Le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, présente ce 23 mai 2023 à la commission des lois du Sénat, son projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice pour 2023-2027. Comme annoncé au début de l’année, ce texte prévoit l’expérimentation des tribunaux des activités économiques (TAE) : durant quatre ans, de neuf à douze tribunaux de commerce qui seront désignés par un arrêté du garde des Sceaux verront leurs compétences élargies à l’ensemble des procédures amiables et collectives, quels que soient le statut et le domaine d’activité des acteurs économiques concernés (à l’exception des avocats et professions judiciaires réglementées).
Pas d’agriculteurs parmi les juges
L’ensemble des professions concernées par ces futurs TAE étaient déjà jugées par le tribunal de commerce, mis à part les agriculteurs. C’est donc seulement pour eux dont les dossiers étaient examinés jusqu’ici devant le tribunal judiciaire, que la situation va changer. Est-ce pour cette raison que le ministère de la Justice ne se donne pas la peine d’aller jusqu’au bout de son expérimentation ? Le projet de loi ne prévoit pas d’élargir le corps électoral des juges consulaires aux agriculteurs durant les quatre ans d’expérimentation.
Dans un avis rendu au début de mai, le Conseil d’État approuve cette décision : « Le conseil d’État considère que, si pendant la période d’expérimentation prévue pour durer quatre ans, le corps électoral des juges consulaires ne sera pas modifié et que, par suite, les juges consulaires seront nécessairement des commerçants ou des artisans sans que des représentants des nouveaux secteurs d’activités entrant dans le champ de compétence élargi du TAE puissent être désignés, cette situation ne saurait constituer un obstacle au déroulement de l’expérimentation, aucune exigence constitutionnelle n’imposant que les justiciables aient un droit à l’élection des juges ou que les juges soient choisis parmi leurs pairs. » Les agriculteurs ne seront donc pas jugés par leurs pairs, mais bien par des artisans et des commerçants.
Risques d’impartialité et de méconnaissance
Solidarité Paysans « s’oppose fermement à cette réforme », dans un communiqué diffusé ce 23 mai 2023. Selon l’association, « le risque est triple pour les agriculteurs : un risque de partialité de la part de juges artisans, commerçants, qui peuvent être aussi des créanciers des agriculteurs ; un risque de méconnaissance des problématiques agricoles, et surtout, un risque d’une justice moins favorable au maintien de l’activité ».
Les conditions de l’expérimentation n’étant pas celles prévues par la suite, cela empêchera toute véritable évaluation. « Afin d’être cohérent avec la volonté affichée par la feuille de route de prévention du mal-être en agriculture, Solidarité Paysans demande donc au Sénat de faire une exception, en laissant la compétence en matière de procédures collectives agricoles au tribunal judiciaire. »
Le gouvernement utilise une procédure accélérée
Une procédure accélérée a été engagée par le gouvernement le 3 mai 2023, pour l’étude par les parlementaires de son projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice de 2023-2027. Une seule lecture est donc prévue par le Sénat et l’Assemblée nationale. La discussion en séance publique au Sénat se tiendra entre le 6 et le 13 juin 2023.