Après avoir rédigé un rapport parlementaire en juillet 2020 sur le régime juridique des baux ruraux, vous venez de déposer une proposition de loi. Pourquoi vouloir modifier le statut du fermage ?
Dans le rapport d'information, nous faisons un certain nombre de propositions avec mon collègue des Républicains (NDLR : Antoine Savignat qui n'a pas été réélu en 2022). Elles vont dans le sens de ce que nous ont dit les organisations syndicales, mais aussi au-delà. Elles ne privilégient pas en priorité les bailleurs ou en priorité les preneurs, mais tendent vers l'idée de redonner un peu d'attractivité au statut du fermage.
Car le bail rural est boudé aujourd'hui ?
On constate que dès qu’un propriétaire peut éviter de louer ses terres selon le bail à ferme, il le fait. C'est un repoussoir pour les propriétaires car le statut du fermage comprend assez peu de liberté contractuelle entre le bailleur et le preneur, du fait de son caractère d’ordre public. Les parties ne peuvent pas y déroger comme elles le souhaitent. C’est le constat de base que j’avais fait depuis des années quand j’exerçais le métier d’avocat spécialiste en droit rural dans ma région du Sud-Ouest (NDLR : Jean Terlier est député de la troisième circonscription du Tarn).
"Cela va inciter très fortement le bailleur et le fermier à mettre en place un état des lieux"
Je voyais beaucoup de contentieux liés à des méprises entre les propriétaires et des fermiers quant à la date de conclusion du fermage, à son prix, à l’état des lieux d’entrée qui n’était pas fixé... Bref, beaucoup de contentieux qui résultaient d’un manque de discussion entre le propriétaire et le fermier que ce soit dès la conclusion du bail ou pendant sa durée d’exécution.
Pourquoi toutes les mesures qui avaient été proposées dans le rapport parlementaire ne sont pas présentes dans votre proposition de loi ?
J’ai voulu la purger d’un certain nombre de données, comme celles sur les autorisations d’exploiter, car cela aurait pu ouvrir davantage le champ de la proposition de loi et donner lieu à des heures et des heures de débats. Je voulais que le texte reste circonscrit à des propositions très juridiques sur le bail à ferme sans toucher au périphérique.
Quelles sont les principales mesures que vous proposez dans votre proposition de loi ?
Pour apaiser les relations contractuelles entre le bailleur et le fermier, la proposition de loi exige un état des lieux d'entrée. Son absence sera sanctionnée par la perte pour le fermier des améliorations qu'il aura réalisé et la perte pour le propriétaire de la possibilité de revendiquer des indemnisations au titre d'éventuelles dégradations. Cela va les inciter très fortement à mettre en place un état des lieux qui est souvent un contentieux important où les uns et les autres se reprochent le mauvais entretien, les améliorations ou la préexistence de celles-ci.
Cet état des lieux ne sera imposé qu'au-delà d'une certaine superficie. Il n'est pas question de l'imposer pour un bail de 4 à 5 hectares, même si les parties concernées peuvent toujours le faire. Il n'est pas normal pour des baux d'importance avec des milliers d'euros de fermage qu'il n'y ait pas d'état des lieux d'entrée.
Vous proposez également de limiter les renouvellements des baux au profit du preneur. Qu'est-ce que cela changerait pour les fermiers ?
Le bail sera dorénavant conclu pour une durée de 9 ans, avec trois renouvellements possibles plus un, pour permettre au fermier d’atteindre l’âge légal de la retraite. Au terme de cette durée contractuelle, s’il n’y a pas de cession de bail qui est intervenue, le bail s’arrête sans que le propriétaire ait à délivrer un congé par voie d’huissier pour mettre un terme au contrat lorsque le bail s’est renouvelé jusqu’à l’âge légal de départ à la retraite du preneur.
Cette mesure emporte un encadrement juridique sur la durée du bail, mais ne préjudicie en rien aux droits du fermier. Si le fermier souhaite céder ses terres à ces descendants ou son conjoint, il peut toujours le faire. C'est une disposition qui donne de la visibilité au propriétaire et au fermier, mais sans entraver les droits du fermier puisqu’il dispose toujours de son droit à céder son bail.
Et il y a troisième proposition que je considère comme l'apport principal de cette proposition de loi.
La possibilité au fermier de sous-louer les terrains loués ?
C'est l'autorisation d'une cession temporaire. Dans mon département du Tarn, il y a l'ail rose de Lautrec et d'autres cultures spécialisées qui tournent beaucoup sur les terres pour éviter l'appauvrissement des sols. Ce sont des cultures qui ont besoin de rotation, comme le melon ou les pommes de terre. La mesure permet à un fermier de sous-louer à titre temporaire et exceptionnel les terres à un tiers, ce qui n'est pas autorisé aujourd'hui par le code rural. En contrepartie, le fermier doit obtenir l'accord du propriétaire et l'indemniser avec une quote-part du fermage qui sera versé en plus du fermage normalement perçu.
"Les propriétaires concernées ragent de voir parfois leur fermier toucher 2 000 à 2 500 € par hectare"
L'idée est de régulariser une situation qui existe déjà mais qui fait prendre un risque au fermier. Car si le propriétaire s'en aperçoit, il peut saisir le tribunal pour demander la résiliation du bail. La mesure permet au fermier de sécuriser son opération. C'est du donnant-donnant, où les propriétaires concernées ragent de voir parfois leur fermier toucher 2 000 à 2 500 € par hectare alors qu'ils ne perçoivent qu'un montant de fermage de 100 € par hectare.
L’idée, à travers ces trois mesures principales, est de redonner de la liberté contractuelle aux parties pour permettre de redorer le statut du fermage et qu’il ait une deuxième jeunesse.
Vous parlez au futur de cette proposition de loi comme si ses mesures allaient s'appliquer. N'y a-t-il pas pourtant un risque qu'elle ne survive pas aux débats parlementaires ?
Aujourd'hui, nous avons une fenêtre de tir en mars 2023 durant une semaine où des propositions sont examinées lorsqu'elles font l'objet d'un accord entre plusieurs groupes de l'Assemblée nationale. Comme ma proposition est un peu transpartisane et qu'elle comporte des mesures assez consensuelles, le président de la commission des lois m'a proposé de la présenter au bureau et à la présidence de l'Assemblée nationale pour qu'elle puisse être abordée.
Le sujet n'est pas totalement tranché. À ce jour, je n'ai pas encore la certitude que la proposition de loi sera évoquée dans le cadre de cette semaine en mars. .
Si vous ratez le coche en mars, vos propositions pourront-elles être débattues dans le cadre du projet de loi d'orientation et d'avenir agricole attendu en juin et qui doit comprendre un volet foncier ?
Oui, il y a des chances que ça se passe comme ça. J'aurai l'occasion de rediscuter de ma proposition de la loi avec le ministre de l'Agriculture qui se déplace dans mon département vendredi (NDLR : ce 3 février 2023). J’ai la volonté d’avancer avec cette proposition de loi. Si elle ne peut pas être examinée en mars, nous verrons s'il est possible de faire différemment. L’idée était de ne pas tout mélanger, car les débats sur le projet de loi vont être animés. Mon idée est de dépolitiser le débat à travers une proposition de loi consensuelle.