur la succession est considérable. Surtout s’il y a deux enfants qui sont en droit d’obtenir le salaire différé. Retenons cependant que le père de famille peut, de son vivant, allouer le salaire différé à ses enfants qui en justifient le droit.