Jean-Paul Bigard était auditionné le jeudi 30 mai 2024 par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale visant à établir les raisons de la perte de souveraineté alimentaire de la France. Pendant plus de deux heures, le président-directeur général (PDG) du groupe Bigard a répondu aux questions des députés, tant sur le rôle de son entreprise au sein des filières bovines, porcines et ovines que sur les causes de la crise de l’élevage et sur sa perception de la loi Egalim.
Et sur le contenu de la loi Egalim, le patron de Bigard ne mâche pas ses mots : « La loi Egalim pourquoi pas, mais honnêtement, les dés sont pipés. » Selon lui, cette loi ne tient pas compte du mécanisme de l’offre et de la demande et néglige la diversité de l’offre, avec une échelle de prix allant de 1 à 3 selon le type d’animal.
Les distributeurs échappent à Egalim
« La bagarre des prix avec les distributeurs, c’est un foutoir incroyable », accuse Jean-Paul Bigard. Insatisfait des termes de la loi Egalim, le PDG ne comprend pas comment il est possible de faire cohabiter des grandes marques, dépendantes d’Egalim, et des marques de distributeur (MDD) qui passent au travers.
« Pourquoi Charal ou Socopa ont leur production soumise à un arsenal de règles et de contraintes et des produits de marques de distributeur relèvent d’appels d’offres tous les trois mois, sans contrainte. Aujourd’hui, 70 % des steaks hachés vendus sont des marques de distributeur, donc non soumis à la loi Egalim. Il faut que le modèle s’applique pour tout ! », argumente-t-il.
Jean-Paul Bigard dénonce notamment le calcul des marges de la grande distribution, qui « applique un coefficient a minima pour ses marges sur la MDD, et sur le produit de marque, va appliquer un coefficient 30, 40 ou 50 % supérieur ».
Pour étayer ses propos, il prend l’exemple d’un kilo de steak haché frais. Pour un produit qui coûte 10 € à produire par l’abattoir, il sera vendu au distributeur 11 € dans le cadre d’une MDD et le distributeur appliquera un coefficient de 1,30. A contrario, le même produit, mais de marque Charal sera vendu, un peu plus cher, 12 € au distributeur qui le margera avec un coefficient de 1,80 ou 2. « À l’arrivée, pour un même écart de prix de vente de 1 à 1,20 €, vous allez avoir une différence de prix énorme pour le consommateur. Dans Egalim, personne ne parle de ça ! », fustige le P.-D.G. du groupe d’abattage-découpe.
« On développe la MDD, c’est le principe d’un appel d’offres où le prix le plus bas l’emporte, certains en perdront la vie », alerte Jean-Paul Bigard. Et de rappeler que deux distributeurs, Leclerc et Intermarché, possèdent des outils de production de viande et passent donc au travers de la loi Egalim avec leurs MDD.
Une contractualisation difficile en bovin
Au détour des questions des députés, Jean-Paul Bigard a confirmé que son groupe, comme deux autres entreprises, fait l’objet d’une procédure judiciaire pour non-respect des lois Egalim, et en particulier sur l’absence de contractualisation avec les éleveurs.
À la question d’un député : « Avez-vous un contrat pour chaque animal ? », le président de Bigard a clairement répondu « non ». Il estime que sur les 23 000 bovins que le groupe traite chaque semaine, seuls trois ou quatre mille font l’objet d’un contrat, essentiellement des jeunes bovins.
« De nombreux animaux restent en commerce libre et beaucoup d’éleveurs ne sont pas disposés à passer des contrats », explique Jean-Paul Bigard, tout en précisant poursuivre ses efforts pour accompagner les éleveurs.
« Contractualiser, sur une structure comme la nôtre, entre 15 et 20 % des animaux, c’est déjà un véritable exploit, sachant que de très nombreux éleveurs ne veulent pas en entendre parler et que les marchands de bestiaux ne sont pas soumis à la loi Egalim », souligne-t-il.
Selon lui, le rapport de force est difficile entre, d’un côté, un système de contractualisation fort avec l’amont et, de l’autre, des ventes à la baisse, des tarifs quelque peu malmenés et une guerre des prix farouches de la distribution au travers des MDD. « On essaye d’en faire plus et d’avancer. Pas la peine de prendre un bouc émissaire pour montrer à la population qu’on fait respecter les règles », conclut-il.