Des chercheurs de l'Inrae ont analysé les impacts économiques et non-économiques de la mise en œuvre du green deal (pacte vert) sur le système agroalimentaire européen. Leurs conclusions ont été publiées dans La revue de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) le 15 février 2024.

D’après les simulations réalisées (1), les impacts positifs sur le climat, l’environnement et la santé pourraient être significatifs, à condition de jouer simultanément sur les trois leviers du green deal : développer l’agriculture agroécologique, réduire les pertes et gaspillages alimentaires, encourager l’adoption de régimes alimentaires plus sains et plus durables.

Ainsi, le green deal « apparaît justifié d’un point de vue environnemental et de santé publique ». En revanche, il ne faut pas « sous-estimer les difficultés économiques qu’il soulève », expliquent les chercheurs. « Toutes ces difficultés doivent être bien caractérisées avec l’ensemble du système alimentaire », afin de rendre possible un débat public qui reconnaît « à la fois la nécessité de profondes transformations mais aussi l’ampleur des enjeux économiques et sociaux. »

Un levier ou plusieurs leviers à la fois, les impacts diffèrent

Pour les auteurs de l’étude, selon que les leviers du green deal sont mis en œuvre séparément ou simultanément, les impacts économiques (productions, échanges, prix, recettes agricoles et dépenses alimentaires) et ceux non-économiques (émissions de gaz à effet de serre, indicateurs de biodiversité et nutritionnels) sont différents.

Par exemple, lorsque seul le levier de l’agroécologie est appliqué, les impacts économiques sont « relativement modérés » et pourraient se gérer « dans le cadre d’une transition progressive ». Mais les bénéfices climatiques et écologiques seraient amoindris. De plus, les chercheurs soulignent des impacts économiques « qui seraient très négatifs pour les filières animales ».

Vers une hausse du prix des produits végétaux et le repli de ceux animaux

À l’inverse, l’utilisation simultanée des trois axes prévus par le green deal « augmenterait sensiblement les bénéfices climatiques, environnementaux et nutritionnels ». Si les trois leviers sont utilisés conjointement, cela permettrait de réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre liées à la consommation alimentaire et de 40 à 50 % les dommages causés à la biodiversité.

Selon les simulations, les prix agricoles des produits végétaux augmenteraient de 18 %, par une hausse de la demande et des prix plus élevés en lien avec l’adoption des pratiques agroécologiques. Quant à eux, les prix agricoles des produits animaux diminueraient d’environ 13 à 15 %, expliqués majoritairement par la prévision d’une baisse de la demande en protéines animales.

Consommateurs gagnants, éleveurs perdants

Les simulations suggèrent que l’impact du green deal permettrait aux consommateurs d’être « économiquement gagnants grâce à la réduction de leurs dépenses alimentaires (–15 %) ». L’évolution vers des régimes alimentaires contenant moins de produits animaux pourrait compenser la hausse des prix résultant de l’emploi de pratiques agroécologiques.

Pour les consommateurs, les prix alimentaires des produits végétaux augmenteraient de 2 % tandis que ceux des produits animaux baisseraient d’environ 3 %. Finalement, dans cette situation, les éleveurs seraient perdants, en raison de la baisse de la demande et des prix.

Quel futur pour les productions animales ?

Parmi les sujets particulièrement complexes, les filières animales et les territoires à dominante élevage seront « confrontés à un choc de demande auquel ils ne pourront faire face sans mesures fortes d’accompagnement par les pouvoirs publics ». En effet, la végétalisation de l’alimentation risquera d’entraîner une diminution importante de la valeur des productions animales.

Les auteurs de l’étude proposent quelques voies d’action :

  • Une transition progressive dans le temps pour permettre aux filières animales de s’adapter à travers la diversification ou une réorientation de leur activité ;
  • Une meilleure rémunération des services environnementaux que peuvent rendre les élevages ;
  • Des aides aux investissements augmentées, sous réserve de conditionner ces dernières au respect de critères de durabilité et de bien-être animal.

Souveraineté alimentaire menacée

Autre point de tension posé par le green deal : une baisse de la production européenne, induite par le développement de l'agriculture agroécologique. Une menace pour la souveraineté alimentaire de l’Union européenne, puisque « les rendements des cultures baisseraient d’environ 13 % relativement à la situation initiale, liée à la baisse de l’usage des intrants chimiques, malgré des niveaux des productivités encore mal connus ».

De plus, l’application du green deal engendrerait une dégradation de la balance commerciale agroalimentaire européenne, en raison d’une augmentation des importations en produits végétaux, alors que les exportations de produits animaux diminueraient.

À noter que ce modèle agroécologique entraînerait une baisse du recours aux intrants chimiques, et donc favoriserait l’autonomie des exploitations européennes en intrants.

L’évolution des comportements de consommation reste incertaine

Sur le plan économique, l’accès pour tous à des régimes « sains et équilibrés » doit être considéré avec recul, précisent les chercheurs, en particulier pour les ménages européens les plus pauvres, « dans un contexte de fortes différenciations sociales des comportements alimentaires ».

Concernant l’évolution des comportements de consommation, les simulations reposent sur une hypothèse d’évolution de la demande des consommateurs vers davantage de produits végétaux et moins de produits animaux. Mais « cette question de la dynamique des préférences des consommateurs est une des principales inconnues des évolutions à venir ».

Selon l’étude réalisée, il serait nécessaire de déployer des politiques publiques de demande qui joueront sur les choix des consommateurs, via l’information ou un système de prix (mesures fiscales), afin que les options défavorables à la santé ou l’environnement soient plus coûteuses pour les consommateurs.

(1) Les simulations présentées sont réalisées à l’aide d’un modèle synthétique d’équilibre partiel du système agroalimentaire de l’UE-27, calibré sur les données de l’année « 2019 » définie ici comme la moyenne arithmétique des trois années 2018, 2019 et 2020. Les simulations des différents scénarios correspondent à des années « 2019 » contrefactuelles permettant d’analyser les impacts marchands et non marchands de chaque scénario relativement aux données de l’année de base « 2019 ».